Les vraies raisons du maintien du nucléaire belge
Malgré de belles déclarations d’intention, force est de constater que le fédéral n’est pas parvenu à anticiper l’arrêt du nucléaire.
Publié le 13-01-2023 à 06h00 - Mis à jour le 13-01-2023 à 10h38
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Si le gouvernement se retrouve depuis dix ans dans l’obligation de recourir à la prolongation de réacteurs nucléaires afin de garantir la sécurité d’approvisionnement de la Belgique, c’est parce qu’il n’a pas été en mesure de suffisamment développer les sources alternatives de production d’énergie sur le territoire national.
Pourtant, les déclarations d’intention des différents chefs de gouvernement qui se sont succédé au fédéral depuis 2003 ont toujours été dans le même sens.
Volonté de sortie
Dans l’accord de coalition de juillet 2003 ayant donné naissance au gouvernement Verhofstadt II, il est écrit que "la sécurité et l’indépendance en matière d’approvisionnement énergétique seront garanties et un passage maximal à de nouvelles sources d’énergie sera prévu". Dans sa déclaration de politique fédérale, Yves Leterme confirme le 20 mars 2008 : " Nous miserons davantage sur les énergies renouvelables, les bâtiments économes en énergie et les travaux de rénovation qui permettent d’économiser l’énergie", précisant que "lors du passage de l’énergie fossile à l’énergie verte, nous veillerons à ce que l’approvisionnement en électricité soit garanti ". Le même Yves Leterme confirme un an plus tard dans sa nouvelle déclaration de politique fédérale du 25 novembre 2019 que "notre politique climatique et énergétique requiert une approche durable et orientée vers le futur et surtout le courage d’agir".
"Un plan d’équipement de production d’énergie autre que le nucléaire devra rapidement être mis en place afin de garantir notre sécurité d’approvisionnement ", déclare à son tour face aux députés, le 5 décembre 2011, Élio Di Rupo. "Le gouvernement accroîtra, en collaboration avec les Régions, la sécurité d’approvisionnement énergétique de la Belgique grâce à un mix énergétique varié et un marché fluide avec des bonnes interconnexions", annonce pur sa part l’accord de coalition ayant donné naissance au gouvernement Michel I. Tandis que l’actuel Premier ministre, Alexander De Croo, annonçait encore le 1er octobre 2020 "l’accord de gouvernement le plus vert de l’histoire de notre pays ".
Manque d’investissements
"Nous avions 26 ans pour préparer la sortie ", fustige aujourd’hui Luc Barbé, ancien chef de cabinet d’Olivier Deleuze, le père de la loi de sortie de 2003 : vingt-six ans entre l’accord de gouvernement qui envisageait la sortie du nucléaire (1999) et la date initiale de désactivation du dernier réacteur nucléaire (Tihange 3 le 1er septembre 2025).
"Mais en vingt ans, rien n’a été fait pour préparer cette sortie", regrette Dominique Woitrin, l’ancien patron de la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (CREG). "Enfin, si, Jean-Luc Dehaene l’a fait avant 1999 avec l’autorisation octroyée pour la construction des centrales TGV de Seraing et Drogenbos !"
"Les investissements réalisés en matière de production d’électricité nécessitent une période de 20 à 40 ans d’amortissement, avec des prix qui ne sont de toute façon pas sécurisés. Ce ne sont pas des conditions encourageantes pour les producteurs, pointe l’économiste Eric De Keuleneer. En réalité, la libéralisation du marché de l’électricité a favorisé les interconnexions, mais n’a pas favorisé les investissements."
La faute, pour l’économiste, au manque d’incitants.
Besoin d’incitants
"Dans les années 2007/2008, il est devenu clair que ce mécanisme de marché était nécessaire, poursuit Eric De Keuleneer. On l’a vu avec l’exemple de la Grande-Bretagne où le gouvernement conservateur a pourtant procédé à des aides d’État conséquentes pour dynamiser son mix énergétique. On aurait dû à ce moment-là revenir à une planification des investissements de capacité. Mais cela n’a pas été fait. En partie par incurie, en partie par dogmatisme."
En fait, pendant 20 ans, c’est "un mélange de forces qui vont dans des directions différentes" qui a présidé aux destinées de la politique fédérale belge, ce qui a donné lieu à " une politique de stop and go" totalement contre-productive, corrobore Luc Barbé, qui ajoute sur un ton grinçant : "Avoir une politique énergétique, c’est prendre des décisions à très long terme. Ce qui n’est jamais arrivé".
Absence de planification
"Pendant les 20 années qui ont suivi la libéralisation du marché, il n’y a pas eu de volonté de planifier les capacités de production nécessaires pour faire face au risque qui menace la sécurité d’approvisionnement", conclut Eric De Keuleneer.
Une observation que partage l’actuelle ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten : "La loi de 2003 était le point de départ pour une sortie du nucléaire en 2025. La Belgique a été longtemps dans une position attentiste. Et il aurait fallu réaliser plus tôt que le système de"marginal pricing"n’attirait pas d’investissements".
Entre 2003 et 2020, la Belgique fédérale n’a donc jamais réussi à impulser le mouvement de la transition énergétique qui aurait dû lui permettre de sortir du nucléaire.
Pourtant, certaines initiatives ont été prises. Mais aucune, jusqu’ici, n’a permis d’assurer les arrières énergétiques du pays.