En 2003, la Belgique opte pour la sortie du nucléaire : « Nous n’avions pas les moyens de notre ambition »
Décider de sortir du nucléaire était une étape. Fallait-il encore préparer celle-ci. Et si des choses ont été rapidement mises en place, le politique a cruellement manqué de moyens.
Publié le 12-01-2023 à 06h10
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Lorsque l’on regarde dans le rétroviseur, est-il juste d’affirmer que la loi de 2003 a été prise sans aucune anticipation de la situation que la sortie progressive du nucléaire allait engendrer ?
"Non ! Pas du tout", insiste Luc Barbé, qui fut chef de cabinet d’Olivier Deleuze. "La loi entérinait une vision pour 2025: on avait donc 26 ans pour organiser la sortie. C’est ça le chiffre le plus important de cette loi."
D’autant que, en marge de la décision de sortir du nucléaire, le gouvernement Verhofstadt I et son secrétaire d’État à l’Énergie Olivier Deleuze valident une série de textes législatifs destinés, justement, à préparer cette sortie.
Arrêtés, loi et plan
Le 20 décembre 2000, Olivier Deleuze et Magda Alvoet (ministre fédérale Agalev en charge de l’Environnement) soumettent au roi un arrêté fixant la procédure d’octroi de concessions domaniales en mer du Nord pour la construction et l’exploitation d’installations de production d’électricité.
Quelques mois plus tard, le 25 février 2002, un nouvel arrêté royal soumis par le secrétaire d’État à l’Énergie crée le Service public fédéral de programmation Développement durable, chargé de préparer et coordonner la politique en la matière.
Il est suivi peu de temps après par un nouvel arrêté royal qui instaure, le 16 juillet 2002, les "certificats verts", mécanismes d’incitants visant à promouvoir l’électricité produite à partir des sources d’énergie renouvelables.
Et dans la foulée de la loi de sortie du 31 janvier 2003, Olivier Deleuze signe le 11 avril la loi instituant le principe des provisions nucléaires, destinées à couvrir les coûts de démantèlement et de gestion du combustible irradié. "Nous étions satisfaits, se souvient à cet égard Luc Barbé. Mais nous savions que cela ne serait pas suffisant."

"De plus, la loi de sortie s’accompagnait d’un plan indicatif des moyens de production que la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (NDLR : la CREG) devait réaliser pour estimer les besoins en termes d’approvisionnement", souligne l’ancien chef de cabinet. Une façon, selon lui, "de prévoir les investissements nécessaires" dans le cadre de cette sortie du nucléaire.
Limbes théoriques
"À l’époque, on n’avait pas la connaissance technique et scientifique dont nous disposons aujourd’hui", avance pour sa part Louis Michel. " Nous étions en fait mal équipés pour avoir des jugements et des décisions éclairés dans ce domaine. On était beaucoup plus dans le verbalisme, il n’y avait pas de spécialistes et ce n’était pas médiatisé comme aujourd’hui. Tout ça, c’était dans des limbes théoriques. Nous n’avions tout simplement pas les moyens de notre ambition."
De là à dire que le gouvernement ne savait pas trop ce qu’il faisait ?
"On pensait vraiment que l’on y arriverait, souffle le libéral. Mais le pouvoir politique n’avait pas tellement tous les leviers. C’est pour ça que le privé occupe tellement de place dans ce dossier. C’est lui qui détient l’expertise, l’analyse…"
Et les décisions ?
Face à cette surpuissance du secteur privé, l’État n’a pas eu totalement les mains libres, même s’il s’est ménagé un certain droit de regard.
Far West énergétique
"Avant 1999, Electrabel était une entreprise intégrée : elle s’occupait de la production, du transport, de la gestion du réseau et de la fourniture de l’électricité, rembobine Luc Barbé. Et c’était la même chose d’ailleurs pour le gaz avec Fluxys et Distrigaz. On a donc obligé Electrabel à se couper (NDLR : à travers la loi du 29 avril 1999 relative à l’organisation du marché de l’électricité) ."
"Le détricotage d’Electrabel, en marge de la libéralisation du marché opérée dans les années 1997 à 2005, en 4 activités distinctes a permis de créer un marché électrique belge de grande qualité", confirme l’économiste Éric De Keuleneer.
C’est ainsi que sont créés en début de législature, d’une part, la CREG, sorte de gendarme du secteur institué par la loi précitée, et qui offrait un droit de regard au gouvernement en matière d’investissements en énergie, et, d’autre part ELIA, créé le 28 juin 2001 et qui devient le gestionnaire du réseau à haute tension quelques mois plus tard.
"On était dès lors dans un marché libre, mais régulé", synthétise Luc Barbé. "Le privé ne pouvait donc pas faire tout ce qu’il voulait."
Or, si le privé n’avait donc pas totalement les mains libres, le politique, lui, a durant de longues années fermé les yeux dans le domaine, permettant aux producteurs du secteur de continuer de dicter la loi en matière de gaz, d’électricité, mais aussi d’approvisionnement.