Les classes de neige slaloment entre les crises
Si les opérateurs observent une belle reprise de l’activité pour cet hiver 2023, le contexte inflationniste rend difficile le financement de voyages scolaires pour de plus en plus de parents. Les associations, elles, réclament un plafonnement des coûts.
Publié le 09-01-2023 à 04h55 - Mis à jour le 09-01-2023 à 06h56
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Si 900 000 élèves reprennent aujourd’hui le chemin de l’école en Fédération Wallonie-Bruxelles, certains ne s’y arrêteront peut-être que quelques minutes avant de reprendre la route. Car, comme chaque année à pareille période, c’est en effet la saison des "classes de neige" qui débute.
Après deux hivers marqués par la crise sanitaire, ce début d’année 2023 offre à nouveau la possibilité aux écoles d’emmener leurs élèves dans un tel projet de voyage. Et force est de constater que, sur le terrain, la demande est conséquente.
Retour à la normale
"On est reparti sur des bases similaires à ce que nous connaissions avant la période Covid", témoigne ainsi Gérard Bistiaux, enseignant reconverti dans l’organisation de voyages scolaires en général et de classes de neige en particulier.
On est reparti sur des bases similaires à ce que nous connaissions avant la période Covid.
Celui qui a fondé en 1988 l’agence de voyage spécialisée Évasion Scolaire l’affirme : "On a pu garder nos clients malgré la crise, et nous pouvons même compter sur de nouvelles écoles habituées des classes de neige mais qui travaillaient précédemment avec d’autres organismes. C’est sans doute la preuve qu’on fait bien notre boulot…"
Cette année, ce sont donc 4 000 élèves qui vont profiter durant les prochaines semaines et prochains mois des offres de séjour en montagne organisés par cette agence, laquelle représente l’un des trois gros acteurs du secteur avec la CPAN (Classe de plein air et de neige) et Alpina Tours. Au total, ils seront ainsi 15 000 enfants scolarisés en Fédération Wallonie-Bruxelles à sillonner cette année les pistes de ski françaises et italiennes.
Hausse du coût
"Pour un séjour type de 6 nuitées et 9 jours en tout, il faut compter en moyenne entre 560 et 570 euros par enfant", calcule rapidement le directeur d’Évasion Scolaire. Et par "séjour type", ce dernier entend le transport, l’hébergement en pension complète, la location de matériel, les leçons de ski, le pass pour les remontées mécaniques, ainsi qu’un package d’activités organisées sur place.
Mais alors que l’inflation galopante et notamment la hausse des coûts de l’énergie ont plombé ces derniers mois le budget de bon nombre de familles, les prix des voyages pratiqués par l’agence de Gérard Bistiaux n’ont, eux, que finalement peu évolué depuis l’année dernière.
"Parce que nous avons des contrats avec des fournisseurs et les stations de ski. L’inflation ? C’est plutôt l’année prochaine, en 2024, qu’on s’attend à la ressentir de façon plus importante."
L’inflation ? C’est plutôt l’année prochaine, en 2024, qu’on s’attend à la ressentir de façon plus importante.
Annulations
Mais si les coûts n’ont pas toujours drastiquement évolué à la hausse, pour de nombreux parents, la situation n’en demeure pas moins difficile en cette période de crises successives.
Dans la commune d’Amay par exemple, en province de Liège, les écoles du réseau communal ont été contraintes d’annuler leur voyage prévu en mars prochain, la faute au nombre trop peu élevé de participants, 30 enfants sur les 140 inscrits s’étant finalement désistés, principalement pour raisons financières.
Et de fait, l’organisation d’un voyage scolaire est soumise à un certain nombre de règles, dont l’imposition d’un taux minimum obligatoire de participation. Celui-ci varie selon la taille des classes : de 75% à 90% ; 70% dans le maternel ordinaire et le fondamental spécialisé. Donc, si ce taux n’est pas atteint, le voyage ne peut être considéré comme de nature scolaire.
Parents financiers
Vente de gaufres ou de lasagnes, organisation d’un marché de Noël, réalisation d’une marche parrainée, etc. : les activités mises en place par les écoles et les associations de parents d’élèves ne manquent pas d’imagination afin de récolter un maximum d’argent destiné à financer de tels projets de voyage. Mais les revenus ainsi générés demeurent la plupart du temps largement inférieurs aux montants à devoir débourser. C’est donc aux familles qu’il revient, bien souvent, de combler l’écart.
Or dans le contexte actuel, il s’agit d’un effort financier qui apparaît, légitimement, bien loin des priorités du moment.
Plafonner le coût pour éviter la «ghettoïsation»
Face aux abus observés dans certaines écoles, des associations appellent le monde politique à plafonner le coût des voyages scolaires.
L’année dernière déjà, au plus fort de la période des classes de neige, la Ligue des familles rappelait "l’urgence " d’avancer sur cette question.
"Dans certaines écoles, ça monte jusqu’à plusieurs milliers d’euros pour un seul voyage. De nombreuses familles ne peuvent pas se permettre de payer de telles sommes, a fortiori multipliées par 2 ou 3 enfants", avait à nouveau pointé l’association et Maxime Michiels en octobre dernier.
De nombreuses familles ne peuvent pas se permettre de payer de telles sommes, a fortiori multipliées par 2 ou 3 enfants.
Dans une étude publiée deux mois plus tôt, la Ligue des familles faisait le constat du coût comme "première raison de non-participation aux voyages scolaires après le Covid " et que, lors de l’année scolaire précédente, "un élève de secondaire sur 10 n’est pas parti en voyage scolaire à cause du coût du voyage".
Règles lacunaires
Le fait est que "la majorité des écoles présentent les voyages scolaires comme obligatoires", dénonce la Ligue des familles, laquelle rappelle l’aspect "lacunaire " de la législation sur le sujet.
À la tribune du Parlement, la ministre de l’Éducation Caroline Désir avait pourtant rappelé cette année la dimension facultative de tels voyages, une mise au point confirmée par une circulaire ministérielle envoyée à tous les établissements scolaires en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Urgence
Insuffisant, cependant, pour un collectif d’associations qui, en novembre dernier, remettait le sujet sur les pupitres parlementaires à travers une carte blanche adressée à la ministre et aux députés : "Alors qu’actuellement, aux conséquences sociales d’une crise sanitaire se sont ajoutées pour une part significative de la population les inondations et ses conséquences dramatiques, une inflation galopante et le coût de l’énergie, le coût de la fréquentation de l’école devient de plus en plus insoutenable à mesure que les inégalités sociales s’aggravent et que la précarité touche de plus en plus de couches de la population", soulignaient ainsi les 18 associations signataires. Avec, pour conséquence, le constat que "l’organisation même de voyages scolaires accessibles à tous et porteurs de sens est mise en péril, alors qu’ils devraient permettre de sortir de la morosité, apporter évasion et épanouissement".
Le coût de la fréquentation de l’école devient de plus en plus insoutenable à mesure que les inégalités sociales s’aggravent.
Travail en cours
Dans la foulée, le PTB avait depuis les rangs de l’opposition réitéré sa position de défendre l’idée d’un plafonnement, rappelant la proposition de résolution en ce sens déposée – mais rejetée – l’été dernier et estimant que " les plafonds proposés [dans la carte blanche] de 350 euros en primaire et de 550 en secondaire sont une bonne base ".
D’autant que, outre " la stigmatisation et l’exclusion ", la situation actuelle "r enforce le marché scolaire et la ghettoïsation " de l’enseignement en Belgique francophone, dénonce la députée de gauche radicale Alice Bernard, ajoutant qu’il était "inacceptable que des écoles utilisent les voyages scolaires pour sélectionner leur public".
"Le travail est en cours ", a cependant rappelé, en substance et à plusieurs reprises, la ministre Désir lors des dernières séances de la commission de l’Éducation précédent la trêve hivernale de Noël, confirmant au passage sa volonté de légiférer en ce sens.
Si une décision politique se fait donc attendre, la mise en place prochaine d’une mesure de plafonnement n’est donc certainement pas à exclure.
