Référents assuétudes dans les écoles : « La drogue reste un sujet tabou »
Depuis trois ans, des référents assuétudes œuvrent dans une trentaine d’écoles secondaires en Fédération Wallonie-Bruxelles. L’heure est au bilan.
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Publié le 07-12-2022 à 04h00 - Mis à jour le 07-12-2022 à 06h59
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Doris Pierard est référente assuétudes (drogues, tabac,…) depuis deux ans dans une école secondaire technique et professionnelle de Namur. Elle a travaillé dans un centre thérapeutique pour personnes toxicomanes. "Quand on m’a proposé de bosser avec les jeunes, et donc en amont, pour prévenir les problèmes, j’ai foncé", raconte-t-elle.
L’école compte près de 2000 élèves. "Quand je suis arrivée, beaucoup de professeurs se plaignaient des comportements de ceux-ci. Ils me disaient que certains étaient défoncés en classe. Il s’agissait surtout de problèmes liés à la consommation, notamment autour de l’école."
À mi-temps dans l’établissement, la référente assuétudes fait de la prévention en classe. "Il ne s’agit pas de diaboliser le produit mais de développer l’esprit critique des élèves et de prévenir les risques."
Doris Pierard accompagne également de façon individuelle les élèves en demande. "On évalue si la consommation est problématique et on réoriente." Enfin, la référente forme l’équipe éducative, afin de viser l’autonomie de l’école face à la problématique des assuétudes. "Ce que je dis aux éducateurs, c’est d’agir en bon parent: mettre des limites, mais tendre la main aussi. La répression n’est pas du tout la réponse. Maintenant, lorsqu’on est face à des faits vraiment graves, la police doit jouer son rôle."
L’impact du Covid
Si, pour Doris Pierard, la drogue est "une grosse problématique au sein de la société et de l’école, le Covid n’a pas aidé. Des élèves qui consommaient en groupe, le font dorénavant seuls, avec des problèmes plus importants. Et si les jeunes se cachaient, ils se cachent moins aujourd’hui. C’est comme si avec le Covid, ils avaient désormais quelque chose à revendiquer. L a période est anxiogène et créé un vrai mal-être chez nos jeunes. Ils peuvent l’exprimer en consommant de la drogue. Ils cherchent des solutions, et ils trouvent celle-là. Et comme ils ne voient pas le danger, ils se lancent".
Si ce ne fut pas son cas, le Covid a bousculé les interventions des référents assuétudes dans les écoles, note Doris Pierard. "Or, ces jeunes ont besoin de recevoir ces messages de prévention. Et ils disent qu’ils sont contents de pouvoir discuter de leurs problèmes."
Après deux années auprès des jeunes, la référente assuétudes résume: "La drogue reste un sujet tabou. On est face à une problématique qui n’est pas anodine, compliquée et les gens se sentent démunis. Il y a encore beaucoup de travail à faire dans les écoles. Souvent deux points de vue s’y confrontent: le savoir être et le savoir tout court. Or, il faut qu’ils se rencontrent."
Doris Pierard salue la mise en place du dispositif: "les messages doivent passer auprès des jeunes. Et c’est bien que quelque chose soit fait. Par contre, si l’on veut que les écoles soient autonomes face à cette problématique, il faut alors leur en donner les moyens". Quant aux référents, "ce n’est pas toujours facile. Les missions changent tout le temps et il n’y a pas de stabilité d’emploi".
Évaluer le dispositif
Côté résultat dans les écoles, "nous avons l’impression de nous sentir moins démunis et d’avoir de meilleurs moyens pour aider les jeunes face aux assuétudes", estime le directeur du Collège des Aumôniers du travail de Charleroi, qui a son référent.
Frédéric Hublet et David Lewahert sont les coordinateurs du dispositif référents, mis en place il y a trois ans (lire ci-contre). L’an dernier, 7 000 élèves ont été vus en animation et 1 266 en individuel dans 35 écoles secondaires.
Les coordinateurs viennent de rendre un rapport à la ministre de l’Éducation en vue d’une évaluation. Que dit-il ?
"Que la prévention est utile pour renforcer les compétences psychosociales des jeunes et des enseignants. Il ne s’agit pas de prévention par la peur. La prévention est efficace quand on parle de la réalité des jeunes." Le but est de retarder l’usage précoce de drogues, dissuader les conduites addictives et réduire les problèmes autour de l’usage, pointent Frédéric Hublet et David Lewahert.
Transfert de compétences
"On note aussi qu’il est essentiel de transférer les compétences vers les équipes éducatives pour ne pas les rendre dépendantes du référent. Ces référents doivent participer au mouvement, mais ne pas être des sparadraps sur une plaie ouverte. "
Les coordinateurs s’interrogent par contre sur le suivi tabacologique durant le temps scolaire: "cela désorganise un peu tout. Et qui tient la main de l’élève pendant les vacances ?" Enfin, ils plaident pour une "vraie légitimité statutaire" pour les référents. "Ce sont des contrats APE de 10 mois, sans réelle perspective. Avant d’envisager d’augmenter le pôle, il faut travailler sur ce statut."
Les coordinateurs militent pour une prévention pérenne dans les écoles, des punitions "qui ont du sens" – "4h de retenue vont-elles aider un jeune face à sa consommation ?" – et l’amélioration du milieu de vie scolaire: "un jeune sort fumer un joint sur le temps midi. Si l’école lui proposait à ce moment-là des lieux de socialisation, cela augmenterait ses facteurs de protection".