21 ans et sans-abri: «On est borné, on veut s’en sortir tout seul» (témoignage)
Ce lundi, c’est la journée internationale des sans-abri. Un phénomène aux multiples visages et aux multiples histoires. Un groupe est en forte augmentation : celui des jeunes adultes. Ils représentent 20 % des sans-abri recensés en Belgique, selon une récente étude de la Fondation Roi Baudouin. Rencontre avec l’un d’entre eux.
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- Publié le 10-10-2022 à 06h00
- Mis à jour le 10-10-2022 à 09h14
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« J’avais honte. Je n’ai pas osé l’avouer autour de moi. Ce n’était pas facile d’en prendre conscience. Il a fallu mettre son ego de côté. » Tim s’est retrouvé à la rue l’an passé.
À 21 ans, le jeune homme a tout perdu à cause d’une arnaque immobilière. « J’avais un boulot, une copine, un appartement, je payais mes loyers… »
Son vécu dans la rue, Tim en parle sans détour. Du pont en dessous duquel il dormait, des abris de nuit qu’il évitait. "S’ils ont des chenils, ils n’ont rien pour les autres animaux. Or, j’étais accompagné d’un cochon d’Inde. Et on ne peut avoir de sac dans les chambres."
Il évoque aussi les halls squattés pendant l’hiver. « On a eu quelques problèmes avec les concierges mais tant qu’on respectait les lieux, ils ne nous embêtaient pas trop. » On ? « On est souvent en binôme. On est tous dans la merde dans la rue. Autant s’entraider. »
« On s’occupe facilement »
Pour le jeune homme, placé en foyer à 15 ans, la plus grosse difficulté, "ce n’est pas tant de vivre en rue. On s’occupe facilement pendant la journée."
Et notamment à faire la manche. "Ce n’est pas ce que vous croyez, lance le jeune. Ce n’est pas juste s’asseoir et tendre la main. Pour moi, c’est un appel à l’aide, c’est avoir des contacts humains hors SDF."
Face à l’interdiction de mendier en centre-ville, "il m’est arrivé de me faire embarquer par les flics. Tu te fais prendre l’argent que tu as reçu et tu passes entre 3 à 8h au cachot. Et le pire, c’est que tu te fais voler tes affaires laissées sur place. Ils ont aussi une fois laissé mon animal ! Il y a des droits à respecter, on n’est pas des bêtes."
La drogue, Tim en consomme, comme la plupart des SDF, dit-il. "Ça nous fait oublier notre calvaire. Je n’arrive toujours pas à m’en sortir mais je ne me laisse pas aller."
Drogue
Même si le jeune homme émarge au CPAS et bénéficie d’un revenu d’intégration sociale (1 150 €), "l’argent part vite, à cause de la drogue…"
Retrouver un logement ? Il a essayé. "Mais les propriétaires se méfient des jeunes avec un RIS." Un travail ? "Ce n’est pas facile. À la rue, il est souvent 3h du matin quand on s’endort et on ne se réveille pas avant 15 h. Une vie de travail est incompatible avec la vie de rue."
Avec l’aide de son binôme plus âgé, Tim a appris où aller se laver, faire sa lessive, manger.
C’est un autre jeune sans-abri qui va l’aiguiller il y a cinq mois vers le Service Droit des jeunes (SDJ) de Namur. L’ASBL, qui veille au respect des droits des 0-22 ans, a vu son nombre de dossiers exploser en 2021 et devenir de plus en plus complexes.
Des jeunes dans la rue comme Tim, Johanne Wyns, la directrice, en croise de plus en plus. "On est face à une génération qui est en souffrance en termes de droits: il faut remplir des tonnes de papiers pour le chômage, les allocations… ils doivent sans cesse justifier leur situation. J’ai l’impression que c’est aux moins outillés que l’on demande le plus. Il devrait y avoir un droit à l’erreur, surtout à cet âge-là, et il n’y en a pas beaucoup."
« Abîmés par la vie »
Johanne est frappée par les jeunes qu’elle rencontre: "Ce sont des jeunes très abîmés par la vie. Il y a aussi un gros problème de consommation de drogue, avec des quantités folles très tôt. Certains me disent avoir bousillé leur rein avec de la kétamine à seulement 19 ans."
Assis aujourd’hui en face de Johanne, Tim s’est au début demandé ce que le SDJ pouvait faire pour lui. Ces jeunes manquent souvent de confiance envers les institutions. " Je me suis dit qu’ils pourraient passer quelques coups de fil, parce que je n’avais pas de téléphone, se rappelle Tim. M’aider avec mes dossiers CPAS,… parce que c’est compliqué. Ils sont venus plusieurs fois me chercher en rue, pour mes rendez-vous. Parce que je n’ai pas l’heure et que la drogue peut prendre le dessus…"
Le SDJ lui trouvera un premier logement: un kot étudiant grâce à un propriétaire connu du service.
"La première nuit fut horrible, se souvient Tim. On se retrouve seul, dans un endroit fermé. On n’a plus l’habitude. On est dans un bâtiment qu’on ne connaît pas. On n’est pas à l’aise." La cohabitation sera compliquée. "Les SDF font beaucoup de collectif. À un moment, ils n’en veulent plus", avance Johanne du SDJ. "On a besoin d’intimité", dit Tim.
« Un toit, une priorité »
Depuis septembre, le jeune homme habite un studio qu’il paie 350 € par mois. Il doit partager la toilette et la douche avec ses voisins de palier.
"Il y a des trucs qui ne leur plaisent pas, je sais. Mais les SDF, ce sont mes potes et s’ils veulent passer chez moi, ils n’ont rien à dire. Pour les gens, on est tous des fouteurs de merde. Ça fait mal de l’entendre. Il faut arrêter ces préjugés. Il y a des SDF méchants, gentils, respectueux, irrespectueux, comme partout."
Avec un toit au-dessus de sa tête, Tim peut désormais songer à l’avenir. "Un logement est une priorité en soi lorsqu’on veut se reprendre en main, retrouver du travail, une vie sociale… C’est ce qui va tout débloquer car j’ai désormais une adresse."
Tim aimerait reprendre une formation pour travailler en toiture ou en tant que grutier, et essayer de diminuer la drogue. "Je vais vers un mieux. Ça fait partie de ma vie et j’espère que ça ne me retombera plus dessus. Mais le sans-abrisme peut tomber sur n’importe qui. On n’est jamais à l’abri."
Et quand on lui demande ce qui l’aurait aidé à sortir plus vite de la rue: « les services ne sont pas toujours connus, les propriétaires pourraient être plus ouverts. Mais ce qui aurait pu m’aider, c’est surtout moi-même. J’avais peur de demander de l’aide. En tant que jeune, on est borné, on veut s’en sortir tout seul et on ne va pas chercher les mains tendues. » Des mains que l’on accepte souvent « quand on est au bout du bout »: « Quand on a la corde autour du cou et qu’on se dit “p…, je fais quoi là”. »
