Les médias de service public à la croisée des chemins
Dans le paysage audiovisuel européen, le modèle belge par dotation se distingue de ses voisins et leurs redevances.
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Publié le 10-05-2022 à 07h00
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Le mois dernier, la VRT – l’équivalent flamand de la RTBF – annonçait un nouveau plan de transformation prévoyant, notamment le licenciement de 116 personnes d’ici 2025, soit un dixième de son personnel.
Mais la chaîne publique flamande n’est pas la seule à souffrir en ces temps difficiles. Outre-Manche, la BBC s’est vu geler pour deux ans par le gouvernement de Boris Johnson la redevance qui la finance, échappant ainsi à pire. En France, Emmanuel Macron a annoncé lors de la récente campagne présidentielle son intention de supprimer cette même redevance, pour la remplacer par une dotation, à l’instar du modèle belge actuel.
" Ce système permet à la fois l’avantage et l’inconvénient de ne plus installer un rapport direct avec le public ", observe le professeur Frédéric Antoine (UCLouvain). En d’autres termes: le financement ne dépend plus du nombre de téléspectateurs potentiels, mais est intégré dans une logique de contrat de gestion entre le pouvoir politique (la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le cas de la RTBF) et le média.
Solidarité
" En Suisse, voici quelques années, une votation a été organisée sur le fait de savoir si la population souhaitait continuer à financer le service public , évoque le professeur. Pour les jeunes du parti de droite à l’origine de cette initiative, ceci partait du principe: “Pourquoi payer quelque chose que je ne regarde pas” ". La Suisse avait finalement opté pour le maintien de cette redevance.
"E n réalité, tout ceci nous renvoie au débat sur la solidarité , poursuit Frédéric Antoine. Il existe actuellement une logique de consommation qui fait que les gens se disent aujourd’hui que ceux qui regardent ces médias n’ont qu’à payer. C’est ce débat qui est en train de se jouer au Royaume-Uni. "
Supprimer la redevance – comme la Belgique l’a donc fait depuis maintenant quelques années – nécessite d’autres moyens de financement, comme le sponsoring ou le mécénat dans le chef de la VRT, et bien sûr la publicité, ce qui va nécessairement impacter la programmation.
Ambition
" On ne peut pas dissocier l’ambition du financement ", nous confiait d’ailleurs récemment Jean-Paul Philippot, CEO de la RTBF. " Réduire la pub et ne pas avoir un financement qui compense à l’euro près, cela signifie: on réduit la pub et le niveau d’ambition. Si on veut conserver le même niveau d’ambition culturelle et économique locale, l’opérateur public est le seul sur lequel les pouvoirs publics ont une influence en termes de mission. "
Un service public en quête de légitimité
Pour faire face à la concurrence rude d’un secteur en pleine révolution, le service public doit opérer un choix.
" Soit ils jouent sur le même terrain que les acteurs du privé mais acceptent alors les mêmes règles du jeu, quitte à se montrer différents dans certaines nuances; soit ils décident de rester en dehors du terrain et proposent alors un type de contenu que l’on ne retrouvera pas chez les acteurs privés du secteur ", résume le professeur Frédéric Antoine (UCLouvain), au moment d’évoquer le choix qui se pose aujourd’hui aux médias relevant du service public.
Certains médias tentent aussi de jouer sur les deux tableaux. Un peu comme ARTE, service public plurinational, dont une partie de la programmation est plus populaire qu’elle ne l’était auparavant.
Collectivité
La RTBF aussi: avec trois chaînes de télévision, elle propose une offre variée avec, notamment sur La Trois, une programmation que l’on ne retrouve pas nécessairement chez les opérateurs privés. Toutefois, " il est inconcevable de définir la stratégie d’un média public comme étant ce que le privé ne fait pas ", déclarait le mois dernier Jean-Paul Philippot à nos confrères de L’Écho .
" Le service public est né à une époque où il n’y avait pas assez d’ondes, de fréquences , rembobine le professeur Antoine. Le but était d’aider à émettre des programmes, au service de la collectivité.Or, aujourd’hui, il y a tellement de moyens qui existent pour diffuser du contenu que cela remet en cause la légitimité de ce service public. Trouver sa place lui est donc difficile aujourd’hui ." Et on en revient ainsi à la question du terrain de jeu qu’un service public doit/veut occuper.
Cohérence
" Cette question est actuellement fort discutée au sein de l’Union européenne de radiotélévision (UER), laquelle cherche à définir la spécificité du service public ", observe encore le professeur.
Et tandis que d’autres discussions, celles sur le futur contrat de gestion de la chaîne publique belge francophone, ont débuté, son CEO nous confiait en amont " qu’il y a un lieu étroit entre les ressources dont on dispose et la manière dont nous pouvons rencontrer nos ambitions ".
Jean-Paul Philippot y voit là l’un des quatre " champs de cohérence " qui devront dicter l’élaboration de ce futur contrat de gestion.
Un autre de ces " champs de cohérence " sera le projet culturel dont le politique souhaitera doter la RTBFpour les 4 prochaines années. On devrait commencer à y voir plus clair cette semaine avec l’audition du CSA devant la Commission Médias du Parlement de la FWB.