Handicap International a 40ans: «On ne peut pas que recevoir, il faut aussi donner», nous dit Axelle Red
Handicap International célèbre ses 40 ans ce 4 avril. Ambassadrice de l’ONG depuis 2017, Axelle Red évoque son combat.
Publié le 04-04-2022 à 07h00
Axelle, Handicap International a 40 ans aujourd’hui et avec le conflit en Ukraine, on voit qu’elle a toute son utilité…
Oui, malheureusement. Je suis vraiment admirative pour ces gens qui ont fondé cette ONG. Il faut un grand courage.
Comment a commencé votre engagement?
Quand j’étais étudiante en droit à la fin des années 80, je suis partie au Vietnam avec mon petit copain Philip, qui est ensuite devenu mon mari. Le pays avait encore les frontières fermées, mais grâce à des connaissances, on a pu y entrer. Nous avions un guide et très peu de liberté. Mais on a quand même croisé de nombreuses victimes de l’agent orange (NDLR: herbicide employé par l’armée américaine pour détruire la jungle), des gens sans jambe, sans bras…
Je ne les ai jamais convaincus de signer, mais ils suivent quand même les règles. Je me dis que mes paroles ont peut-être eu un impact…
C’était la première fois que vous étiez confrontée à ça?
Oui, et c’était horrible… Quelques années plus tard, en 1997, donc bien avant que je devienne officiellement leur ambassadrice en 2017, Handicap International m’a demandé si je voulais être la marraine du traité contre les mines antipersonnel. Après avoir vu ces victimes au Vietnam, j’ai évidemment dit oui. C’était un engagement fort pour moi. J’ai dû faire un discours et je me vois encore m’adresser aux États-Unis qui ne voulaient pas signer le traité. J’ai parlé très naïvement pour essayer de les convaincre. Je ne les ai jamais convaincus de signer, mais ils suivent quand même les règles. Je me dis que mes paroles ont peut-être eu un impact… C’est évidemment une goutte d’eau dans la mer, comme tout ce que j’ai fait dans ma vie en tant que personne engagée. Mais c’est ma contribution.
Ces valeurs que vous défendez, ce sont vos parents qui vous les ont inculquées?
C’est vrai que mes parents étaient dans la justesse et qu’ils m’ont transmis cette valeur. Mais j’ai aussi une très grande sensibilité, et mes paroles et la musique me servent souvent de thérapie. Et puis, j’ai toujours eu aussi envie de rendre quelque chose aux gens. Dans la vie, on ne peut pas se contenter de recevoir, il faut aussi donner.
Pour des raisons économiques, on reste sourd ou aveugle face à des tyrans qui finissent par commettre des atrocités.
L’histoire se répète en Ukraine, avec de nombreux civils touchés par les bombardements, obligés de s’exiler…
Pendant des années, essentiellement pour des raisons économiques, on reste sourd ou aveugle face à des tyrans qui finissent par commettre des atrocités qui ont des répercussions sur un pays puis le monde entier. Cela m’attriste car je trouvais que l’on était dans une spirale positive pour avoir un monde meilleur, Mais cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas continuer la lutte. Il ne faut pas se décourager. Ceux qui en paient le prix aujourd’hui, ce sont les Ukrainiens. Mais les ONG sont sur le terrain et agissent. Et ça, c’est merveilleux.
Le terrain, vous y êtes allée aussi…
Oui, de nombreuses fois. Parfois même c’était à la limite dangereux. À l’automne, je me rendrai en Colombie pour rencontrer des femmes démineuses. Je suis toujours disponible pour une cause urgente (NDLR: elle soutient la nouvelle campagne Stop Bombing Civilians).
Votre engagement se traduit aussi dans votre répertoire…
Oui. On peut dire que la moitié de mon répertoire, ce sont des chansons engagées. Il n’y a pas de hasard.
Humainement, est-ce que cela vous coûte?
Cela m’a laissé beaucoup de traumatismes. J’ai pu évacuer beaucoup de choses à travers mes chansons, mais il y a encore beaucoup de choses qui sont toujours là. Je pense que j’aurais moins souffert si j’étais restée parfois plus longtemps sur le terrain. C’est parfois assez cruel de devoir partir après quelques jours. C’est le prix que je paye, mais je l’accepte et je suis toujours prête à le payer. Les projets et les gens que j’ai vu m’ont tellement enrichie.
Si tout le monde met une goutte, la mer change de couleur.
Vous êtes officiellement ambassadrice de Handicap International depuis 2017. Y a-t-il une action dont vous êtes particulièrement fière?
Non, je suis fière de tout ce que j’ai réalisé. Pendant des années, j’ai minimisé ce que je faisais, en pensant que ce n’étaient que des gouttes d’eau dans la mer. Mais c’est comme ça que le monde évolue. Si tout le monde met une goutte, la mer change de couleur. Et plus nous sommes nombreux, plus on inspire de gens dans le monde pour faire évoluer les choses. Il y aura toujours des dictateurs… Mais cela n’empêche pas le monde d’évoluer. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de jeunes prêts à se battre.
Un grand enjeu pour les années qui viennent, c’est le réchauffement climatique et la crise migratoire qui va s’amplifier…
Oui, et face à des événements de cette ampleur, on se demande toujours par où commencer… La réponse, c’est qu’il faut agir à tous les niveaux de la société: dans l’économie, dans l’éducation des enfants… Et nous, les adultes, nous devons aussi être capables d’évoluer et continuer à apprendre des choses.
J’ai l’impression que pour cette guerre en Ukraine, beaucoup de gens se bougent et font des petites choses.
Vous êtes optimiste pour le futur?
Je suis née optimiste. Mais je suis aussi très sensible, donc je lutte pour garder ce positivisme. J’ai mes chansons et mes actions pour ça. Et j’ai l’impression que pour cette guerre en Ukraine, beaucoup de gens se bougent et font des petites choses. Ils agissent et c’est donc positif.
Cela a été moins le cas lors de la guerre en Syrie…
C’est vrai… On a peur de la différence de religion, de la différence de couleur… L’ignorance est dangereuse et nous fait faire des actions injustes.
Vos trois filles ont la même fibre que vous?
Oui, car elles ont grandi avec mon engagement. Je leur ai montré suffisamment d’injustices dans le monde… Et puis elles ont hérité de ma sensibilité. Elles ont envie de se réaliser elles-mêmes, mais elles ont aussi envie de rendre. J’ai réussi à leur transmettre ça.
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