L’école face aux comportements radicaux de parents
Les comportements et attitudes inappropriés de parents par rapport au cadre scolaire tendent à se multiplier mais restent toutefois minoritaires, selon une enquête de l’Ufapec. La crise sanitaire a exacerbé cette tendance.
Publié le 01-02-2022 à 07h00
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Ce sont les remontées du terrain – des parents fâchés que l’école ne rencontre pas leurs attentes et des directions démunies face à l’agressivité de certains d’entre eux – qui ont amené l’Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique (Ufapec) à sonder les directions d’écoles du fondamental et du secondaire à propos des comportements radicaux de certains parents.
1.Comportements radicaux
Ce terme désigne des attitudes et positionnements extrêmes et inappropriés au cadre scolaire de tous ordres, sans aucune connotation religieuse ou politique, précise l’Ufapec. Ce sont des parents qui se plaignent que leur enfant ne puisse pas manger vegan à la cantine, qui refusent qu’il participe aux voyages scolaires ou se rende à la visite médicale,…
"Ces parents font passer la gestion d'un groupe qu'est la famille à la gestion d'un autre groupe social qu'est l'école, explique Bernard Hubien, secrétaire général de l'Ufapec. Ils exigent que leur enfant puisse faire à l'école ce qu'il peut faire dans le cadre familial. La perception de ce qui est permis et de ce qui est interdit est de plus en plus floue. C'est aussi le cas concernant la personne qui détient l'autorité."
2.Champs pédagogique et éducatif
Les tensions entre familles et écoles se cristallisent principalement autour des champs pédagogique et éducatif. Dans le top 5 établi par les directions d’écoles, figurent les parents qui légitiment tout comportement de leur enfant dans le cadre de l’école (68%), ceux qui veulent se mêler des sanctions (65%) ou de la pédagogie (63%). Viennent ensuite les parents qui refusent que leur enfant participe aux voyages scolaires (56%) et ceux qui légitiment une forme de décrochage scolaire (50%).
3.Impact de la crise sanitaire
Le Covid a mis rudement à l'épreuve la collaboration école-familles. Pour 65% des répondants, la crise sanitaire a généré des comportements radicaux dans le chef des parents, " y compris parmi ceux qui ne sont habituellement pas dans ce type de posture ", souligne Bernard Hubien. Un directeur explique ne pas reconnaître certains parents "qui se permettent des communications écrites ou orales "agressives" envers les enseignants ou la direction". 58% des directions estiment être confrontées à plus de radicalité parentale qu'avant la pandémie. "Les revirements incessants des responsables politiques tout comme le manque de pédagogie dans leur communication ont favorisé ces comportements radicaux", pointe le secrétaire général de l'Ufapec.
4.Et des réseaux sociaux
Les parents qui se montrent insultants et agressifs envers l’école exposent volontiers leurs griefs au nouveau tribunal populaire que sont devenus les réseaux sociaux.
5.Gestion énergivore
Les directions sont en première ligne pour désamorcer les tensions avec les parents. La plupart (96%) proposent des rencontres individuelles, 68% mettent l'accent sur l'information et la sensibilisation. "Je perds beaucoup de temps à désamorcer, à calmer, à remettre mon cadre. Énergivore!Et pourtant, il faut que je le fasse car je parviens à éviter les mises en action", regrette l'un de répondants. Un constat partagé par 50% des directions. Les associations de parents et les conseils de participation sont très peu sollicités.
Je perds beaucoup de temps à désamorcer, à calmer, à remettre mon cadre. C’est énergivore!
6.Tensions au sein des écoles
Est-ce que les positions extrêmes de certains parents divisent la communauté éducative? Pas vraiment. Près d’une direction sur deux (48%) fait part de tensions entre l’équipe éducative et les parents (48%) ou de tensions parmi les enseignants (26%). 41% des répondants signalent l’absence de tensions. Une grande partie d’entre elles serait désamorcée par le dialogue avec les parents concernés, explique l’Ufapec.
Le parent fait passer son intérêt individuel, celui de son enfant ou de sa famille avant l’intérêt collectif, articulé autour du vivre ensemble à l’école.

Comment expliquer l’attitude radicale dont certains parents font preuve à l’égard du cadre scolaire?
Dans son étude, l’Ufapec évoque une première piste, celle de l’individualisme.
"Les comportements radicaux de parents auxquels nous nous intéressons peuvent être des positionnements de personnes centrées sur la singularité de leur enfant et de leur famille, sur l'individualisme. Ces familles ont tendance à considérer que l'école doit s'adapter aux besoins de l'enfant et non l'inverse. Dans une société où prime l'épanouissement de chaque individu, cela n'est pas surprenant".
Autre explication avancée, l’hyperparentalité. L’enfant-roi a progressivement cédé la place au parent-roi. Hyperprotecteur, ce dernier a tendance à développer des comportements radicaux car il pense avant tout et uniquement à ce qui est bon pour son enfant, faisant passer l’intérêt de celui-ci avant l’intérêt collectif, indispensable au bien vivre ensemble au sein de l’école.
"Le parent-roi ou hyperparent se projette dans son enfant et est incapable de prendre en compte le point de vue des autres acteurs. Il pense avant tout à l'épanouissement de son enfant, selon ce qu'il souhaite et considère bon pour lui. Dans ce sens, il défend des revendications individuelles pouvant mettre à mal le projet collectif de l'école.
Le droit de demander des comptes
On peut aussi imaginer que le consumérisme qui caractérise notre société contemporaine gagne le milieu scolaire, avance l'étude de l'Ufapec. "L'élève et les parents se considèrent comme des clients de l'école et, dans ce sens, ils estiment avoir le droit de lui demander des comptes sans qu'ils tentent de comprendre le fonctionnement de l'institution scolaire", explique Bernard Hubien, secrétaire général. Si chaque élève vient à la cantine en demandant un régime particulier, cela devient ingérable. Les écoles font ce qu'elles peuvent pour répondre à certaines demandes, dans la limite du raisonnable et avec les moyens qu'elles ont…".
Et de citer en appui le constat posé par Georges Fotinos au terme d'une enquête menée en 2014 auprès des directions des établissements scolaires français. "On peut considérer que 30 à 40% des parents se comportent en "consommateurs" revendicateurs, explique l'ancien inspecteur de l'éducation nationale française. Ce n'est pas la majorité, mais c'est un chiffre inquiétant. Il y a deux mondes qui s'opposent. La preuve, c'est que la plupart des conflits sont centrés sur les punitions et les sanctions données par le corps enseignant aux élèves. Cela signifie que certains parents ne reconnaissent plus l'autorité de l'école sur leurs enfants".
La place des parents dans l’école
Le partenariat école-familles est relativement récent mais il fait désormais partie intégrante de la dynamique scolaire.
La collaboration parents-école est une dynamique récente. Longtemps, les parents ont été maintenus derrière les grilles, soumis à un rapport hiérarchique, le maître étant le seul détenteur du savoir. Chacun avait un rôle distinct: le maître instruisait, les parents éduquaient.
Progressivement, les parents se sont impliqués dans la communauté éducative via les associations de parents. Les mentalités ont évolué, le partenariat école-familles est désormais considéré comme un levier dans la scolarité de l’élève. Il faudra tout de même attendre 1997 pour que les parents obtiennent une première reconnaissance légale au sein de l’école via le décret Missions qui instaure l’obligation de constituer un conseil de participation au sein de chaque établissement scolaire. Cet espace de dialogue et de débat réunit tous les acteurs scolaires.
En 2005, sous la législature de la ministre Marie Arena, le renforcement du dialogue école-familles est l’une des dix priorités de l’école, inscrites dans le Contrat pour l’école.
Depuis le 30 avril 2009, les associations de parents et leurs organisations représentatives disposent d’un cadre légal. Parents et enseignants sont reconnus officiellement comme partenaires et acteurs de l’école, chacun ayant ses spécificités. Un partenariat qui devrait encore être consolidé via les plans de pilotage dont l’un des objectifs est d’accroître les indices du bien-être à l’école et améliorer le climat scolaire.