65 ans et toujours enseignant: "la passion" pour faire face à la pénurie
Tandis que la pénurie d’enseignants frappe de plus en plus fortement les écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles depuis bien avant l’apparition du Covid-19, quelles sont les solutions qui existent pour contrer cette tendance? Décryptage.
Publié le 26-01-2022 à 09h00
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/K7FQWBH6ARDVXLQKYFI7FU3NSQ.jpg)
Avec la fin du mois de janvier arrive traditionnellement l’une des périodes les plus redoutées des directions d’école en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Car c’est à cette époque de l’année scolaire que le manque d’enseignants se fait le plus sentir. Et si elle n’a fait que renforcer cet état de fait, la crise sanitaire n’est pas à l’origine de tous les maux.
Problème structurel
"La période allant de la mi-janvier à fin février est effectivement de loin la plus haute en matière de congé maladie", nous confirme ainsi WBE, le plus gros pouvoir organisateur au sein de la Fédération. Mais à travers cette question de l'absentéisme en période hivernale, c'est surtout la problématique de la pénurie, structurelle cette fois, d'enseignants qui rejaillit.
Or, les derniers chiffres dévoilés par l’Administration générale de l’enseignement le démontrent: le phénomène ne cesse de s’aggraver.
Pensionnés en classe
Afin de lutter contre cela, l'une des mesures récemment décrétées admet la prolongation de carrière pour les enseignants ayant atteint l'âge de la pension (65 ans), mais désireux de continuer à enseigner. Nicolas est de ceux-là: professeur en école secondaire, il se dit "heureux" de pouvoir ainsi poursuivre sa "passion".
Pourtant, cette situation s'accompagne de nombreuses conditions et limitations (+ plus d'infos ici). Et elle n'est autorisée que pour les fonctions considérées en pénurie. "C'est même quelque peu injuste et discriminatoire, souffle Nicolas. J'aime mon métier et je me donne à fond. En quoi mon âge est une limite?"
D'autant que, pour pouvoir rester dans sa classe, Nicolas a dû renoncer à sa nomination: "Cela signifie que, jusqu'au 31 août, je ne sais jamais si je serai réengagé. Il suffirait d'une réaffectation pour que je saute. Cela engendre du stress."
«Piste» à défaut de «solution»
Des profils comme celui de Nicolas sont rares. " Et ce n'est pas une solution d'avenir contre la pénurie", juge Joseph Thonon (CGSP-E). "Je ne dirais pas que c'est une solution, mais cela reste une piste, nuance Nicolas. Si nous sommes 15 dans le cas, ça fait 15 emplois pour lequel la Fédération ne doit pas se tracasser."
En décembre, ils étaient 73 dans le cas (fondamental et secondaire, ordinaire et spécialisé): une goutte dans l’océan, mais une goutte qui aide à remplir ce même océan.
Quelques pistes explorées par le politique
Soutien à la réorientation vers les métiers d’enseignement, un groupe de travail, nouveau décret: les initiatives ne manquent pourtant pas.
Au sein du cabinet de la ministre de l’Éducation Caroline Désir, plusieurs pistes sont actuellement sur la table afin de lutter contre les problèmes de pénurie.
"Le Gouvernement a chargé la ministre de l'Éducation de dégager des pistes pour mieux soutenir les parcours de réorientation professionnelle pour les enseignants de seconde carrière avec un focus spécifique pour les cours de langues modernes, indique ainsi le cabinet. Pour ce faire, la ministre a réuni un groupe de travail composé des services du Gouvernement et des représentants de la Fondation pour l'Enseignement."

Par ailleurs, "à l'initiative de la ministre, le Parlement a voté dès juillet 2020 un décret comprenant plusieurs mesures concrètes de lutte contre la pénurie". Parmi les mesures jugées phares de ce décret, le cabinet de la ministre pointe "une stabilisation des enseignants débutants plus rapide " à travers la déclaration de vacance pour une fonction dont le titulaire n'a pas réintégré le poste après un congé de 4 ans (NDLR: il s'agit d'un congé appelé "détachement", octroyé à un enseignant pour l'exercice d'une fonction à titre temporaire généralement dans l'enseignement ou un centre PMS), une meilleure mobilité des enseignants entre les réseaux via "la valorisation de l'ancienneté au-delà de son pouvoir organisateur ", la "simplification du décret Titres et Fonctions" (lire ci-dessous) et "la réduction du nombre de barèmes " via une harmonisation entre les barèmes liés aux "titres de pénurie" et à ceux de "pénurie non listés" (lire ci-dessous).
Dans le cas précis de la pénurie de profs de langue, Caroline Désir a par ailleurs indiqué qu’était actuellement à l’étude un projet visant à reconnaître la réussite d’examens présentés devant un (ou plusieurs) organismes(s) national(-aux) comme titre de capacité.
Enfin, la formation en cours de carrière "accordera, par ailleurs, une attention particulière au moment de l'insertion professionnelle à la formation des débutants", précise encore le cabinet de la ministre.
Des titres «requis», «suffisants» et «de pénurie»
Entrée en vigueur en septembre 2016, la réforme dite "des Titres et Fonctions" réglemente quant à elle l'accès à l'engagement, hiérarchise les titres de capacité (diplôme, titre pédagogique, certificats complémentaires ou expérience utile) et établit une liste exhaustive des titres dits "de pénuries ".
Cela signifie concrètement que, pour chaque fonction d'enseignement (qui est définie par le type de cours, le niveau d'enseignement et la matière concernée), sont définis les titres "requis " (TR), "suffisants " (TS) et "de pénurie " (TP) qu'un candidat peut valoriser lors de son engagement; on parle en outre de titre "de pénurie non listé " (TPnL) lorsqu'aucun titre de capacité ne peut être valorisé.
Le système prévoit ainsi la priorité aux titres requis et suffisants. De plus, chaque fonction enseignante et chaque titre de capacité correspond à un barème précis.
Depuis le septembre 2020, si une différence de traitement subsiste, il n'y a par contre plus de différence de priorité à l'engagement entre les titres "requis" et "suffisants" pour le recrutement d'un nouveau membre du personnel (ou de quelqu'un qui n'a pas assez d'ancienneté pour être prioritaire et/ou nommé) (+ plus d'infos sur la modification de cette réforme pour le fondamental ici et pour le secondaire ici).

"Ensuite, il y a les conditions actuelles de travail qu'il faut améliorer, poursuit Joseph Thonon. Beaucoup trop d'enseignants abandonnent tôt leur carrière en raison d'une trop forte pression. Or, celle-ci ne vient pas forcément de la tâche qui consiste à enseigner, mais plutôt de contraintes extérieures, comme les nombreuses réformes en cours, les tâches administratives ou encore la taille des classes."
+ LIRE AUSSI | Préavis de grève dans les écoles : " Vous dites qu’on est essentiel ? Prouvez-le nous ! "
En Fédération Wallonie-Bruxelles, la taille moyenne des classes est de 13 élèves par ETP (équivalent temps plein) dans le fondamental et de 9,4 élèves dans le secondaire. Mais dans la réalité, ce chiffre ne veut pas dire grand-chose. " En cinquième et sixième années du secondaire, il n'est pas rare qu'un enseignant se retrouve devant 30 élèves, remarque Joseph Thonon. Et en primaire, la dérogation pour dépasser le nombre de 25 élèves par classe est de plus en plus souvent demandée. De plus, ces classes bondées sont souvent données à de jeunes enseignants. "
+ RELIRE | Nos profs sont-ils bien payés ? " Ce serait un peu simpliste "
Quant à la dernière dimension soulevée par le président communautaire, "il s'agit enfin de la formation en cours de carrière qui pourrait elle aussi être améliorée."
"Tout le reste ne serait qu'un plâtre sur une jambe de bois, conclut Thonon. Il n'y a donc pas de secret: il faut attirer les gens vers le métier. Les solutions, on les connaît, mais on est aussi face à une Fédération qui est désargentée…"
+ RELIRE | Fédération Wallonie-Bruxelles : " L’heure est venue de faire preuve de courage politique "

Un outil à sens unique
Installé depuis la rentrée 2016, le projet PRIMOWEB est un autre outil destiné à lutter contre la pénurie. Celui-ci consiste en une plateforme virtuelle sur laquelle les candidats enseignants se montrent disponibles pour venir enseigner là où les écoles sont en manque d'effectif (+ accéder à l'outil ici).
Petit bémol toutefois, souligné notamment par le Setca-SEL: si cette plateforme offre en effet aux écoles la possibilité de prospecter le marché et de trouver ainsi des enseignants pour leurs postes vacants, "elle ne permet pas aux candidats enseignants de consulter la liste des postes vacants ni même de déposer sa candidature pour un poste spécifique. Pourquoi cela ne marche-t-il que dans un sens? "

RELIRE | Bilan de la rentrée ? Les écoles secondaires cherchent des profs bacheliers d’urgence !
Dans le degré supérieur, il s’agit des professeurs de géographie (44%), de philosophie et citoyenneté (39%), de morale ou religion (32%), ainsi que de math (26%) qui sont les plus nombreux à ne pas détenir de titre requis ou suffisant pour exercer la fonction. On notera que le constat est encore plus marqué dans l’enseignement professionnel où plus de la moitié des enseignants de pratique professionnelle (58% au degré inférieur; 55% au degré supérieur) ne possèdent qu’un titre de pénurie ou non listé.
Dans le degré supérieur du secondaire, un prof de math sur deux ne dispose pas du titre requis.
Source: Les indicateurs de l’enseignement 2021.