La contraception masculine, ou l’ultime combat?
Une bande dessinée-enquête ("Les contraceptés") relance le débat autour de la contraception masculine. Et propose aux hommes et aux femmes de le régler ensemble.
Publié le 29-12-2021 à 08h00
On ne peut pas encore véritablement parler de lame de fond, mais le sujet avance, doucement, jusqu'au cœur battant de notre société (voir ci-contre). Non, la contraception masculine n'est plus un tabou, même si elle vient de loin. "Quand on a commencé à travailler sur le sujet, se souvient Stéphane Jourdain, auteur, avec Guillaume Daudin et Caroline Lee, d'une bande dessinée sur la question, on s'est aperçu que ça faisait 40 ans qu'on annonçait, de façon imminente, la pilule contraceptive pour hommes. Mais 40 ans plus tard, elle n'est toujours pas là… "
L'idée d'un livre sur la question est apparue par hasard, au détour d'un dîner, quand, posée sur la table, elle a divisé la petite assemblée d'amis venus festoyer: "On a vu, relaie Stéphane Jourdain, que le sujet faisait surtout réagir les nanas. La preuve, sans doute, qu'on était là en présence du dernier château fort du patriarcat."
Les labos ou la grande muette
Un château fort aux allures de bastion imprenable, pour tout dire. Parce que si la question de la pilule contraceptive masculine, mais aussi des méthodes alternatives, a si peu évolué en un demi-siècle, c’est aussi parce qu’existait déjà, avec la pilule, une contraception féminine venue, au sortir des années 60, "régler le problème". Sauf que la solution reposait, une fois encore, uniquement sur les épaules de ces dames. Lesquelles doivent composer, depuis, avec les perturbations hormonales que suppose un tel traitement contraceptif. Et que les hommes n’entendent pas assumer à leur tour.
On ne dit pas que les hommes doivent se contracepter. Mais qu’il est temps de permettre aux couples d’en parler
"Et c'est vrai, poursuit l'auteur français, que la solution hormonale proposée aux hommes est très lourde, avec des injections quotidiennes à heures fixes. Mais ce sont des questions qui ne posaient aucun problème quand il s'agissait de les tester sur des femmes, dans les années 50 puis 60. On sait par exemple que la pilule a longtemps eu un effet négatif sur la libido. Or, c'est précisément l'un des effets secondaires que les hommes refusent de supporter."
Nous ne sommes plus, heureusement, dans les années 50, et des traitements moins invasifs que la méthode hormonale "classique" existent désormais, comme le fameux "slip chauffant" ou l'anneau contraceptif. "Ce sont des solutions qui, au départ, nous paraissaient nous-mêmes exotiques, ésotériques, voire barbares, reconnaît Stéphane Jourdain. Mais après avoir rencontré un tas de gens qui travaillent sur la question, on s'est aperçu que ça n'était pas du tout le cas. Notre propos n'est toutefois pas de dire que les hommes doivent se contracepter. Mais qu'il est temps de mettre le sujet sur la table et de permettre aux couples d'en parler. Ce n'est pas possible de continuer comme avant, avec cette espèce de main invisible du patriarcat qui fait qu'on n'a pas besoin de s'en occuper. À chacun, ensuite, de trouver la méthode qui convient à son couple. "
Reste toutefois un écueil et une limite à dépasser: la passivité d'une industrie pharmaceutique pas convaincue que se trouve là un véritable marché, porteur sur le plan économique. Et guère encline, donc, à pousser la recherche en matière de contraception masculine. "Commercialement, souligne Stéphane Jourdain, voir les femmes prendre une pilule quotidienne, et acheter une plaquette chaque mois est bien plus intéressant pour l'industrie pharmaceutique que de voir des hommes acheter, une fois de temps en temps, un anneau contraceptif. Ou subir une vasectomie. C'est un peu l'angle mort de notre enquête: les labos refusent d'en parler, et on ne sait pas s'ils travaillent sur la question. "
Profiter du sillage de #MeToo
La solution pourrait, finalement, venir des hommes comme des femmes – tout un symbole: "D'une part, si les femmes arrêtent de prendre la pilule, et elles sont de plus en plus nombreuses, ça pourrait ouvrir un marché, même si c'est moche à dire. Ensuite, de plus en plus d'hommes, essentiellement jeunes, s'emparent de la question. Il y a là un alignement des planètes qui va dans le sens de l'histoire: regardez, en cinq ans, les progrès qui ont été faits en matière de consentement et de charge mentale sous l'impulsion d'un mouvement comme #MeToo. Or, le sujet de la contraception se situe à mi-chemin entre ces deux sujets."