Financement des écoles: «Nous sommes face à une inégalité de traitement»
Selon la législation en vigueur en matière de financement de l’enseignement en Wallonie et à Bruxelles, les réseaux subventionnés sont censés recevoir 75% de ce que la Fédération alloue à son propre réseau. Or, on en est loin. Décryptage
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Publié le 29-10-2021 à 06h05
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Les querelles qui découlent de la question du financement de nos écoles ne datent pas d’hier. Depuis la première guerre scolaire au milieu du XIXe siècle jusqu’au tout récent dossier de rénovation des bâtiments scolaires à travers le plan de relance européen, le montant des dotations à pouvoir octroyer aux uns et des subventions à devoir accorder aux autres fait l’objet de nombreux conflits, de nombreuses négociations, mais aussi de nombreux accords.
Depuis quelques mois, la tension dans laquelle baigne le sujet semble cependant reprendre de sa vigueur. On en veut pour preuve la multiplication récente des recours introduits par le Secrétariat général de l’enseignement catholique (SeGEC) devant la Cour constitutionnelle, afin de faire valoir ses droits en la matière.
Une accumulation de dossiers sensibles
«Mais il ne faut pas parler d'un durcissement de nos positions, nuance Étienne Michel, le directeur général du SeGEC. Simplement, nous cherchons à négocier à chaque fois que c'est possible, mais nous recourons à ce type d'arbitrage à chaque fois que cela s'avère nécessaire. Or, depuis que le précédent Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a concrétisé l'autonomie de son propre réseau (NDLR: Wallonie-Bruxelles Enseignement), il est vrai qu'il existe une sorte d'addition de ces dossiers dans lesquels nous sollicitons l'arbitrage de la Cour constitutionnelle.»
Au cœur de l'action du SeGEC devant les tribunaux se trouve, globalement, la répartition des moyens octroyés par la Fédération aux différents réseaux d'enseignement. «Et là nous constatons une volonté politique de favoriser Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE)», assure Étienne Michel.
Manque de clarté
Selon la littérature juridique sur le sujet, laquelle comprend les textes fondateurs, les décrets d’organisation ou les arrêtés de jurisprudence, les différents réseaux d’enseignement subventionnés – le libre confessionnel, le libre non confessionnel, ainsi que l’enseignement communal et provincial – devraient recevoir 75% des dotations forfaitaires allouées au réseau d’enseignement organisé par la Fédération.
Or, «nous en sommes très loin», dénonce de député de l'opposition André Antoine (cdH).
Celui qui a participé à la plupart des grands accords sur la question depuis la fin des années 80 nourrit ce constat avec ce qu'il définit comme une «situation qui n'est pas claire. D'abord, il y a les récents ajouts de crédits destinés à financer unilatéralement la structure WBE (NDLR: et qui représentent plus ou moins 16 millions d'euros depuis 2019). Ensuite, le fait que les bâtiments scolaires de WBE appartiennent d'une part à la Fédération et d'autre part à des sociétés publiques d'administration des bâtiments scolaires obscurcit la situation, car c'est la Fédération qui par exemple finance les travaux via des dépenses en capital: on ne devrait plus parler dans ce cas de dotations, mais de subsides. Enfin, il existe une série de pratiques qui permettent à WBE de se décharger de certaines factures d'énergie par exemple sur divers fonds appartenant à la Fédération. La création de WBE devait apporter de l'autonomie et de la transparence, mais sur ce dernier point, on en est très loin.»
«Pas les mêmes conditions»
En d'autres termes, l'absence d'un inventaire exhaustif des moyens alloués par la Fédération aux écoles sous l'étiquette de «frais de fonctionnement» et commun à tous les réseaux rend la chose obscure.
Le cas des PAPO
Prenons l’exemple du personnel administratif et du personnel ouvrier (PAPO): tandis que WBE bénéficie de dotations supplémentaires affectées à ce poste budgétaire, il appartient au libre – et aux autres réseaux subventionnés – de puiser dans leurs subventions de fonctionnement ou d’autres fonds propres afin de rémunérer ce personnel.
«Les conditions ne sont donc tout simplement pas les mêmes pour chaque réseau, pointe encore le député. Nous sommes face à une inégalité de traitement. C'est d'autant plus discriminant à l'heure où toutes les mesures sont mises en œuvre pour uniformiser l'enseignement au sein de la Fédération: les diplômes sont équivalents, les règles d'inscriptions sont identiques et la gratuité de l'enseignement empêche qui plus est les écoles de se créer de fonds propres. Parce que c'est une erreur de croire que les congrégations religieuses mettent aujourd'hui des moyens à disposition des écoles du libre.»
«Deprez, le visionnaire»
Au-delà du débat de fonds, le débat sur la forme ne souffre d’aucune contestation possible: si l’on prend, de façon brute, le montant des crédits budgétaires octroyés, et qu’on y applique la «clé élève», laquelle consiste à diviser ces crédits par le nombre d’élèves dans chaque réseau, chaque type et chaque niveau d’enseignement, l’on arrive pour le subventionné loin des 75% pourtant promis depuis maintenant plus de soixante ans (lire ci-dessous).
Ce constat provient, notamment, de l’action décrétale opérée par l’exécutif francophone depuis plusieurs années afin de repousser l’échéance de mise en application stricte de cette clé des 75%.
«Je pense que Gérard Deprez a été visionnaire, conclut André Antoine. C'est lui qui a poussé pour que tout ce qui concerne l'enseignement se décide par décret. On ne peut pas toujours faire confiance au politique, avait-il clamé. Mais on peut par contre avoir confiance en la justice.»
Et ce n’est ni plus ni moins qu’une manière de concrétiser cette sorte de prophétie qu’illustre, aujourd’hui, l’action de l’enseignement subventionné devant les tribunaux. Et si le libre confessionnel mène aujourd’hui la fronde, il nous revient que d’autres pouvoirs organisateurs, émanant notamment de certaines communes, réfléchissent désormais à la possibilité d’imiter le SeGEC.
«Une incidence budgétaire de 442 millions d’euros»
Ardent défenseur de l’enseignement libre mais aussi ex-ministre du Budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles, André Antoine pose sur la table plusieurs solutions.
Pour le député cdH, trois solutions s'offrent aujourd'hui à la FWB si celle-ci entend «assurer l'égalité de traitement» entre les différents réseaux de notre enseignement.
La première consiste à imposer à tous les établissements de WBE le financement forfaitaire tel que prévu dans les Accords de la Saint-Boniface, c'est-à-dire sans aucun surplus; une solution qui entraînerait, selon les estimations du député, une «réduction drastique» dans les dotations allouées à WBE, à hauteur «de 75 millions».
«Une incidence budgétaire de 442 millions d’euros»
La deuxième consiste à respecter la proportion de financement prévue lors de ces mêmes Accords de la Saint-Boniface, concédant ainsi aux différents réseaux d'enseignement subventionnés 75% de ce que perçoit aujourd'hui WBE; toujours selon les estimations du député, cette solution entraînerait «une incidence budgétaire de 442 millions» pour la Fédération, qu'il faudrait donc réinjecter dans les finances du libre et de l'officiel subventionné.
La troisième consiste à reproduire le modèle flamand, lequel établit une égalité de traitement entre les différents réseaux, tempérée par une majoration (de 3 à 7,5% selon les réseaux) supposée répondre aux besoins organisationnels en matière de cours philosophiques; de quoi faire grimper l'incidence budgétaire «à 686 millions».
Il existe naturellement une quatrième solution, laquelle n’entraînerait aucune incidence budgétaire, mais qui consiste à reprendre à l’un pour donner aux autres…