Réformer les rythmes: «Bien plus que revoir les congés scolaires» (vidéo)
La Wallonie et Bruxelles s’apprêtent à vivre un tournant majeur, tant au niveau des rythmes scolaires que de l’accueil des enfants. On fait le point sur ces deux dossiers brûlants avec les ministres à la manœuvre de cette petite révolution, Caroline Désir et Bénédicte Linard.
Publié le 23-10-2021 à 06h05
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Trente ans. Il aura fallu trente ans pour concrétiser cette réforme des rythmes scolaires. Laquelle va inévitablement ébranler notre société. Pourquoi?
Caroline Désir: «Parce que comme elle va toucher absolument tous les pans de la société, tout le monde est concerné, tout le monde est impliqué. Et donc toutes les compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont touchées par cette réforme, laquelle présente l'originalité que, pour la première fois, on conçoit les rythmes scolaires au départ des besoins de l'enfant. Ça n'avait jamais été le cas précédemment. Et c'est aussi pour cela que nous travaillons sur cette réforme ensemble avec mes collègues du gouvernement.»
Bénédicte Linard: «L'idée, c'est de se dire que les politiques qui concernent les enfants doivent avant tout répondre aux besoins et aux intérêts des enfants. Car cette réforme, c'est bien plus que simplement revoir des congés scolaires.»
C’est-à-dire?

Bénédicte Linard: «Il s’agit de permettre à des enfants d’améliorer leur bien-être à l’école, c’est-à-dire d’être en phase avec leurs propres rythmes, en leur permettant d’avoir des temps de repos et de loisirs à côté de leurs périodes scolaires.»
Caroline Désir: «Tous les experts en chronobiologie le disent. L'idéal, c'est cette alternance entre les 7 semaines d'apprentissages et 2 semaines de congé. On n'y arrivera pas toujours, mais on sera entre 6 et 8, suivies de 2. Et ça, c'est l'idéal.»
Bénédicte Linard: «Mais c'est même un facteur d'émancipation, parce qu'on voit que réorganiser les rythmes sur une année, c'est travailler à la réduction des inégalités scolaires, voire même des inégalités sociales.»
De quelle façon?
Bénédicte Linard: «Il est prouvé aujourd'hui que plus le temps de vacances est long, plus la perte des apprentissages pendant ce temps est importante. Or, quand des enfants ont moins de milieux porteurs durant cette période, la perte des apprentissages est plus grande. Réduire de deux semaines les grandes vacances, c'est donc aussi permettre de réduire les inégalités scolaires et on sait que celles-ci sont en partie liées aux inégalités sociales.»
Caroline Désir: «C'est important notamment pour ceux qui sont le plus éloignés du monde scolaire, parce qu'ils ne parlent par exemple pas à la maison la langue de l'enseignement. Cette réforme va permettre de rencontrer les objectifs du Pacte, en luttant contre les inégalités et en améliorant notre enseignement de manière générale.»
Bénédicte Linard: «C'est aussi travailler sur ces inégalités sociales quand on permet à plus d'enfants d'avoir accès à des loisirs et d'y avoir accès à d'autres moments où ils peuvent s'épanouir, dans un cadre différent de l'école. C'est aussi pour cela que l'on travaille en parallèle à une réforme de l'accueil temps libre.»

Renforcer l’accueil en dehors des périodes scolaires
Ce changement de rythmes s’accompagne d’une série d’interrogations pour de nombreux parents, notamment en ce qui concerne les congés…

Caroline Désir: «Sur une année scolaire, il y 14 à 15 semaines de congé. Or, presque personne n’a ça comme congé, quand on est adulte. On aimerait bien! Mais donc, pendant ce temps-là, il faut occuper les enfants. Il faut que les enfants puissent se reposer mais aussi qu’ils puissent s’ouvrir à plein de choses et s’occuper intelligemment. C’est précisément là-dessus que nous travaillons.»
Bénédicte Linard: «Si je peux peut-être rassurer les familles, ce n'est pas parce qu'il y a des temps de vacances plus longs à certains moments dans l'année qu'il n'y aura pas de possibilités de temps d'accueil pour les enfants. Ça existe déjà, l'accueil temps libre! On a donc des acteurs et des actrices de terrain qui sont des professionnels de l'accueil de l'enfant, qui offrent un accueil de qualité. L'idée est de travailler avec eux et de les soutenir en mettant les moyens nécessaires pour renforcer cet accueil à des moments où il y a moins d'activités, parce que c'était jusqu'ici des temps d'école, c'est-à-dire durant les vacances d'automne ou durant le congé de détente. Nous voulons que ces périodes soient des temps privilégiés pour tous les enfants, mais aussi qui permettent à ceux qui ont un quotidien compliqué de souffler. Et cela soulagera aussi les parents. L'intérêt est de ne pas retomber dans ce que l'on connaissait il y a 30 ans et ce que l'on appelait «la garderie», qui n'est plus du tout ce qu'on fait aujourd'hui en matière d'accueil de l'enfant dans l'accueil temps libre.»
L’intérêt est de ne pas retomber dans ce que l’on connaissait il y a 30 ans et ce que l’on appelait «la garderie».
De nouveaux moyens vont-ils dès lors être dégagés pour cela?
Bénédicte Linard: «Il y a des moyens supplémentaires qui ont été mis sur la table tant pour les secteurs de Valérie Glatigny (NDLR: regroupés sous la thématique «Jeunesse») que pour les miens. À concurrence d'un million et demi pour chacun de ces deux secteurs. Et avec des clauses de rendez-vous: toute réforme nécessite à un moment donné de voir quel est l'impact financier potentiel sur les différents secteurs. On a donc évalué des premiers impacts, on a mis de moyens pour essayer de répondre à cela, qui permettront par exemple de délivrer de nouveaux agréments en matière d'accueil temps libre.»
Caroline Désir: «C'est aussi pour donner l'impulsion et accompagner les secteurs dans ce changement. Il ne va pas y avoir plus de congés et donc plus de périodes à occuper. Elles seront réparties différemment. Ça demande donc avant tout une nouvelle organisation.»
Bénédicte Linard: «Et cela va probablement aussi nécessiter un peu plus de décloisonnement entre les différents acteurs concernés. Je pense notamment aux coordinations accueil temps libre dans les communes. Il faudra par exemple voir si les locaux sont libres ou pas, s'il y a des synergies qui se font ou pas. Comme cela se fait déjà à certains moments. C'était aussi un enjeu pour nous: comment on répond à nos besoins en termes de locaux, d'accueil, d'infrastructure, et donc, oui, c'est sur la table, c'est prévu.»

Un manque de concertation?
S’il existe un consensus sur l’intérêt de cette réforme pour les enfants, certains disent regretter un manque de concertation ...
Bénédicte Linard: «Dire que ça manque de concertation, c'est faire fi de tout le trajet que cette réforme – ou en tout cas que cette thématique – a vécu depuis 30 ans.»

Caroline Désir: «On m’accuse parfois de vouloir mettre la charrue avant les bœufs. Or, je n’ai pris personne par surprise. On a concerté énormément les secteurs. D’abord avec la Fondation Roi Baudouin, qui l’a fait sous la précédente législature pour amener les conditions de la réforme. Quand nous sommes arrivés, nous avons continué à concerter de façon très large. Avec les acteurs de l’enseignement, bien sûr. Mais on a aussi rencontré le monde du soutien aux familles et à la parentalité avec la Ligue des familles, avocats.be et d’autres; on a rencontré le monde économique avec les fédérations patronales intersectorielles, l’horeca, le tourisme; on a rencontré le monde associatif, les organisations sportives et celles de stage, les centres de vacances, les mouvements de jeunesse et les associations de soutien à la jeunesse; le monde des cultes aussi et les services publics périphériques comme les transports publics que sont les TEC, STIB, De Lijn, SNCB, transports scolaires; on a rencontré l’ONE… Et pour cela, on a associé mes collègues Glatigny (NDLR: en charge du secteur Jeunesse) et Linard à toutes les étapes de cette concertation. Ce n’est pas rien en termes de concertation. On a mené beaucoup de réforme, c’est rare qu’on consulte autant…»
Et pourquoi ne pas avoir attendu la Flandre?
Caroline Désir : «La Flandre nous regarde. Tous leurs experts ont salué notre projet de réforme. Le ministre flamand de l'Éducation Ben Weyts a d'ailleurs entamé des consultations auprès des acteurs du secteur. En fait, il y a peu d'opposition sur le bien-fondé de cette réforme. C'est important de le souligner. Il y a par contre des oppositions sur le timing, sur la mise en œuvre, sur la déconnexion avec la Flandre. Mais ces questions, elles seront toujours là demain, dans deux ans, dans cinq ans… Il est donc de notre responsabilité que l'on se mette autour de la table et qu'on résolve ces questions. C'est exactement pour cette raison que cette réforme ne se fait pas depuis 30 ans, alors que tout le monde est persuadé qu'il faut le faire. Je ne nie pas du tout les difficultés, elles existent, et elles sont légitimes, mais il faut qu'on les solutionne. Est-ce qu'on a des réponses à toutes les questions? Pas encore. Mais le but c'est d'être prêt pour septembre sans laisser personne sans réponse.»
Une conclusion?
Caroline Désir: «La réforme des rythmes scolaires est une réforme importante qui touche 900 000 élèves, ce n'est pas un gadget mais un changement clé pour le bien être des enfants et pour lutter contre les inégalités scolaires et de participation à l'extrascolaire. Ce n'est pas quelque chose qui a été fait sur un coin de table ou sur lequel on a envie de mettre notre nom. C'est quelque chose qui a été mûri, qui a été concerté, qui est réfléchi, auquel on croit. Et à un moment donné, le pouvoir politique doit aussi pouvoir trancher ce genre de chose.»

«L'accueil temps libre, c'est bien ce troisième lieu de vie des enfants. Il y a la famille, l'école, et puis aujourd'hui les enfants et les jeunes ont ce troisième lieu de vie qui encadre les temps avant et après l'école, les mercredis après-midi, les week-ends, les congés, des périodes où ils peuvent aussi s'épanouir et s'émanciper dans d'autres circonstances, liées à des loisirs, qu'ils soient culturels, sportifs ou autres.»
Réformer l’accueil
Du coup, des choses se mettent progressivement en place: «L'idée est d'augmenter l'accueil quelles que soient les activités. J'ai nommé le sport et la culture, mais il y a aussi tous les centres de vacances qui organisent les plaines, les écoles de devoirs, etc. Tout ceci, ce sont des partenaires avec lesquels on travaille. L'idée, c'est vraiment de se dire qu'il y a des temps dans l'année où les enfants peuvent rencontrer des apprentissages autres que scolaires et développer d'autres talents, mais aussi rencontrer d'autres groupes sociaux, notamment à travers d'activités qui sont moins présentes à l'école.»
Et renforcer la mixité: «Pour permettre plus de diversité dans ces groupes en partant des besoins des enfants. Dans son article 31, la convention internationale des Droits de l'Enfant instaure un droit au repos et aux loisirs. Mais le repos, ça ne veut pas dire ne rien faire, ça signifie sortir de son quotidien et pouvoir rencontrer autre chose. C'est à cela que doit servir l'accueil temps libre, lequel a 3 fonctions en réalité: éducative, car elle permet aux enfants de rencontrer des aspects de bien-être, d'émancipation et d'épanouissement; économique, car ça permet aux parents de pouvoir aller travailler et permet un soutien à la parentalité; sociale, car elle permet aux enfants de rencontrer d'autres publics que ceux qu'ils fréquentent habituellement. Ça rejoint donc l'intérêt d'une réforme des rythmes qui se base sur les besoins et les intérêts des enfants.»
Le repos, ça ne veut pas dire ne rien faire, ça signifie sortir de son quotidien et pouvoir rencontrer autre chose.
Lutter contre les inégalités
« J'ajoute que la réforme de l'accueil temps libre, qui est en préparation (NDLR: et qui devrait voir le jour durant cette législature) et fait partie du nouveau contrat de gestion de l'ONE, vise aussi à renforcer l'accès à des publics plus précarisés.»
Selon l’analyse des besoins en matière d’accueil temps libre en Fédération Wallonie-Bruxelles publiée en février 2019 par l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse (OEJAJ), plus de 30% des enfants de 1 à 15 ans vivant dans un ménage à risque de pauvreté ne peuvent pas exercer régulièrement des activités de loisirs en dehors de leur domicile, contre environ 3% des enfants vivant dans un ménage qui n’est pas à risque de pauvreté.
«Nous devons résolument œuvrer en faveur de l'accessibilité, pour qu'aucun enfant ne reste de côté, et en faveur de la qualité, pour que les besoins spécifiques des enfants soient pris en compte.»
Commission et focus
«Il y a une commission transversale qui est sur pied et qui réunit tous les secteurs et leurs représentants concernés: enfance, jeunesse, sport, culture, enseignement. Ces personnes travaillent maintenant ensemble à repenser l'accueil temps libre avec peut-être, à terme, un décret commun, lequel permettrait une transversalité plus grande, toujours au bénéfice des enfants.»
Parmi les focus envisagés par cette réforme, la ministre évoque notamment certains emplois précaires qu'elle aimerait renforcer en les contractualisant, ainsi que la tranche des 3-6 ans pour laquelle «le besoin change un petit peu: il y a moins de besoin en été mais plus de besoin durant l'année».