Climat: on ne fonce plus dans le mur, on y est déjà
On ne pourra pas rester sous la limite des +1,5 °C, prévient le dernier rapport du GIEC. Le changement climatique c’est maintenant.
Publié le 09-08-2021 à 17h45
Le glaciologue Frank Pattyn compte parmi les auteurs-contributeurs du sixième rapport du GIEC consacré aux éléments scientifiques les plus récents concernant l’évolution du climat. Le professeur de la faculté des sciences de l’ULB évoque le constat alarmant dressé par des milliers de scientifiques. Lucides quant aux catastrophes climatiques désormais inéluctables, mais avec encore de l’espoir malgré tout.
Ce rapport est accablant comme jamais il ne l’a été. A-t-on atteint un point de non-retour?
Non, mais on a déjà gravement changé notre climat. Ce n’est pas quelque chose pour le futur, ça se passe maintenant, on est pleinement dedans. Et si on n’arrive pas à atteindre le zéro émissions de gaz à effet de serre (GES), on arrivera à des hausses de températures toujours plus importantes. Et avec chaque demi-degré supplémentaire il y aura des effets aggravants.
Or, ce rapport nous dit qu’on ne peut déjà plus éviter une hausse de 1,5 °C, ce qui était encore l’objectif del a COP de Paris en 2015.
Oui, c’est vrai qu’avec ce qui est actuellement prévu au niveau international, on n’arrivera pas à limiter le réchauffement à moins de 2 °C, on va plutôt vers les 3 °C. C’est donc clair qu’il faut faire un effort supplémentaire. Mais désormais, cet effort doit se faire sur la réduction des GES mais aussi sur l’adaptation aux changements climatiques. Car quel que soit le scénario qui se réalisera, on prévoit d’arriver à une hausse moyenne globale de 1,5 °C. Ce qui est cette fameuse limite qui va nous apporter des surprises différentes encore des changements climatiques qu’on constate déjà aujourd’hui. C’est-à-dire une intensification des pluies et des sécheresses ainsi qu’une hausse des niveaux marins.
Et revenir sous cette limite, est-ce impossible?
On peut envisager que dans le futur, on puisse avoir des émissions de CO2 négatives. Avec des technologies – qui sont encore en développement – on pourrait capturer du carbone. Donc on pourrait légèrement dépasser ce 1,5 °C pour y revenir par la suite. Même s’il y a toujours des années, ou des dizaines d’années de décalage entre les émissions de GES et la réponse du climat qui est l’élévation de la température. Par contre, certains phénomènes, comme l’élévation des niveaux marins continueront pendant des siècles, même si on stabilise la température.
D’autant plus que la fonte des glaces s’accélère.
Oui, on sait que la hausse du niveau des mers va être continue. Mais selon les différents scénarios de la fonte des calottes glaciaires, on ne peut pas exclure des hausses rapides. Et que donc, d’ici la fin du siècle, on pourrait avoir des phénomènes un peu plus catastrophiques encore avec une hausse de l’ordre de 1 mètre, voir plus. La fonte de la banquise, elle, n’impacte pas le niveau des mers car c’est de la glace flottante. Mais elle a un rôle très important dans le budget énergétique de la Terre, car elle réfléchit de l’énergie vers l’espace et diminue donc la température. Avec la fonte de cette banquise on a donc une rétroaction, l’océan va absorber plus d’énergie. C’est pourquoi le réchauffement est beaucoup plus prononcé dans la région de l’Arctique: déjà 3 à 4 °C par rapport à la période pré-industrielle.
Le rapport met aussi l’accent sur le risque de la fonte du permafrost. Une autre bombe climatique…
Si le permafrost fond, ce sont à nouveau des GES qui sont libérés. Ce serait aussi une boucle de rétroaction qui renforcerait la hausse de température. Certains auteurs disent que cela peut s’emballer et mener à un climat qui mettrait la Terre en feu. Mais, après évaluation de la littérature scientifique, le GIEC estime plutôt que ça renforcerait le réchauffement mais qu’un emballement est difficile à prédire avec les outils d’analyse actuels.
Cela fait des années que les scientifiques alertent sur la catastrophe climatique vers laquelle on se dirige. On y est désormais sans doute déjà.
Je n’aime pas le catastrophisme car cela peut aussi mener à l’idée que c’est trop tard, que c’est foutu et qu’on ne peut rien faire. Mais je crois que, de plus en plus, on se rend compte que le changement climatique ce n’est pas pour demain mais que c’est déjà aujourd’hui. Avec les catastrophes naturelles, comme les inondations qu’on vient de connaître et qui sont renforcées par le changement climatique, on prend conscience du coût. Et je pense que les politiques réalisent qu’il est plus intéressant d’investir dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique plutôt que de supporter le prix de tous ces dégâts et ces souffrances. Et plus on prendra des mesures pour s’adapter au changement climatique et pour l’atténuer, moins nous souffrirons.