Coronavirus | Ces petites phrases qui tuent et divisent la société
Face au Covid, la société est de plus en plus divisée. Une polarisation qui inquiète Ariane Bazan, professeur de psychologie clinique à l’ULB et membre du Celeval, la cellule d’évaluation de la crise sanitaire.
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Publié le 30-10-2020 à 12h25
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« Il faut se rendre compte que la situation actuelle est très très grave. On n'est plus dans le contexte " on vit avec le virus ". Il ne s'agit plus d'évaluer des coûts/bénéfices mais d'amortir les gros dommages, le nombre de morts», avance Ariane Bazan, professeur de psychologie clinique à l'ULB.
Plus que la dépression et autres troubles de la santé mentale qui mineront inévitablement une partie de la population au cours de cette seconde vague, c’est la polarisation de la société autour de la crise sanitaire qui préoccupe celle qui est membre du Celeval, la cellule d’évaluation de la crise sanitaire.
«Si la société est fracturée, il y aura moins d'adhésion aux règles, moins d'entraide, moins de solidarité. C'est une question primordiale qui n'est abordée ni par les journalistes ni par les politiques.»
Un trop-plein d’informations
En marge d'un travail pédagogique et de communication nécessaire, il en est un autre «beaucoup moins sexy et moins facile à faire comprendre mais indispensable ».
La crise sanitaire a engendré une déferlante quotidienne d'informations: des chiffres, des études qui se contredisent, des hypothèses qui s'entrechoquent, des convictions qui s'opposent… et opposent de plus en plus les citoyens. «On est en demande d'informations mais dans le même temps on reçoit un trop-plein d'informations: il y a trop d'histoires, trop de convictions qui circulent…Ce trop-plein d'informations est beaucoup plus difficile à gérer que la demande car on a peur d'exacerber la polarisation.»
La raison ne va pas l’emporter
«Il n’y a pas de surmortalité mais plutôt une sous-mortalté», «Qu’est-ce que l’on nous cache?» «Le virus a été inventé de toutes pièces», «C’est un complot des firmes pharmaceutiques, des Chinois»… Autant de petites phrases qui peuvent faire écho chez ceux qui ne savent trop que penser de la crise sanitaire.
«Entre ceux qui sont complètement convaincus qu'il faut prendre des mesures et ceux qui sont tout à fait convaincus que tout ça est trop exagéré voire est le résultat d'un complot, il y a ce que l'on a appelé le ventre mou de la société, explique Ariane Bazan. C'est pour cette population-là, qu'il est important d'apporter des réponses qui neutralisent les petites phrases qui tuent et ne pas se contenter de dire que la raison va l'emporter.»
L'exercice est délicat et va bien au-delà d'un travail de communication. «C'est une autre dynamique, une autre logique… Il faut travailler à un échelon local, recevoir l'information et la traiter en intervenant de façon non menaçante, non émotionnelle Il faut éviter de qualifier ces propos de stupides et s'abstenir de tout procès d'intention qui tue tout...»
Tuer le messager
Pour susciter l'adhésion de la population, le message général doit être clair, simple, linéaire et doublé de messages ciblés vers des publics précis, recommande la psychologue clinicienne. «Mais quoi que l'on fasse – et cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire -, on estimera par la suite qu'il y a eu du cafouillage. Il y a quelque chose d'irréductible: quand le message que l'on doit faire passer est négatif et que l'on ne peut pas le neutraliser, on va s'attaquer à la forme. Quand le message est mauvais, on a envie de tuer le messager. Il n'y a pas de façon de faire passer un message mauvais de façon acceptable.»