Les tribulations iraniennes d’un éminent prof de droit belge en pleine affaire Vandecasteele
Olivier Corten, professeur, avocat et spécialiste en droit international à l’ULB, a été en contact rapproché avec le régime jusqu’à fin décembre 2022, en vue de produire une théorie juridique dans l’affaire Soleimani, haut gradé iranien tué en Irak par les États-Unis en janvier 2020. Le juriste assure avoir coupé court à toute collaboration avec l’Iran, lorsque l’affaire Vandecasteele a pris de l’ampleur.
- Publié le 08-06-2023 à 18h00
- Mis à jour le 08-06-2023 à 18h12
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Voilà quelques semaines, un groupe de hackers iraniens liés à l’opposition en exil (CNRI) a piraté le système informatique du régime et aspiré un nombre significatif de documents confidentiels. Certains concernent l’échange Vandecasteele-Assadi, mais pas seulement. Dans un courrier classé top secret en lien avec la présidence iranienne et ses services juridiques daté de mi-novembre 2022, un nom belge ressort. Celui d’Olivier Corten, professeur en droit international à l’ULB et familier de la cour internationale de justice (CIJ), devant laquelle il a déjà plaidé en tant qu'avocat. Ce dernier jouit d’une expertise certaine en matière de relations internationales et connaît particulièrement bien le cas du général Qassem Soleimani, haut gradé iranien tué par des frappes de drone américain à Bagdad début janvier 2020. Or, l’Iran entend depuis lors traîner les États-Unis devant la justice internationale et recherchait activement, courant 2022, l’avis d’experts étrangers.
Visites à l’ambassade
Dans l’échange entre la présidence iranienne et ses services juridiques, on apprend que deux autres juristes en droit international ont été approchés par le régime, sans succès. Il apparaît en revanche qu’Olivier Corten a, lui, accepté d’élaborer une stratégie pour le compte de l’Iran dans le cadre de l’affaire Soleimani. Corten aurait "reçu une partie du salaire convenu pour présenter sa théorie juridique”, non sans s’être “rendu à l’ambassade d’Iran en Belgique”. Une somme de 25 000 euros est également évoquée, qui correspondrait à une forme de devis transmis par Corten à ses interlocuteurs iraniens.
Contacté, le juriste confirme ces informations mais réfute tout lien avec l’affaire Vandecasteele-Assadi, laquelle l’a par ailleurs poussé à rompre sa collaboration avec le régime dès le 20 décembre, par mail. Il décrit auprès de l’Avenir comment les Iraniens l’ont approché, au début de l’été 2022 : “C’est dans le milieu du droit international qu’un prof iranien m’a amené vers l’ambassade, qui souhaitait me parler”, relate Olivier Corten. “J’ai parlé avec eux deux ou trois fois car j’ai écrit un livre sur les exécutions extrajudiciaires (NDLR : le cas Soleimani en est une). Et il m’arrive comme professeur d’être engagé dans des affaires en faveur d’États, par exemple le Congo. Dans le milieu, c’est quelque chose qui se fait.”
"Impossible de coopérer”
Le juriste assure n’avoir finalement pas été rémunéré par l’Iran, ni avoir eu le moindre contact avec le gouvernement belge en marge des négociations concernant l’échange Vandecasteele-Assadi – lesquelles battaient leur plein à l’époque. Olivier Corten jauge sa prise de connaissance du cas Vandecasteele à “courant août”, via la presse.
À ses interlocuteurs Iraniens, il écrit par mail, sans détour, le 20 décembre 2022 : “Après vous avoir envoyé mon dernier message, j’ai reçu certaines informations qui m’ont fait changer d’avis sur cette affaire. D’abord, j’ai appris qu’un de mes concitoyens, Olivier Vandecasteele, avait été arrêté, détenu et condamné à 28 ans sans connaître les charges qui lui étaient reprochées. C’est pourquoi, il y a quelques jours, le ministre belge des Affaires étrangères a appelé tous les Belges à ne pas se rendre en Iran pour éviter tout risque de devenir une nouvelle victime de la “diplomatie des otages” iranienne (pour reprendre les termes utilisés par les autorités belges). En plus de cela, j’ai aussi appris qu’un de mes collègues et ami, *****, avait fait l’objet de sanctions de la part des autorités iraniennes pour les avoir critiqués en tant que juriste. Je sais parfaitement que vous (à l’ambassade) n’êtes pas responsable de ces situations. Cependant, il m’est devenu désormais impossible de coopérer moi aussi avec un État qui adopte un tel comportement envers les citoyens belges. J’ai donc le regret de vous annoncer que je ne pourrai pas coopérer avec vous.”
L’ombre d’Assadi
L’Iran avait de son côté parfaitement conscience de ce contexte bouillant. Dans ce même courrier, les autorités iraniennes font d’ailleurs directement référence au cas d’Assadolah Assadi. À l’époque (novembre 2022, donc), le régime se réjouit de ce que M. Assadi “sera bientôt au pays” : le traité de transfèrement belgo-iranien n’avait à l’époque, pas encore été suspendu par la Cour constitutionnelle (NDLR : le 8 décembre).
Dans un second courrier daté du même jour, la présidence iranienne s’inquiète toutefois de ce que “le cas de M. Assadi soit renvoyé devant la Cour constitutionnelle”. Et, contrairement à ce que l’Iran a promis à la Belgique, il n’est pas question d’apaisement, même une fois l’échange effectué. “En ce qui concerne de nouvelles actions en justice, nous devrions attendre le retour de M. Assadi et en discuter ensuite pour échanger des avis […]. Les décisions doivent être prises au plus haut niveau”, est-il suggéré.