Hadja Lahbib: "Les négociations avec l’Iran ont été un jeu de manipulation et de séduction"
La ministre des Affaires Étrangères belge revient sur l’opération “Blackstone”, entamée avec l’échange entre Olivier Vandecasteele et Assadolah Assadi la semaine passée, et conclue ce vendredi avec la libération de trois ressortissants européens.
- Publié le 05-06-2023 à 12h29
- Mis à jour le 05-06-2023 à 12h53
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En première ligne dans les négociations qui ont permis la Belgique d’obtenir la libération d’Olivier Vandecasteele et de trois autres ressortissants européens (deux Autrichiens et un Danois), la ministre des Affaires Étrangères revient sur ses mois de discussions tendues avec un régime iranien qui n’a cessé de souffler le chaud et (surtout) le froid. Entretien.
Ce vendredi, trois otages supplémentaires ont été libérés d’Iran grâce à la Belgique. La veille, vous étiez à la Chambre, assaillie de questions par l’opposition, alors que l’opération était en cours. Mais vous ne pouviez rien en dire…
Oui, faire toutes ces choses extrêmement intenses à la fois n’est pas simple. Mais il faut rester concentré, d’autant que j’étais alors encore en contact avec l’Iran à cet instant. Pour m’assurer que tout allait bien se passer – il y a eu, sans rentrer dans les détails, quelques petits couacs techniques et j’étais inquiète (NDLR : le transfert aurait normalement dû avoir lieu plus tôt cette semaine-là). Tant que les trois n’étaient pas dans l’avion et que l’avion n’avait pas décollé, on ne voulait pas communiquer. Même à nos homologues autrichiens… qui étaient au courant car il y a eu des fuites.
L’Autriche négociait parallèlement pour ses propres otages ?
Il faut leur demander, je ne sais pas. On en a parlé ensemble, comme souvent lors de discussions bilatérales. Mais ils suivaient l’actualité belge, le traité de transfèrement, et quand je suis devenue ministre on prenait toujours quelques minutes en aparté pour parler de ce dossier sensible entre quatre yeux.
Justement, au moment de l’entrée en vigueur du traité, l’Iran a annoncé la libération imminente d’Assadolah Assadi. La Belgique a alors vivement protesté. Parce que d’autres libérations que celle d’Olivier Vandecasteele étaient en jeu ?
Non, même si cela faisait partie de notre optique dès le début. En fait il y a eu plusieurs coups de communication de la part de l’Iran qui ne reflétaient pas la réalité. Il y a eu de la manipulation, y compris de l’agence d’information iranienne qui est le porte-parole du régime. On était d’ailleurs un peu dépités de voir notre propre presse reprendre une information qui venait du gouvernement iranien.
Personnellement, à quel point étiez-vous impliquée dans la négociation ?
J’avais de très longues conversations, notamment avec mon homologue Amir Abdollahian. Je connais un peu l’Iran, je m’y suis rendue, je parle aussi un peu le persan après être allée plusieurs fois en Afghanistan. Lui connaissait très bien mon profil. Il disait souvent qu’il pensait que je les comprendrais, du fait que je parle un peu la langue. On s’est entretenus ainsi la première fois qu’on s’est rencontrés, puis on a arrêté, pour qu’il n’y ait pas trop de promiscuité, ni la moindre relation “friendly”.
Il y avait bien sûr un jeu de séduction, de la manipulation. Ma ligne de conduite était de rester ferme, intraitable sur les droits de l’Homme. C’est d’ailleurs le premier sujet que j’ai évoqué lorsque je l’ai rencontré la première fois : Mahsa Amini venait de trouver la mort et nos premiers échanges ont porté là-dessus. Cela m’a permis de planter clairement ma personnalité et le décor, de montrer quelles étaient nos lignes rouges. Lors de notre dernière conversation, je lui ai dit que j’étais au parlement alors qu’il essayait de me joindre… je lui ai fait part de la division du parlement et des critiques ; c’était une manière de lui adresser encore une fois nos critiques, lui expliquer aussi combien la liberté de parole et d’opinion est précieuse et propre à un régime démocratique. Et par la même occasion, de condamner les arrestations arbitraires et d’évoquer le sort des autres prisonniers injustement détenus.
Dans une communication avec les Affaires diplomatiques belges, l’Iran promet de meilleures relations avec l’UE en cas de libération d’Assadi. Abollahian vous l’a confirmé ?
Quand j’ai eu mon homologue à la fin de l’opération il a expliqué que ces libérations étaient un premier pas que l’Iran était capable de faire. J’ai bien noté…
Vous parlez d’un accord bilatéral avec l’Iran, et non d’un échange. Que dit-il, cet accord ?
C’est un accord bilatéral entre la Belgique et l’Iran. C’était osé de notre part, parce que c’est une façon de ne pas avaliser leur politique habituelle…
Mais cet accord prévoyait-il un échange ?
Pour nous la priorité était de libérer Vandecasteele. On était face à un durcissement qui mettait sa vie en péril, très clairement. On a pris toutes les précautions pour qu’Assadi soit bien fiché par Interpol et ne revienne pas. Il a aussi été très éprouvé par sa détention, au moins sur le plan psychologique.
Que dites-vous, notamment à l’opposition iranienne en exil visée par l’attentat fomenté par Assadi en 2018 ?
Que la liberté d’expression et de mouvements, fait partie de nos priorités et valeurs. Les oppositions iraniennes peuvent s’exprimer tant qu’elles le font dans le respect du droit et de la démocratie. C’est valable pour toutes les formes d’opposition. Tant que c’est respectueux d’un État de droit comme la Belgique, tout le monde peut s’exprimer librement sur notre territoire et nous défendrons toujours ces valeurs.
À quel moment est-il décidé de ne pas activer le traité de transfèrement pourtant négocié de longue date ?
Au moment où l’opinion publique a poussé pour trouver une solution afin de libérer Olivier Vandecasteele. Spontanément, des juristes sont venus à nous et nous ont dit : on peut vous aider. Et puis est sorti un constitutionnaliste, qui est venu avec l’article 167. On avait ça en main fin décembre, début janvier.
À ce moment-là, le traité de transfèrement est en stand-by…
C’était un moment très dur. On voulait à tout prix qu’Olivier Vandecasteele rentre chez lui pour les fêtes. On s’était mis ça en tête. On avait la famille qui vivait un cauchemar et nous demandait s’ils l’auraient pour Noël. Aux affaires étrangères, on était en première ligne avec eux mais aussi au niveau des négociations. Le soir de Noël, nous avions seulement pu obtenir qu’il parle à sa famille : mais rien que pour ça, il a fallu négocier jusqu’à 20 h le 24 décembre !
L’article 167 de la Constitution a été activé parce qu’il y avait une menace imminente, grave et continue sur la sûreté nationale. Laquelle ?
Par exemple, notre poste à Téhéran n’est plus que d’une seule personne, on a dû réduire à sa plus simple expression notre représentation sur place. Et si on l’a maintenue c’est parce que c’était le seul moyen de rester en contact avec Olivier Vandecasteele. Il y avait clairement le risque, et on en a vraiment les preuves, que d’autres arrestations arbitraires se produisent, puisque celle-ci n’a pas tout de suite produit l’effet désiré.
Et puis, la capacité d’action ne se limite pas non plus au pays même. Cela concerne toute la région : il n’était pas impossible qu’il se passe quelque chose contre des intérêts belges dans la région. Il y avait clairement cette menace.
Combien y a-t-il de ressortissants belges en Iran actuellement ?
226, connus à ce jour. Qui sont pour la plupart des binationaux. J’en ai rencontré et je leur demande : quittez ce territoire ! Mais ils ont de la famille, des parents parfois mourants, ils ne peuvent faire autrement que de se rendre sur place. La loi ne nous permet pas d’interdire à ces gens de se déplacer librement et de se rendre malgré tout en Iran.
Ce traité de transfèrement, toujours en vigueur, vous allez le dénoncer ?
Non. D’abord il existe, le défaire prendrait du travail inutile. Ensuite il faut savoir que ce traité, pour l’activer, il faut une décision des principaux intéressés, que les pays acceptent, et un accord de la justice des deux pays. Je sais que certaines voix demandent qu’on l’abroge mais ce n’est pas d’actualité. Ce serait une erreur.