Rapport du GIEC: "Limiter le réchauffement à 1,5°C exigera de diviser par 2 nos émissions d'ici 2030"

Contenir le réchauffement mondial à 1,5°C au-dessus des niveaux pré-industriels nécessitera une baisse immédiate des émissions et une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 43 % et de celles de CO2 de 48 % d'ici 2030 par rapport à leurs niveaux de 2019, estime le Giec dans son rapport de synthèse sur l’état des connaissances scientifiques sur les changements climatiques publié ce lundi 20 mars 2023.

Belga

Or, aux dernières nouvelles, les émissions mondiales continuent à légèrement augmenter ou, au mieux, commencent à plafonner.

L’objectif d’1,5°C exige également d’atteindre zéro émissions nettes de gaz à effet de serre pour la moitié du siècle (2050). Pour 2035, les émissions de gaz à effet de serre devraient reculer de 60 % et celles de CO2 de 65 %.

”Il existe une fenêtre d’opportunité, qui se referme rapidement, pour assurer un futur viable et durable pour tous”, avertissent les scientifiques dans leur “résumé pour les décideurs”, adopté au terme de plusieurs jours d’intenses discussions à Interlaken, en Suisse.

Les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) constatent que le réchauffement mondial est déjà d’1,1°C par rapport aux niveaux préindustriels. L’accord de Paris sur le climat ambitionne de limiter le réchauffement mondial “bien en deçà de 2°C” et si possible à 1,5°C sachant que chaque dixième de degré supplémentaire augmente la fréquence et la force des évènements météorologiques extrêmes (inondations, sécheresse, ouragans…).

Des lieux "hautement vulnérables au changement climatique" pour la moitié de la planète

Le Giec rappelle qu’entre 3,3 et 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes “hautement vulnérables au changement climatique” et que les populations du sud, pourtant les moins responsables du réchauffement mondial, sont celles qui en souffrent le plus.

Dans son rapport de synthèse, le Giec réaffirme qu’il est “sans équivoque” que l’activité humaine a conduit à un réchauffement de l’atmosphère, des océans et des terres.

Les lois adoptées et politiques menées jusqu’ici restent insuffisantes. Et pourtant, de nombreuses options “faisables et efficaces” sont déjà disponibles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et permettre à l’être humain de s’adapter aux changements climatiques, souligne-t-on.

Enfin, en matière de finance, notamment, les flux financiers publics et privés en faveur des énergies fossiles restent plus importants que ceux consacrés à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation aux conséquences de celui-ci, constate-t-on.


Un "guide de survie pour l’humanité"

La synthèse de neuf années de travaux du Giec sur le climat sonne lundi comme un rappel brutal de la nécessité pour l’humanité d’enfin agir radicalement au cours de cette décennie cruciale pour s’assurer “un futur vivable”.

Cette synthèse, qui succède à celle de 2014 et n’aura pas d’équivalent dans la décennie en cours, est “un guide de survie pour l’humanité”, a souligné le secrétaire général de l’ONU, António Guterres.

”Ce rapport est un message d’espoir”, a insisté auprès de l’AFP le président du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec), Hoesung Lee.

guillement

Nous avons le savoir-faire, la technologie, les outils, les ressources financières et tout ce dont on a besoin pour surmonter les problèmes climatiques que nous avons identifiés

”Nous avons le savoir-faire, la technologie, les outils, les ressources financières et tout ce dont on a besoin pour surmonter les problèmes climatiques que nous avons identifiés” mais “ce qui manque pour l’instant, c’est une volonté politique forte afin de les résoudre une fois pour toutes”, juge l’économiste coréen.

Ce consensus scientifique du Giec sera la base factuelle des intenses tractations politiques et économiques des prochaines années. À commencer par le sommet climat de l’ONU en décembre à Dubaï, la COP28, où un premier bilan des efforts de chaque pays dans le cadre de l’accord de Paris sera dévoilé et où l’avenir des énergies fossiles sera âprement négocié.

Au cours des longues sessions de discussion du Giec en Suisse durant le week-end, les négociateurs d’Arabie saoudite se sont battus pour diluer les phrases sur le rôle central des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon). La place accordée dans le “résumé pour les décideurs” de 36 pages à la légitimité des technologies de captage du CO2, porte leur marque, selon certains observateurs, qui y voient de potentiels “permis de brûler”.

Agir maintenant pour "un futur vivable pour tous"

”Ce rapport de synthèse souligne l’urgence à prendre des mesures plus ambitieuses et montre que, si nous agissons maintenant, nous pouvons toujours assurer un futur vivable pour tous”, insiste le président du Giec, Hoesung Lee.

”Pour tout niveau de réchauffement futur, de nombreux risques associés au climat sont plus élevés que ce qui avait été estimé” dans le précédent rapport de synthèse de 2014, écrivent les scientifiques.

Ils s’appuient sur la multiplication observée récemment des événements météo extrêmes comme les canicules, et de nouvelles connaissances scientifiques, par exemple sur les coraux.

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La justice climatique est cruciale car ceux qui ont contribué le moins au changement climatique sont affectés de manière disproportionnée

”En raison de la montée inévitable du niveau des océans, les risques pour les écosystèmes côtiers, les personnes et les infrastructures continueront à augmenter au-delà de 2100”, soulignent-ils aussi.

La question des “pertes et dommages” causés par le réchauffement et déjà subis par certains pays, en particulier les plus pauvres, sera l’un des sujets de discussion à la COP28.

”La justice climatique est cruciale car ceux qui ont contribué le moins au changement climatique sont affectés de manière disproportionnée”, souligne Aditi Mukherji, l’une des auteurs de la synthèse.

Les années chaudes d’aujourd’hui parmi les plus fraîches dans une génération

”Les années les plus chaudes que nous avons vécues jusqu’à présent seront parmi les plus fraîches d’ici une génération”, résume pour l’AFP Friederike Otto, coautrice de la synthèse, qui représente cette réalité par un graphique coloré de rouge plus ou moins foncé.

”Certaines choses sont plus faciles à faire accepter aux gouvernements lorsque c’est dans les infographies” plutôt qu’explicitement dans le texte, explique-t-elle.

Les huit dernières années ont déjà été les plus chaudes jamais enregistrées au niveau mondial. À l’avenir, elles compteront donc parmi les plus fraîches du siècle, quels que soient les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre.

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Les bénéfices économiques et sociaux d'une limitation du réchauffement climatique à 2°C dépassent le coût des mesures à mettre en place

Ce constat souligne la nécessité de mener de front les efforts d’adaptation au changement climatique et ceux de réduction des émissions pour ne pas l’aggraver encore plus.

”Les bénéfices économiques et sociaux d’une limitation du réchauffement climatique à 2°C dépassent le coût des mesures à mettre en place”, assurent encore les experts.

Mais toute procrastination supplémentaire élèverait la marche à franchir, note le Giec, alors que le monde bénéficie déjà des rapides progrès des énergies renouvelables.

”De 2010 à 2019, les coûts ont diminué durablement pour l’énergie solaire (85 %), éolienne (55 %) et les batteries au lithium (85 %)”, rappelle la synthèse.

Outre l’effet sur le climat, des efforts accélérés et soutenus “apporteraient de nombreux avantages connexes, en particulier pour la qualité de l’air et la santé”, écrivent les scientifiques, qui ne cachent pas le prix à payer : “à court terme, les actions impliquent des investissements de départ élevés et des changements potentiellement radicaux”.


Guterres: "Les pays riches doivent atteindre la neutralité carbone vers 2040"

Le secrétaire général de l'ONU a appelé lundi les pays riches à avancer leurs objectifs de neutralité carbone "aussi proche que possible de 2040", contre 2050 aujourd'hui en général, pour "désamorcer la bombe climatique".

"L'humanité marche sur une fine couche de glace et cette glace fond vite", a commenté Antonio Guterres dans un message vidéo à l'occasion de la publication du dernier rapport des experts climat réunis par l'ONU (Giec), qu'il a décrit comme "un guide de survie pour l'humanité".

Le secrétaire général estime que le monde peut toujours limiter le réchauffement à +1,5°C par rapport à l'ère pré-industrielle mais que cela "nécessite une avancée décisive dans l'action climatique", "par tous les pays et tous les secteurs".

Si "tous les acteurs doivent appuyer sur le bouton avance-rapide", il reconnaît que les pays en développement sont à la fois moins responsables du réchauffement, et moins capables d'accélérer leur transition.

Premiers visés, les pays développés qui "doivent s'engager à atteindre la neutralité carbone aussi proche que possible de 2040, une limite qu'ils devraient tous avoir l'intention d'atteindre".

guillement

Tous les acteurs doivent appuyer sur le bouton avance-rapide

Aujourd'hui, la plupart des pays développés qui ont pris de tels engagements visent la neutralité carbone à l'horizon 2050, même si quelques uns sont plus ambitieux, comme la Finlande (2035), ou l'Allemagne et la Suède (2045).

Quant aux économies émergentes, leurs dirigeants "doivent s'engager à atteindre la neutralité carbone aussi proche que possible de 2050", a déclaré Antonio Guterres, sans citer de nom.

De grands pays émergents ont des objectifs plus lointains, en particulier la Chine (2060) et l'Inde (2070).

Le secrétaire général de l'ONU, qui organisera en septembre un sommet pour l'action climatique, a d'ailleurs une nouvelle fois souligné le rôle majeur du G20, responsable de 80% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et dont "tous les membres" doivent "se rassembler dans un effort commun", "pour faire de la neutralité carbone une réalité d'ici 2050".

Dans cette optique, il attend de tous les pays du G20 qu'ils présentent d'ici la fin de la COP28 en décembre à Dubaï de nouveaux engagements de réduction de gaz à effet de serre "ambitieux" et "incluant tous les gaz", avec des objectifs de "réduction absolue" de ces émissions pour 2035 et 2040.

Le secrétaire général, s'en prenant une nouvelle fois aux énergies fossiles, a d'autre part appelé "tous les secteurs à s'aligner sur la neutralité carbone d'ici 2050 avec des plans clairs et des objectifs intermédiaires", citant spécifiquement le transport maritime, l'aviation, l'acier, le ciment, l'aluminium et l'agriculture.


Van Ypersele regrette un manque d’inclusivité au détriment des pays du Sud

Le climatologue Jean-Pascal van Ypersele (UCLouvain) regrette un manque d’inclusivité au détriment des pays en développement lors de l’adoption du sixième rapport de synthèse du Giec et promet d’y remédier s’il venait à être élu à la présidence de cet organe créé sous l’impulsion de l’Onu.

Après d’intenses discussions menées à Interlaken, en Suisse, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a finalement adopté le rapport de synthèse et le “résumé pour les décideurs” de son sixième cycle d’évaluation sur l’état des connaissances sur les changements climatiques.

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Une meilleure inclusivité fait partie de mon programme en tant que candidat à la présidence du Giec

Le résumé pour les décideurs a été approuvé avec deux jours et demi de retard sur le planning initial, “sans la participation de nombreux pays en développement”, qui n’avaient pas reçu les financements pour pouvoir rester plus longtemps en Suisse, a regretté sur Twitter van Ypersele.

”Une meilleure inclusivité fait partie de mon programme en tant que candidat à la présidence du Giec”, ajoute le climatologue belge, qui a par le passé été vice-président du groupe d’experts sur le climat.

Le gouvernement belge soutient la candidature de Jean-Pascal van Ypersele à la présidence du Giec, créé en 1988 sur l’impulsion des Nations unies.

Le Pr van Ypersele (UCLouvain) avait déjà été candidat à la présidence de l’organe en 2015, mais avait alors été devancé, par 78 voix contre 56, par le président actuel, le Coréen Hoesung Lee.

L’élection du nouveau président du Giec aura lieu du 24 au 27 juillet 2023, à Nairobi, au Kenya.


Le WWF exhorte les gouvernements à tenir compte des avertissements du GIEC et à agir vite

Le WWF exhorte les gouvernements “à tenir compte des avertissements du rapport” du Giec et “à agir rapidement”, a réagi l’ONG environnementale après la publication lundi par le Giec de son sixième rapport de synthèse sur l’état des connaissances scientifiques sur les changements climatiques.

Ce rapport met notamment en évidence l’urgence de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 43 % d’ici à 2030 et de 60 % d’ici à 2035 pour atteindre un niveau net nul au milieu du siècle et éviter que les températures mondiales ne dépassent le dangereux point de basculement de 1,5 °C.

Une élimination accélérée des combustibles fossiles est le meilleur moyen d'éviter que la planète ne dépasse un réchauffement d'1,5 °C et ne risque une catastrophe climatique totale

Mais alors que les politiques actuelles sont insuffisantes au regard de ces objectifs, le WWF appelle les dirigeants et dirigeantes “à réduire rapidement les émissions dans tous les secteurs, à intensifier les efforts pour renforcer la résilience aux phénomènes météorologiques extrêmes et à protéger et restaurer la nature”. “Une élimination accélérée des combustibles fossiles est le meilleur moyen d’éviter que la planète ne dépasse un réchauffement d’1,5 °C et ne risque une catastrophe climatique totale”, préconise l’ONG.

Le WWF note également que le rapport du Giec met l’accent sur l’importance de la nature et de la conservation, “y compris la nécessité de conserver 30 à 50 % des terres, de l’eau douce et de l’océan de la planète pour maintenir la résilience de la biodiversité et des services écosystémiques à l’échelle mondiale.”

”Nous ne pouvons espérer limiter le réchauffement à 1,5 °C, nous adapter au changement climatique et sauver des vies et des moyens de subsistance si nous n’agissons pas d’urgence pour sauvegarder et restaurer la nature. La nature est un élément non négociable de la solution à la crise climatique”, conclut Déborah Van Thournout, porte-parole du WWF-Belgique.

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