Mort de la reine, valse de Premiers ministres, pénuries, grèves...: l’année 2022 compliquée du Royaume-Uni
Deux souverains et trois premiers ministres: 2022 restera dans les livres d’histoire comme l’année du grand changement au Royaume-Uni. Retour sur 365 jours fous sur les rives de la Tamise…
Publié le 01-01-2023 à 08h53 - Mis à jour le 01-01-2023 à 12h06
:focal(545x371.5:555x361.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/7BF5OA7D5JC6PETLS4P6HPYEBU.jpg)
L’adieu historique des Britanniques à la reine Elizabeth II
Il est 18h30 ce vendredi 8 septembre. À l’heure où de nombreux Britanniques s’apprêtent à passer à table, tous les programmes de télévision sont interrompus.
Sur les chaînes de la BBC, c’est le visage de Hew Edwards qui apparaît. Le journaliste vedette, qui présente chaque jour "News at Ten", la grand-messe de l’information, est habillé de noir et emprunte un ton grave et solennel.
"Ici BBC News depuis Londres. Buckingham Palace a annoncé le décès de sa majesté la reine Elizabeth II.", lance Edwards. "Dans un communiqué, le palais annonce que la reine est morte paisiblement à Balmoral cet après-midi. Le roi et la reine consorts resteront ce soir à Balmoral et reviendront demain matin à Londres."
Dès la fin de cette phrase, le God Save The Queen résonne sur une photo majestueuse de celle qui fut, durant 70 ans, sept mois et deux jours, reine du Royaume-Uni et des autres royaumes du Commonwealth.
Un décès redouté depuis plusieurs heures
Depuis quelques heures, les chaînes d’informations occupaient déjà l’antenne. Vers midi, un communiqué du palais de Buckingham avait annoncé que les médecins de la reine avaient recommandé qu’elle soit placée "sous surveillance médicale" dans son château de Balmoral en Écosse et la famille royale s’était rassemblée, dans l’urgence, au chevet de la monarque.
Mais l’annonce du décès sera le grand départ d’une période de deuil et d’émotion collective au Royaume-Uni qui durera dix jours.
Entre 750 000 et un million de personnes ont fait la queue, durant parfois 30 heures, pour se recueillir quelques secondes dans Westminster Hall, devant le cercueil de la reine.
Le 19 septembre à 10 h 42, avec une ponctualité typiquement britannique, le cercueil, porté par huit soldats des Grenadiers Guards, quittait Westminster Hall pour des funérailles religieuses auxquelles ont assisté 2 000 invités, dont le roi Philippe, la reine Mathilde, mais aussi le président américain Joe Biden et le président français Emmanuel Macron.
Un moment d’émotion et de recueillement qui a ému Charles III. "Je me souviens des lettres profondément touchantes, des cartes et des messages que tant de personnes parmi vous m’ont envoyés", a-t-il expliqué dans un message de Noël enregistré depuis la chapelle Saint-Georges de Windsor, où est enterrée Elizabeth II. "Je ne peux que vous remercier pour l’amour et la sympathie que vous avez envoyés à ma famille".
Un nouveau mythe du gotha européen ?
Par son règne historiquement long, Elizabeth II va-t-elle acquérir le statut de mythe ? "Il y a une analogie à faire entre la mort d’Elizabeth II et le traumatisme qu’a représenté pour de nombreux Britanniques la mort de la reine Victoria qui a régné de 1837 à 1901", analyse l’historien Francis Balace, professeur émérite à l’Université de Liège. "L’autre analogie, c’est qu’à l’époque, le prince de Galles, le futur Edward VII, a attendu plus de 40 ans avant de pouvoir monter sur le trône."
Pour Francis Balace, Elizabeth II a été une "illustration du caractère bénéfique de la monarchie": "Elle a accompagné un changement de mœurs au sein de la société. Elle a vécu aussi la fin de l’empire britannique. Tous ses voyages dans les pays d’Afrique durant les années 60, c’était pour leur dire" au revoir ". Il y a eu aussi la révolution sexuelle, les Beatles ou encore une immigration comme la Grande-Bretagne n’a jamais connu. On peut dire que sous Victoria, la société était restée clichée. Mais sous Elizabeth II, la société a été marquée par une suite ininterrompue de bouleversements sociétaux."
Pénuries de nourriture et de personnel, grèves… La face sombre du Brexit
La liste des "mauvaises surprises" liées au Brexit en cette année 2022 est longue. Six ans après le vote historique et deux ans après la sortie effective de l’Union, le Royaume-Uni semble boire la tasse.
Paperasse liée à la sortie du marché commun, difficulté d’embaucher du personnel, sortie de la politique agricole commune, difficultés d’exportation pour les entreprises, embouteillages monstres à Douvres, pénurie d’œufs dans les supermarchés…
Des études montrent que le PIB britannique était inférieur, au deuxième trimestre 2022 de 5,5% à ce qu’il aurait dû normalement être si le pays était resté dans l’Union Européenne. Et à cela, il faut ajouter l’épineuse question nord-irlandaise.
Selon un sondage publié par The Independent, 30% des partisans du "Leave" en 2016 souhaitent désormais que le Royaume-Uni se rapproche de l’Union Européenne.
Mais un retour dans le giron européen est-il toutefois possible ? "Une nouvelle adhésion me paraît complexe, même si la politique est l’art du possible, analyse le professeur Tanguy de Wilde, politologue à l’UCLouvain. On voit les tensions qu’il y a à l’intérieur du Royaume-Uni, qui est un peu désuni sur la question européenne car l’Écosse a voté, pour rappel, en faveur du" Remain ". Une des possibilités, mais la porte s’est fermée il y a quelques semaines, était l’organisation d’un nouveau référendum d’indépendance de l’Écosse, qui se serait suivi par une adhésion possible d’une Écosse indépendante."
Si le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union, de nouveaux accords restent toutefois possibles dans toute une série de domaines. "On l’a vu notamment sur les questions de sécurité et de défense", poursuit Tanguy de Wilde. "Les Britanniques sont prêts à participer à l’un ou l’autre projet de la Coopération structurée permanente (La CSP). Cela a d’ailleurs suscité un certain étonnement…"
Trois locataires au « 10 Downing Street »: la valse des Premiers ministres
Les Britanniques ont eu trois Premiers ministres cette année. Liz Truss n’est restée au "10" que 49 jours.

Jusqu’au bout, Boris Johnson s’est accroché à son poste de Premier ministre. Mais les scandales, qui se sont accumulés, étaient trop importants.
Il y a d’abord eu le "partygate", à savoir la révélation de fêtes organisées au cabinet de Boris Johnson alors que le pays était confiné et que des mesures de restriction sociales étaient en vigueur. À cela, se sont ajoutées des polémiques sur le financement par un don privé de la rénovation de l’appartement de fonction du Premier ministre et des scandales sexuels impliquant des proches politiques de Boris Johnson.
Malgré un premier vote de confiance au sein du parti conservateur, la pression est trop forte. Face à des démissions en cascade au sein de son cabinet, Boris Johnson démissionne le 7 juillet.
En septembre 2022, il est remplacé par Liz Truss, victorieuse d’un processus électoral visant à renouveler le leadership du parti conservateur. Mais Liz Truss ne résistera pas. Le programme économique de la nouvelle Première ministre a ébranlé les marchés financiers et a provoqué une véritable crise de confiance dans l’opinion publique. Face à la pression, Liz Truss a dû annuler cette baisse annoncée des impôts pour les plus riches puis démissionner.
"Si Liz Truss n’a effectué qu’un passage éclair, c’est parce qu’elle a proposé une réforme, voire presque une révolution fiscale, qui ne tenait pas compte des réalités et de la capacité des finances publiques à la soutenir, décrypte le professeur Tanguy de Wilde, politologue à l’UCLouvain. D’une certaine manière, elle était libérée du carcan européen. Mais tant les entreprises que les marchés et les membres du parti conservateur ont estimé qu’elle allait trop loin dans cette idée d’une forme de dérégulation normalement prônée par le parti conservateur."

Au terme d’un processus éclair, c’est Rishi Sunak, l’ex-ministre des Finances et adversaire de Liz Truss, qui s’est installé au "10 Downing Street". Et le défi risque d’être de taille car le parti conservateur est à la traîne dans les sondages. Reste que les prochaines élections législatives ne devraient avoir lieu qu’en janvier 2025.
"Ce qu’il faudra voir, c’est si le parti travailliste va quitter sa posture de machine à perdre, précise Tanguy de Wilde. Rappelons qu’ils ont essuyé la plus grosse défaite de leur histoire lors des dernières élections de 2019. Y aura-t-il un phénomène de personnalisation positive avec Rishi Sunak ? Les sondages étaient très en faveur des travaillistes durant la crise, mais en politique, deux ans, c’est un siècle…"