Mort d’Elizabeth II à 96 ans: la reine inattendue a eu le règne le plus long
Le règne d’Elizabeth II est le plus long de l’histoire de la dynastie britannique. Paradoxe : celle à qui ses parents avaient donné le surnom de « Lilibeth » n’aurait jamais dû monter sur le trône.
- Publié le 08-09-2022 à 20h55
- Mis à jour le 08-09-2022 à 21h58
Montée sur le trône en 1952, à l’âge de 25 ans, la reine Elizabeth II, qui s’est éteinte ce jeudi 8 septembre 2022 à Balmoral, a marqué l’histoire de la dynastie britannique: son règne a effacé des tablettes celui de la reine Victoria, au pouvoir pendant soixante-quatre ans, de 1837 à 1901. Et pourtant, jamais elle n’aurait dû devenir reine: à sa naissance, à Londres, le 21 avril 1926, fille aînée du prince Albert, frère cadet du prince de Galles, le sémillant prince Edward, elle est troisième dans l’ordre de succession au trône, après son père et son oncle. Mais personne ne doute qu’Edward se mariera et fondera une famille, assurant ainsi la continuité dynastique.
Le destin en juge autrement: en 1936, Edward succède en effet à son père, George V, sous le nom d’Edward VIII, mais sa relation avec une Américaine deux fois divorcée, la mondaine Wallis Simpson, se heurte à l’hostilité de l’establishment britannique.
Au bout de 326 jours, Edward VIII jette l’éponge: il abdique pour pouvoir épouser la femme qu’il aime, et son jeune frère Albert lui succède, sous le nom de George VI. Dès cet instant, le destin de la jeune princesse, surnommée "Lilibeth"par ses parents, bascule: elle devient la future reine du Royaume-Uni.
Premier discours et sortie incognito
Trois ans plus tard, la deuxième Guerre mondiale éclate: la jeune princesse adresse son premier discours radiophonique aux enfants du pays; puis elle sert comme ambulancière. Elle effectuera ensuite son service national au sein de l’Auxiliary Territorial Service, comme toutes les autres jeunes filles de son âge. Elle participe ainsi à l’effort de la famille royale, qui restée à Londres au plus fort des bombardements de l’automne 1940, y acquiert une popularité immense.
Le 8 mai 1945, le conflit prend fin: la jeune princesse obtient de son père l’autorisation de sortir incognito, avec sa jeune sœur, Margaret, pour participer à la liesse populaire.
Le retour de la paix la voit poursuivre paisiblement son apprentissage de future reine: ses parents, George VI et la reine Elizabeth, forts de leur popularité, paraissent partis pour de longues années de règne. Même si la période est difficile: le rationnement mis en place durant la guerre se prolonge.
Et la décolonisation commence: en 1948, l’Inde, le "joyau de la couronne"devient indépendante, et George VI perd son titre d’empereur des Indes.
Voyage interrompu
Mais à nouveau, son destin va basculer: au début des années 1950, la santé de George VI décline rapidement. Son tabagisme provoque chez lui un cancer du poumon, et il commence à être frappé d’arthérosclérose.
Le 31 janvier 1952, avec son époux, le prince Philip Mountbatten, ex-Philip de Grèce, qu’elle a épousé le 20 novembre 1947, la jeune princesse Elizabeth prend l’avion pour le Kenya: elle ne reverra plus son père, venu la saluer au départ.
Le 6 février 1952, George VI décède, et Elizabeth, désormais reine sous le nom d’Elizabeth II, doit revenir en catastrophe pour assumer une fonction à laquelle elle se sent insuffisamment préparée.
"J’ai le cœur trop gros pour vous dire autre chose que ceci: je travaillerai sans relâche, comme mon père avant moi", déclare-t-elle aux Britanniques à sa descente d’avion. Neuf jours plus tard, elle préside les funérailles de George VI.
Couronnement en mondovision

Seize mois plus tard, elle est couronnée reine à l’abbaye de Westminster, le 2 juin 1953. Sous les yeux du monde entier: la jeune souveraine a osé s’opposer à son Premier ministre, l’immense Winston Churchill, pour exiger que la cérémonie soit intégralement télévisée et retransmise en direct dans le monde entier.
Le sacre provoquera une explosion des ventes de téléviseurs au Royaume-Uni, et sera suivi par plus de 300 millions de téléspectateurs. Un événement dans l’histoire de la télévision!
Plus tard, un film en couleurs sera réalisé sur cet événement planétaire.
Décolonisation et mise en place du Commonwealth
Le début de son règne, Elizabeth II l’effectue sous l’œil protecteur du Premier ministre, Winston Churchill.
Le vieux lion occupe pour la dernière fois le 10 Downing Street. Le 7 avril 1955, il passe le témoin à son ancien ministre des Affaires étrangères, Anthony Eden. Non sans avoir reçu la reine en sa résidence, revêtu d’une tenue d’apparat et notamment de long bas de soie…
Au cours des années qui suivent, les colonies britanniques accèdent l’une après l’autre à l’indépendance. Mais parallèlement à cette décolonisation généralisée, elles adhèrent au Commonwealth, mis en place dès 1949 par la Déclaration de Londres.
Elizabeth II devient la "cheffe"de cette association économique. Elle reste en même temps le chef d’État nominatif de quinze des vingt monarchies que compte cette association de cinquante-quatre États "libres et égaux". Elle est notamment ainsi restée jusqu’au bout chef d’État du Canada, où elle s’est fait représenter par un lieutenant ou une lieutenant(e) général(e).
Le discours salvateur
Entre Elizabeth II et la jeune épouse de son fils aîné, le courant n’était jamais vraiment passé. Et malgré le traumatisme, toujours vivant en elle, de la famille royale après l’abdication d’Edward VIII en 1936, elle consent au divorce du couple, en 1996. Diana, mère du futur roi, y obtient de conserver le titre de princesse de Galles.
Dès cet instant, elle se multiplie dans des causes humanitaires, et son ouverture aux gens les plus simples, contrastant singulièrement avec l’éternelle réserve de la souveraine, lui vaut rapidement le surnom de "princesse des cœurs".
Un an plus tard, à Paris, c’est le drame: Diana meurt dans son accident de la circulation, en compagnie de son amant, Dodi al Fayed.
Une vague d’émotion submerge le Royaume-Uni, tandis que la famille royale, retirée au château de Balmoral, semble indifférente au drame. Au fil des jours, la popularité d’Elizabeth II, interpellée par la presse populaire, plonge.
Tony Blair argumentera avec la reine. La convaincra de revenir à Londres. Elizabeth II, Philip, et les enfants de Charles et Diana, William et Harry, viennent s’incliner devant l’hommage fleuri rendu par la population londonienne à la disparue. Puis la reine s’adresse à la nation, où elle rend hommage à Diana, mais se profile surtout en grand-mère. Elle renoue ainsi le contact avec les Britanniques. Sa popularité ne se démentira plus jamais.
Elizabeth II en parachute
Elle retient aussi la leçon de la défunte princesse de Galles. Elle abandonne désormais (relativement) son style compassé, pour s’adresser aux personnes qui la saluent lors de ses déplacements.
En 2012, à l’occasion des Jeux Olympiques de Londres, elle se plie à une parodie inimaginable pour ses prédécesseurs: une séquence télévisée la montre recevoir l’acteur Daniel Craig, alias James Bond, au Palais de Buckingham, puis s’embarquer dans un hélicoptère avec le célèbre agent 007. On la voit ensuite sauter en parachute au-dessus du stade olympique!
C’est évidemment une doublure qui réalise le saut, mais l’entrée d’Elizabeth II, parfaitement réglée avec la disparition de cette doublure dans les entrailles du stade, lui valent une ovation exceptionnelle.
Une pro-Européenne discrète?
Après deux véto de la France du général de Gaulle, dans les années 60, le Royaume-Uni fait enfin son entrée dans le Marché commun, au début des années 1970. Et un référendum consacre cette adhésion, en 1975.
Quelques années plus tard, sous le slogan «I want my money back» («Je veux récupérer mon argent») Margaret Thatcher réclame et obtient une plus grande ristourne sur la contribution britannique au budget européen.
En 2016, un autre Premier ministre conservateur, David Cameron, organise un nouveau référendum, perdu de toute justesse, sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Au grand dam, dira-t-on, d’Elizabeth II qui, fidèle à l’usage, s’abstiendra de tout commentaire personnel à ce sujet.
Le Premier ministre conservateur, qui avait fait campagne pour le maintien, laissera à ses successeurs, Theresa May, puis Boris Johnson, le soin de négocier les accords de divorce d’avec l’Europe des Vingt-Sept.
La séparation, malgré la signature d’un grand nombre d’accords, n’est toujours pas achevée.
Guerres extérieures et internes
Au cours de ses plus de sept décennies de règne, Elizabeth II verra le Royaume-Uni s’engager dans une série de conflits extérieurs, à commencer par «l’affaire de Suez», en 1956, quand des troupes britanniques et françaises occupent Port-Saïd, en Égypte, en réaction à la nationalisation du canal de Suez, par le nouvel homme fort égyptien, le colonel Gamal Abdel Nasser.
L’affaire se terminera à la confusion des Franco-Britanniques qui devront se retirer. Même si le Royaume-Uni gardera encore pour un certain temps le contrôle des deux rives du canal.
En 1982, la dictature argentine fait occuper les îles Malouines – les îles Falkland pour les Britanniques – non loin des côtes argentines, et elle s’assure ainsi un certain degré d’adhésion dans son pays. Mais la «dame de fer» ne l’entend pas de cette oreille : Margaret Thatcher envoie la Royal Navy sur place, et au terme d’un conflit bref mais sanglant, les Argentins sont forcés d’évacuer les îles Malouines-Falkand. Le fiasco sera fatal à la dictature.
Le Royaume-Uni s’engagera aussi à deux reprises aux côtés des États-Unis dans les guerres d’Irak, en 1991, en représailles à l’invasion du Koweït, sous le mandat de John Major; puis en 2003, sous le mandat de Tony Blair, à la suite d’allégations fallacieuses sur la détention d’armes de destruction massive par l’Irak de Saddam Hussein.
Les troupes britanniques participeront encore aux attaques contre la Serbie, en 1999, après la proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo, et elles seront engagées dans la guerre d’Afghanistan.
Sur le plan intérieur, les différents gouvernements sont confrontés, dès le début des années 1970, à une montée de la violence entre catholiques et protestants en Irlande du Nord. Unionistes et républicains se livrent à une lutte sanglante, parsemée d’assassinats individuels ou d’attentats meurtriers.
Le Royaume-Uni choisit la voie de la répression : le 30 janvier 1972, la troupe fait feu sur une manifestation catholique, faisant dix-huit morts. L’épisode sera rappelé par le groupe U2, dans un de ses plus célèbres chansons, Bloody Sunday («Dimanche sanglant»).
Ce conflit touchera personnellement la reine Elizabeth II et le prince Philip, avec la mort, dans un attentat, le 27 août 1979, de lord Louis Mountbatten, héros de guerre, et surtout oncle du prince Philip.
Il faudra attendre vingt ans pour qu’en 1993 s’initie un processus de négociation, qui débouchera, en 1998, sur les accords du «Vendredi Saint» entre catholiques et protestants, sous le patronage des gouvernements britanniques et irlandais.
La paix revient dans la province. Jusqu’au Brexit, où la crainte de voir une frontière séparer à nouveau la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, obligera les négociateurs à imaginer une solution… qui n’est toujours pas définitive.
«Annus horribilis»
Les années 1990 seront très pénibles pour Elizabeth II, confrontée aux problèmes familiaux de la plupart de ses enfants.
Elle qualifiera même l’année 1992 d’«annus horribilis», après l’incendie qui avait ravagé le château de Windsor.
Elle décidera, après une brève polémique, de le reconstruire à l’identique à ses frais. Et dans la foulée, elle accepte de payer des impôts sur sa fortune et sur son patrimoine.
Rester au poste
À l’entame du XXIeme siècle, en 2002, Elizabeth II perd sa mère, avec laquelle elle entretenait une relation de tendre complicité. La «Queen Mom», Elizabeth, populaire veuve du roi George VI, avait fêté son centenaire, deux ans auparavant.
Le mariage de son petit-fils, William, avec Kate Middleton, en 2011, et les naissances successives de leurs enfants, George, Charlotte et Louis, viennent ensuite combler de joie la désormais patriarche de la famille.
Et sa popularité ne souffrira pas de la rupture entre la famille royale et le plus jeune fils de Charles, Harry, parti vivre en Californie avec son épouse, Meghan Markle. Les accusations de racisme portées par cette dernière à l’égard des Windsor ne terniront pas cette popularité immense.
Le 9 avril 2021, Elizabeth II perd le prince Philip, âgé de 95 ans, auquel elle est restée mariée pendant 74 ans.
Et des spéculations se remettent à circuler : le temps n’est-il pas venu pour elle de céder le témoin à son fils, le prince Charles, qui accuse alors déjà 73 ans?