Procès des attentats de Paris: les victimes ont réentendu les rafales des kalachnikovs qui ont bousillé leurs vies
Ce vendredi après-midi, des extraits sonores et des photos ont été diffusés au procès des attentats. Un moment pénible, excessivement émotionnel mais nécessaire pour la majorité des victimes.
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- Publié le 01-04-2022 à 18h33
- Mis à jour le 01-04-2022 à 18h34
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"L es bras en l’air, les bras en l’air…", hurlent les policiers de la BRI chargée de l’assaut du Bataclan le 13 novembre 2015. Ils sont à l’étage et viennent libérer les otages retenus dans une loge."On est des otages…",crient plusieurs voix. Ces voix, ces sons, ces cris et hurlements ont été diffusés ce vendredi au procès des attentats à Paris. Il s’agissait d’une demande de l’association de victimes Life4Paris. L’attente était importante: jamais il n’y avait eu autant de parties civiles et de victimes rassemblées dans la salle du procès.
"Les personnes ne sont pas obligées d’assister à cette séance", met en garde le président Périès. Mais si ces personnes, ces victimes, sont venues en nombre, c’est bien pour entendre cette bande-son. Bien plus que pour assister à la projection d’une série d’images du Bataclan après le carnage. Seuls trois extraits de cet enregistrement, long de 2h38, ont été diffusés. Les enregistrements entendus provenaient d’un dictaphone abandonné par un spectateur au premier étage de la salle de spectacle.
Des tirs en rafales puis des exécutions
Première partie: on est au cœur concert de Eagle of Death Metal. Guitares électriques, batterie: c’est évident, c’est du métal. Une série de claquements secs résonnent soudainement et on comprend mieux pourquoi de nombreux spectateurs n’ont pas pu assimiler directement qu’il s’agissait du début de l’attaque. Mais le tac-tac-tac interminable prend le dessus sur le rock. On comprend aussi que le guitariste peine à mesurer ce qui se passe devant lui. Son instrument est le dernier à chouiner et à faire écho aux cris et hurlements nombreux. Ça tire en rafales, en continu… Le son devient étouffé. On imagine le propriétaire du dictaphone presser l’appareil contre son corps, être tapis au sol, se faire tout petit. Mais l’enregistrement continue. Au cours d’une des auditions au début de ce procès, Irmine, une victime disait: "On a envie de rentrer dans le sol, on sait pas si on est vivant ou mort, on a qu’une envie, c’est de pas être touché." Aux rafales succèdent alors des tirs secs et beaucoup plus espacés. Ce sont les exécutions. Hélène racontait:"Un pleur, un tir; un cri, un tir; un téléphone qui sonne, un tir, c’est inéluctable."On imagine que derrière chaque coup, c’est un mort, un blessé, une vie qui s’effondre… Le massacre est interminable pour nous qui entendons cette bande-son. Pour ceux qui étaient au sol ce jour-là, ce devait être un supplice."J’ai envie qu’on en finisse, c’est bon",disait Edith. Ce supplice durera 38 minutes et 258 coups seront tirés par les kalachnikovs des trois terroristes.
«Sinon ils font tout péter»
Le second extrait diffuse les échanges entendus au moment de la prise d’otage. Dans la salle du procès, le son n’est pas parfaitement audible, le volume pas excessif"afin de ne pas faire un effet cinéma", comme l’avait demandé un avocat ce jeudi. On perçoit un otage qui crie"sinon ils font tout péter…". Le dossier d’instruction est plus complet. On sait qu’à ce moment, il y a eu des échanges entre la police et les terroristes. Un otage servait aussi d’interlocuteur entre les parties. Celui-ci avait informé les policiers: " On est plusieurs otages, reculez. Ils portent des ceintures d’explosifs. Ils vont tout faire péter si vous ne reculez pas. Reculez. Reculez tous les deux. Reculez plus loin."
Dans la salle, de la Cour d’assises, les souffles sont retenus. L’angoisse est réelle, on n’ose jeter un regard en direction des victimes. Pourtant, tout est mesuré, digne. Pas de cris, de démonstration de pleurs: la dignité ce 1er avril est similaire à celle généralement exprimée lors des nombreux témoignages des parties civiles à la barre de ce procès.
Le président enchaîne avec le troisième extrait; celui de l’assaut pour libérer les otages: cela fait plus de 2h30 que l’attaque a débuté. La BRI est toujours à la manœuvre. On entend des victimes dans la salle de concert:"Monsieur, il faudrait un médecin…"Mais la priorité du moment est de libérer les otages retenus dans la loge. Premier coup de feu: apparemment tiré par le RAID pour détruire une caméra. La porte est ouverte, la colonne d’assaut pénètre dans la loge. Les tirs en rafale étouffent les cris. Une explosion: Fouad Mohamed-Aggad s’est fait exploser. Une minute plus tard, seconde explosion pour la ceinture de Mostefai. Ensuite, c’est l’extraction des otages: on imagine une libération mais le moment semble tout aussi paniquant que les précédents. Les policiers hurlent des ordres clairs et secs."Mon mari", crie une voix stridente."Allez, allez, allez…",hurlent les policiers."On lève les mains", ordonnent-ils. " On ne retourne pas."La diffusion se termine par un échange entre deux policiers:"Est-ce qu’on a les otages, là?" "Oui, ils sont descendus."
Des victimes quittent la salle pour les photos
Le président va enchaîner avec la projection de photos du Bataclan. Il laisse un peu de temps aux personnes souhaitant quitter la salle… Une assistante de "Paris aide aux victimes" portant un gilet bleu offre des mouchoirs à une dame effondrée. Pour cette audience, le service psychologique a été renforcé. L’association a même ouvert une permanence spéciale ce week-end pour les victimes traumatisées par l’audience.
Conformément à la demande des parties civiles, seule une sélection de photos a été diffusée. On débute par l’entrée du Bataclan. Porte d’entrée éclatée, des manteaux au sol, des plaquettes jaunes numérotées disposées par les enquêteurs. Il s’agit de photos prises le lendemain. On progresse dans la salle obscure. Cette obscurité permet de ne pas visualiser avec précision les corps. Pourtant, ces masses sombres sur les photos, on sait ce que c’est. Mais on ne sait pas qui c’est. Une victime en chemise blanche se détache des autres dans la fosse. Et puis, il y a ces larges traînées couleur bordeaux comme si on avait mal raclé le sol maculé par le sang. Chaque traînée, c’est une victime qu’on a dû extraire en la tirant par les bras, par les pieds. Devant nous, une victime montre l’écran du doigt et donne des indications à son voisin de banc. Était-elle à cet endroit, est-ce là que son ami a perdu la vie ou a été blessé?
La lumière est rallumée, le président suspend la séance. Les avocats se lèvent et se dirigent vers leurs clients. Autour de nous, de nombreux visages sont rougis, les étreintes nombreuses et nécessaires. Se tenant la tête dans une main, une victime prostrée semble toujours plongée au cœur de ce Bataclan. Quel effet cette projection a-t-elle pu produire? Pour Arthur Denouveaux, président de Life4Paris, l’association qui avait demandé la diffusion de ces éléments,"ça m’aurait paru incongru que les juges puissent se retirer pour leur verdict sans montrer ces images. Il n’y a pas de voyeurisme, cela a suffi pour se rendre compte du côté horrible et inhumain du 13 novembre".Ce jour-là, il était aussi au Bataclan et l’épreuve de ce 1er avril 2022 n’était pas vaine.

Marie était aussi au concert ce soir-là."L’ami qui m’accompagnait est décédé dans mes bras. J’étais dans la fosse et tout le sang qu’on voit, c’est en partie le sien… Ce qu’on voit aujourd’hui, ce n’est pas que du symbole, c’est la réalité de ce qu’on a vécu. On n’est pas non plus dans la transcendance d’une douleur."
Arthur Denouveaux avait besoin de ce moment."J’étais venu confronter les souvenirs que j’avais. Ma mémoire n’a pas flanché. J’avais bien tout ça en tête. La force du terrorisme, c’est de produire ces images atroces. On ne pouvait pas faire l’économie de ne pas les regarder."Nous, on ne pouvait pas faire l’économie de vous relater ce moment du procès.