Dette russe: quel impact des sanctions européennes?
Les premières sanctions de l’UE à l’égard de la Russie sont tombées. La principale mesure économique concerne l’accès du pays aux marchés financiers européens. Une restriction qui n’est guère anodine.
Publié le 23-02-2022 à 16h48
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Dans son paquet de sanctions à l'égard de la Russie (voir nos éditions du 23 février), l'Union européenne a notamment décidé de cibler "la capacité de l'État russe et de son gouvernement à accéder à notre marché financier et aux marchés de capitaux européens pour refinancer leur dette", a indiqué Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l'UE, hier soir. Mais de quoi parle-t-on exactement? Cette mesure économique met-elle réellement la Russie en difficulté?
1.Refinancerla dette?
Pour bien comprendre la portée d'une telle restriction, l'économiste Philippe Ledent (ING et UCLouvain) rappelle ce qu'implique le refinancement d'une dette publique. "On le sait, la plupart des pays, que ce soit la Belgique ou la Russie, ont une dette publique. Cela signifie qu'ils ont un déficit public qu'ils doivent couvrir en émettant de la dette. Pour faire simple, ils doivent aller chercher de l'argent auprès de créanciers qui sont d'accord de leur en prêter."
Cette dette, en Russie comme ailleurs, est toutefois rarement remboursée. "Imaginons qu'un pays ait émis une dette pour 10 ans. Pendant ces dix années, il doit juste payer un coupon, donc un intérêt. Et à la fin de ce laps de temps, il est censé rembourser sa dette. Mais comme la plupart des États, la Russie ne rembourse pas sa dette mais émet, en réalité, une nouvelle dette pour rembourser la précédente." Cela signifie que les États doivent aller sur les marchés financiers pour, sans cesse, emprunter de l'argent, soit pour couvrir des déficits existants, soit pour rembourser des dettes qui viennent à échéance.
"Au Japon par exemple, l'État émet beaucoup de dette mais l'immense majorité de celle-ci est rachetée par des Japonais. Il y a assez d'argent dans le pays pour financer la dette", poursuit l'économiste. La Belgique pourrait ne s'adresser qu'aux Belges mais préfère s'en remettre aux marchés européens "car il y a plus d'investisseurs, plus de concurrence, ce qui fait que le taux d'intérêt que la Belgique doit payer est moindre".
Enfin, les pays émergents, dont fait partie la Russie, ont pour leur part besoin de capitaux étrangers. "Si la Russie émettait uniquement de la dette sur son marché, elle aurait probablement du mal à trouver tout l'argent dont elle a besoin." Il est dès lors essentiel d'émettre de la dette en dehors des frontières du pays, comme c'est le cas aujourd'hui.
En prenant cette sanction, l'Union européenne vient rompre cette logique, puisqu'elle empêche la Russie d'aller chercher des investisseurs étrangers. "Théoriquement, vous limitez donc la capacité de financement de l'État."
2.Unevraie sanction ?
"Cette sanction m'a étonné, assure Philippe Ledent. En général, la première mesure économique à laquelle on pense est plutôt un embargo sur certains produits. Donc ceci n'est pas anodin."
3.Impactà long terme?
Cette sanction, qui est loin d'être marginale, peut-elle mettre la Russie en difficulté sur le long terme? "D'abord, il faut souligner que le but d'une telle mesure est plutôt de faire avancer le dossier. Ce n'est pas censé durer des années." Ensuite, comme la plupart des sanctions économiques, il ne s'agit pas d'une peine permanente. "Sur le long terme, la Russie pourrait trouver d'autres canaux de financement, en Asie par exemple. Avec le temps, l'économie se réorganise. Finalement, cette sanction, c'est surtout un outil de négociation."