Crise ukrainienne : une guerre dont la population russe ne veut pas vraiment
Selon les dernières données disponibles, les russes sont très partagés concernant la possibilité d'un conflit avec leur voisin.
Publié le 14-02-2022 à 20h04
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Au fait, que pense la population russe d’un éventuel conflit avec son voisin ukrainien ? Alors que la tension est encore montée d’un cran ce week-end (lire ci-contre), la prise en compte de l’opinion russe sur la question fait souvent défaut au milieu du maelström de consultations entre dirigeants. Or, ces données, à prendre avec toutes les précautions d’usage, existent. Ce qu’elles dépeignent : des positions très équitablement réparties.
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"Il n'existe pas de sondage 'pour ou contre la guerre en Ukraine'", entame la chercheuse canadienne Sophie Marineau, spécialiste en relations internationales et diplômée de l'UCLouvain. Mais, en cas de reprise du conflit dans l'est de l'Ukraine (où la guerre du Donbass a fait plusieurs milliers de morts et provoqué le déplacement d'environ deux millions de personnes en 2014), les Russes sont très partagés. "Selon un sondage du Centre Levada effectué en mai 2021, les positions sont très équitablement réparties : 43% des Russes estiment que la Russie devrait intervenir, 43% pensent que non et 14% ne se prononcent pas. La différence est plus marquée selon les classes d'âge: un tiers des moins de 40 ans pensent que la Russie devrait intervenir, mais la proportion passe à 54% chez les 55 ans et plus."
Ces données semblent fiables : le Levada, issu du VTsIOM (centre russe d'étude d'opinion publique), est une organisation non-gouvernementale dont "les données sont utilisées par plusieurs organisations internationales, banques, gouvernements étrangers, médias, etc.", commente Sophie Marineau. Et par le gouvernement russe lui-même ? S'il semble assez peu probable que ces données soient totalement ignorées, " difficile de savoir ce que Vladimir Poutine fait avec les informations rapportées", admet la chercheuse.
Le spectre de la Crimée
Il n'en reste pas moins que le maître du Kremlin ne peut ignorer que, " de manière générale, la population russe a une opinion favorable de l'Ukraine et des Ukrainiens : 50% de la population russe en a une opinion favorable. Chez les personnes de moins de 40 ans, ce ratio est de près de 60%, alors qu'il n'est que de 42% chez les 55 ans et plus", poursuit Sophie Marineau.
De même, Vladimir Poutine ne peut pas faire comme si l'opinion russe sur la crise actuelle était identique à ce qu'elle fut par rapport à la Crimée voilà quelques années (NDLR : la région a été annexée en 2014): "les Russes parlent souvent de réparer l'erreur de 1954 (NDLR : par décret, Nikita Khrouctchev, à la tête de l'URSS, en avait fait don à l'Ukraine). Et pour le pouvoir, la base navale de Sébastopol est d'une importance capitale."" Quand on parle de la Crimée, l'annexion était appuyée par plus de 90% des Russes", appuie Sophie Marineau, qui note qu'"officiellement, la Russie n'est pas en conflit avec l'Ukraine. Mais des soldats russes sont portés disparus ou déclarés morts, ça ne plaît pas à la population."
Les Russes ont peur… de la guerre mondiale
En fait, la population russe ne croit pas vraiment à un conflit d'ampleur d'après les dernières données disponibles: "les sondages réalisés à la fin de l'année 2021 et jusque dans les dernières semaines notent que seulement 37% des Russes croient qu'il y aura un conflit armé avec un pays voisin dans la prochaine année, alors que 53% estiment que ce ne sera pas le cas. Pourtant, lorsqu'ils sont interrogés sur leurs plus grandes peurs, 56% des Russes ont mentionné craindre une nouvelle guerre mondiale."
Le fait que Vladimir Poutine ne dispose pas d'un soutien inconditionnel de la population russe pour lancer un conflit total ou partiel avec l'Ukraine laisserait-il la porte ouverte à l'espoir de désescalade nourri par les Européens (lire ci-contre) ? Pas vraiment, conclut la chercheuse : "En Occident on navigue dans l'incertitude face à ce qui pourrait potentiellement arriver, et je pense que la population russe se retrouve dans la même situation que nous. Leur vie sera directement affectée si un conflit ouvert est déclaré", conclut-elle.
Pour aller plus loin : l’article de Sophie Marineau sur The Conversation France