7 questions pour décoder la campagne présidentielle française
Macron est-il le grand favori à sa propre succession? Va-t-on assister à un match entre Zemmour et Le Pen pour le second tour? Que peut-on attendre de la gauche lors du prochain scrutin? On fait le point sur la campagne présidentielle avec le politologue français Pierre Mathiot (Science Po Lille).
Publié le 06-12-2021 à 21h00
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Alors qu'Éric Zemmour s'est officiellement déclaré candidat, que Valérie Pécresse vient de remporter la primaire de la droite et qu'Emmanuel Macron n'a toujours pas confirmé briguer sa propre succession, la campagne présidentielle française est plus que jamais entrée dans le vif du sujet.
Nous avons profité de l’occasion pour poser 7 questions au professeur Pierre Mathiot, directeur de Sciences Po Lille, qui décortique pour nous les forces en présence.
1.Avec Zemmour déclaré et Pécresse qualifiée, la campagne présidentielle est-elle véritablement lancée?
Pierre Mathiot: Une fois que les candidatures sont déclarées, elles ne sont pas encore tout à fait actées. Il y a d'une part la nécessité de rassembler les 500 parrainages, mais il y a aussi le modèle économique de la campagne qui rend celle-ci difficile à financer pour certains candidats. Certains pourraient donc encore se retirer parmi les plus petits, comme Arnaud Montebourg ou Nicolas Dupont-Aignan.
2.Gilets jaunes, manifestations contre les violences policières, crise sanitaire… la fracture semble profonde et multiple au sein de la société française: un pays plus divisé que jamais?
P.M.: Il existe une forme d'irrationalité collective qui s'est aujourd'hui développée en France, notamment dans un contexte de crise sanitaire. Objectivement, la France s'en sort plutôt bien d'un point de vue sanitaire, économique, etc. Mais subjectivement, cela crée des rancœurs et des frustrations. La division de la société est aujourd'hui politique. Mais elle ne l'est plus entre la gauche et la droite comme autrefois.
Aujourd’hui, cette division se marque entre, d’une part, ceux qui sont satisfaits de la vie qu’ils mènent et de ce que l’avenir leur réserve et, d’autre part, les citoyens qui sont mécontents et inquiets pour leur avenir. Or, il existe chez ceux-ci différentes familles, différents courants: il y a la droite radicale qui croit aux théories du grand remplacement et ce genre de choses, il y a la droite conservatrice qui ne veut pas rompre avec ses traditions, ses valeurs, et puis il y a la gauche radicale, à l’ancienne d’une part, incarnée par Jean-Luc Mélenchon, et moderne d’autre part, où l’on trouve les écologistes.
Mais tous ces mécontentements n’ont pas de réel débouché politique, car leur candidat ne gagnera pas l’élection présidentielle, ce qui renforce les frustrations.
3.Bien qu’il ne se soit pas encore déclaré, il ne fait aucun doute que Macron sera candidat à sa propre succession: est-il le grand favori de cette élection?
P.M.: Il y a des chances très élevées pour que Macron soit au second tour. Les sondages le placent autour de 25%, c'est plus que ce qu'il a obtenu lors du scrutin de 2017. Beaucoup de discours sont critiques vis-à-vis de son quinquennat, mais il peut compter sur un socle d'électeurs silencieux, des électeurs qui ne se rendent pas aux meetings, qui ne se manifestent pas. On l'a d'ailleurs vu lors des élections européennes de 2019 où, en pleine tempête des gilets jaunes, son parti l'avait tout de même remporté avec 21% des suffrages.
Il est aussi le président sortant le plus populaire à 3 ou 4 mois des élections depuis des années, bien plus que ne l’étaient Nicolas Sarkozy ou François Hollande à pareille époque. En cela, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il ne se soit pas encore déclaré candidat: il est le président sortant et le favori, lorsqu’il se déclarera candidat, il ne sera plus président, il peut donc encore attendre avant de descendre dans l’arène.
4.Après sa victoire à la primaire de la droite, Valérie Pécresse peut-elle créer la surprise?
P.M.: La droite arrive dans de bonnes conditions au scrutin: il n'y a pas eu de scandale contrairement à 2016 et l'affaire des emplois fictifs, on a assisté à une victoire nette de Valérie Pécresse au second tour de la primaire et on a pu observer une participation correcte lors de cette primaire fermée avec 150 000 adhérents qui ont voté. C'est un succès technique.
La question à présent est de savoir où Valérie Pécresse va aller chercher les voix nécessaires. C’est une modérée. Pour battre Éric Ciotti au second tour de la primaire, elle a dû aller puiser dans les idées et l’électorat de son rival. Elle se retrouve donc coincée: si elle veut aller chercher des électeurs du côté de Le Pen ou Zemmour, elle va perdre ses électeurs du centre; si elle veut aller chercher des électeurs chez Macron, elle va perdre ceux qui fileront chez Zemmour ou Le Pen. Son positionnement est très compliqué.
Les Républicains se sont sauvés de la crise, mais Valérie Pécresse était créditée de 10 à 12% dans les derniers sondages, il faut voir ce que sa victoire lors de la primaire va provoquer. Mais à la même époque, en 2016, François Fillon engrangeait 20% des suffrages, malgré les affaires.
5.Se dirige-t-on vers un match entre Zemmour et Le Pen pour le second tour ou bien peuvent-ils s’allier contre Macron?
P.M.: Zemmour avait un peu perdu ces dernières semaines, mais il est désormais officiellement candidat et sa cote de popularité risque de remonter. À l'inverse, Marine Le Pen avait redressé la barre lors des dernières semaines en se positionnant comme le véritable challenger de Macron, mais elle demeure sous les 20%, c'est-à-dire à 4 ou 5 points de Macron, c'est beaucoup.
On pourrait imaginer le cas de figure selon lequel l’un des deux décroche. Si tel devait être le cas, je pencherais plutôt pour Zemmour. Son discours extrême pourrait lui poser quelques problèmes afin de réunir les signatures nécessaires ou d’aller chercher des prêts bancaires pour financer sa campagne. Quant à Marine Le Pen, elle possède une base solide, un parti derrière elle. Par contre, ils ne s’apprécient pas, je ne pense pas qu’ils puissent s’unir contre Macron.
On pourrait donc assister à un match à 3 pour la deuxième place au second tour entre Pécresse, Le Pen et Zemmour, où chaque candidat tournerait autour de 16% max. Ce qui est fou, c’est de se dire que si la gauche parvenait à unir ses forces, son candidat pourrait tout à fait revendiquer ses 16% et donc challenger Macron au second tour. Elle serait sans doute largement battue, mais elle pourrait ainsi réexister sur la scène politique.
6.Que doit-on attendre de la gauche dans cette campagne?
P.M.: La gauche n'arrive pas à s'unifier. Elle n'arrive pas à capitaliser sur la contestation sociale et à traduire cela en soutien électoral. En proposant plusieurs candidats, elle se sacrifie, car aucun des candidats n'a de chance d'aller au second tour. Elle est, de toute façon, extrêmement divisée, avec deux courants: une gauche qui a la culture du gouvernement (le Parti socialiste avec Anne Hidalgo, les Verts avec Yannick Jadot ou le Parti communiste français avec Fabien Roussel) et une gauche radicale, une gauche de rupture (la France Insoumise de Jean-Luc Melenchon ou la Lutte Ouvrière avec Nathalie Arthaud). Ces deux courants ne peuvent pas s'entendre. Même si la gauche parvenait à s'unir derrière un candidat, celui-ci ne pourrait faire l'unanimité. Ils sont coincés.
Ce qui se joue en réalité pour la gauche, c’est ce qui va se passer après: les législatives mais surtout l’hypothétique leadership de la gauche lors du scrutin de 2027, lorsque Macron (NDLR: en admettant qu’il remporte cette élection) ne pourra plus se présenter. Et puis les partis historiques que sont le PS ou le PCF doivent être présents à l’élection présidentielle pour ne pas disparaître, afin d’utiliser cette caisse de résonance que représente l’élection présidentielle.
7.En quoi la crise du Covid-19 pourrait-elle jouer un rôle d’ici le scrutin?
P.M.: Pour Macron, cela peut représenter une contrainte supplémentaire. En cas de regain de l'épidémie, les mesures qu'il aurait à prendre pourraient s'avérer impopulaires et jouer sur sa popularité avant le scrutin. Mais on a vu dernièrement que la rationalité sanitaire se doublait désormais d'une rationalité électorale. Par exemple avec la vaccination des enfants: il l'autorise mais ne l'impose pas. Sur la troisième dose, il y a eu beaucoup de critiques quant au fait de la réserver prioritairement aux 65 ans et plus, il l'a donc rendue disponible pour tout le monde, ce qui évite ainsi une stigmatisation des personnes âgées, dont beaucoup composent son électorat de base. Et puis, hormis ceux qui prônent la rupture, aucun candidat n'a vraiment intérêt à critiquer la gestion de Macron. Celle-ci a, globalement, été bonne.
