11 septembre, 20 ans après: «Ils pensaient qu’il suffirait de pousser le premier domino»
L’échec de la riposte américaine a bouleversé le Moyen-Orient, faisant basculer toute la région dans une crise sans précédent. Décryptage.
Publié le 10-09-2021 à 13h40
:focal(368x254:378x244)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/PKLKJIAYEJDPBPUATGJLBG4OLQ.jpg)
Alors que les gravats des deux tours effondrées du World Trade Center fument encore, les USA de George W. Bush préparent déjà la riposte. Le soir même du 11 septembre, le président républicain prend la parole et s'adresse en ces termes au peuple américain: «Ces actes meurtriers à grande échelle étaient destinés à effrayer notre nation en la plongeant dans le chaos et le repli… mais ils ont échoué. Notre pays est fort. Un grand peuple se lève pour défendre une grande nation. Les attentats terroristes peuvent secouer les fondations de nos immeubles les plus hauts mais ils ne peuvent pas ébranler les fondations de l'Amérique.»
La guerre au terrorisme est déclarée.
Prise de conscience

«Ces attentats ont provoqué une onde de choc à Washington, analyse Michel Liégeois (photo en médaillon), professeur de relations internationales à l'UCLouvain, président de l'Institut de sciences politiques Louvain-Europe et spécialiste des conflits internationaux. Les États-Unis ont pris conscience ce jour-là que l'image qu'ils dégageaient à l'extérieur de leurs frontières pouvait être mauvaise. Notamment au Moyen-Orient, où ils soutenaient des régimes plus ou moins autoritaires. De plus, en politique intérieure, ces événements ont donné voix au chapitre à toute une série de personnes, restées dans l'ombre jusque-là: les néoconservateurs, qui prônaient l'interventionnisme afin d'asseoir la démocratie néolibérale partout dans le monde.»
Les États-Unis ont pris conscience ce jour-là que l’image qu’ils dégageaient à l’extérieur de leurs frontières pouvait être mauvaise.
Al-Qaïda
Cette guerre déclarée au terrorisme – et aux ennemis des valeurs défendues par l’Amérique – se concrétise dès les semaines suivantes par l’invasion de l’Afghanistan, désigné comme le siège opérationnel d’Al-Qaïda et de son chef Oussama Ben Laden, l’instigateur des attentats.
Mais rompant avec la doctrine prônée par celle de son prédécesseur, l'administration Bush projette une action à plus grande échelle, ambitionnant de briser «l'Axe du Mal».
Guerre d’Irak
Une fois le régime taliban défait à Kaboul, les USA se tournent alors vers l’Irak et le régime de Saddam Hussein, dénoncé par Washington comme un soutien actif du terrorisme international.
«Cette invasion s'accompagne d'un projet à long terme pour les États-Unis, qui souhaitent développer un nouveau Moyen-Orient, reprend le professeur. L'idée était en quelque sorte de contaminer démocratiquement l'ensemble de la zone au départ de l'Irak. Ils pensaient qu'il suffirait de pousser le premier domino pour que les autres tombent.»
Cette invasion s’accompagne d’un projet à long terme pour les États-Unis, qui souhaitent développer un nouveau Moyen-Orient.
Mais le projet américain se casse rapidement la figure. D’autant plus vite que, face à l’absence de preuves établissant formellement le lien entre le régime de Saddam Hussein et le terrorisme international, c’est la région tout entière qui s’embrase et dénonce l’impérialisme occidental. Un vent d’antiaméricanisme exacerbé souffle alors sur tout le Moyen-Orient, où émergent toute une série de mouvements radicaux à l’échelle locale.
Échec américain
«D'un point de vue religieux et ethnique notamment, l'État irakien n'était pas du tout un État homogène, précise Michel Liégeois. Il ne tenait en réalité que grâce au régime de terreur instauré par Saddam Hussein. En décapitant ce régime (NDLR: parmi les toutes premières mesures prises au lendemain du renversement du dictateur, les USA démantèlent l'armée irakienne ainsi que Baas, le parti unique irakien), c'est en quelque sorte le couvercle que l'on retirait sur une réalité qui ne demandait qu'à exploser. »
C’est le couvercle que l’on retirait sur une réalité qui ne demandait qu’à exploser.
C’est dans ce contexte qu’apparaît celui qui deviendra le principal ennemi de l’Amérique et de l’Occident tout entier: le mouvement État islamique.
«Il est celui qui s'est le mieux développé d'un point de vue militaire et il y a un lien de cause à effet évident entre l'action des USA en Irak et l'émergence de ce groupe.»
Printemps arabe
Mais si les USA ont commis une erreur en intervenant de la manière dont ils l’ont fait en Irak, on ne peut nier les aspirations démocratiques qui secouent à cette époque une partie du monde arabo-musulman.
Sur le continent africain, ce sont l’ensemble des régimes autoritaires arabes qui se retrouvent indirectement renforcés par l’initiative américaine: sous couvert de la «menace terroriste» qui couve de «tous côtés», ceux-ci étouffent l’élan démocratique des peuples tunisien, égyptien ou encore syrien, lesquels finiront par se soulever dix ans plus tard, non sans payer un lourd tribut humain. Hélas, les guerres et l’instabilité qui régissent désormais l’ensemble du monde arabo-musulman continuent de favoriser aujourd’hui l’adoption de politiques sécuritaires, très peu compatibles avec les rêves de liberté et les aspirations démocratiques des populations locales.
Vingt ans après les événements du 11 septembre 2001, le Moyen-Orient a donc sombré dans une crise sans précédent, miné par les conflits internes et l’émergence de nouvelles puissances. C’est un véritable changement de paradigme qui s’est opéré dans la région, plus fragilisée que jamais.


Certains pays arabes ont par ailleurs entamé une forme de normalisation de leurs relations avec Tel Aviv. En 2020, Bahreïn et les Émirats Arabes Unis étaient les premiers à franchir le pas avec, en toile de fond, la constitution d’un front commun face à l’Iran.
