Tokyo 2021 | «Très sincèrement, je suis étonné que les JO soient maintenus»
Les Jeux Olympiques de Tokyo débutent officiellement demain dans l’indifférence générale et sous haute sécurité. Le Japon redoute une propagation de la pandémie dans un pays relativement épargné. Décryptage.
- Publié le 22-07-2021 à 07h00
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C’est parti. S’ils ne commencent officiellement que vendredi, les Jeux olympiques 2020 ont bel et bien débuté mercredi matin à l’occasion d’un match de softball féminin entre le Japon et l’Australie. Une édition inédite puisqu’organisée avec 364 jours de retard sur le calendrier initial. Inédite aussi en raison du peu d’enthousiasme que ces Jeux suscitent dans le pays hôte.
«Très sincèrement, je suis étonné que les JO soient maintenus», avoue Alexandre Faure, postdoctorant à la Fondation France/Japon de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris. Urbaniste de formation, le Français a publié plusieurs études sur la candidature de Tokyo aux olympiades. «Je suis étonné qu'il n'y ait pas eu un deuxième report. Les jeux auraient pu avoir lieu en 2022, il n'y pas d'obligation qu'ils soient absolument organisés avant les jeux d'hiver. Avant 1992, les jeux avaient lieu la même année.»
«La cour de la prison»
Sur place, l'ambiance n'y est pas. «Nous avons ce que nous appelons la cour de la prison», a lancé Sarah Davies, une haltérophile britannique dans une vidéo Instagram. On ne compte plus les athlètes qui ont dû renoncer en raison de conditions trop strictes d'accès au pays. Le coupable? La pandémie de Covid-19 qui regagne en vigueur dans le pays.
Les derniers chiffres font état de 3 200 contaminations quotidiennes. Soit 49% du niveau record atteint en janvier 2021, avec 7 855 cas (en Belgique, le pic atteint en octobre 2020 s’élevait à 22 221 cas pour un pays 11 fois moins peuplé). Une recrudescence dans un pays qui avait réussi à contenir l’épidémie.
Pas de confinement
«Le Japon n'a pas été touché par la première vague de covid comme les Européens, analyse Alexandre Faure. Il y a eu ce bateau de croisière (Diamond Princess, NDLR) à Yokohama où il y a eu un certain nombres de cas. Mais le Japon s'en est bien sorti jusqu'à présent.»
Et pour cause. Tokyo a opté pour une stratégie bien différente de celle adoptée en Europe. «Ils ont juste une autre vision de la gestion d'une pandémie. Elle est très liée à l'isolationnisme et à l'idée de bloquer les frontières. En sachant que c'est une île, c'est beaucoup plus facile», observe l'urbaniste.
Le gouvernement n’a jamais voulu fermer les bars.
Avec un chiffre à l'appui: «Le Japon a perdu 89% des entrées au Japon, stoppées du jour au lendemain. Leur modèle s'associe à celui de la Nouvelle Zélande ou l'Australie. »
Une approche qui a aussi ses avantages pour la population. « Le gouvernement n'a jamais voulu fermer les bars. Les Tokyoïtes continuaient d'y aller alors que le gouvernement demandait de ne pas le faire. La population n'a pas vraiment eu une réponse très favorable quand on lui a demandé d'arrêter la vie sociale.»
Inviter plutôt qu’interdire
Un constat qui pourrait étonner vu d'Europe, où l'on a une vision faussée des Japonais. «Il faut se détacher du cliché d'une population qui serait extrêmement disciplinée. Au Japon, on part du principe qu'on ne veut pas contaminer les autres. C'est un choix individuel. Comme pour un rhume. On porte un masque pour protéger les autres, pas tant pour se protéger soi. C'est une chose dont les Européens n'ont pas l'habitude», explique le chercheur.
Et de poursuivre avec un exemple: «Les compagnies de transport avaient embauché des personnes pour inciter les gens à ne pas rester devant les gares, à ne pas stagner pour boire un café. C'était intéressant. On ne va pas interdire, mais on va collectivement employer des gens pour faire le tour du quartier et inciter les gens à ne pas boire une bière dans la rue. C'est vraiment très opposé à cette idée de discipline.»
Une vaccination tardive
Ca a plutôt bien fonctionné. Mais aujourd'hui, les autorités redoutent le pire. «Dans un pays où il n'y a pas eu beaucoup de cas, le virus pourrait se répandre plus facilement.»
D'autant qu'«ils ont mis très longtemps à lancer la campagne de vaccination, poursuit Alexandre Faure. La bureaucratie du gouvernement japonais a mis du temps à analyser les vaccins. De ce fait-là, ils n'ont pas réussi à obtenir les commandes qu'ils souhaitaient. Ils n'ont pas voulu du vaccin chinois ou russe. Ça a contribué à une lenteur dans la réception du vaccin. Aujourd'hui, ils ont lancé leur campagne de vaccination, et ils essayent d'éviter la montée d'une vague qui pourrait coûter au Japon.»
La résignation des Japonais
Mais la population ne se précipite pas. «Face au faible nombre de cas, les Japonais n'ont pas forcément l'élan d'aller se faire vacciner. Aucune foule n'est présente devant les centres de vaccination. Vu que l'épidémie a été relativement absente du Japon, une partie de la population n'a certainement pas vu l'intérêt d'aller se faire vacciner dans le contexte actuel.»
Il n’y a pas eu une expression ou d’opposition forte aux JO
Une relative indifférence. Comme pour les Jeux. «Il n'y a pas eu une expression ou d'opposition forte aux JO. Il y a surtout une expression d'une grande indifférence, peut-être une attitude envers cette situation qui fait que les Japonais sont résignés à ce que les jeux aient lieu. Ils ne sont pas pour, mais ils n'iront pas manifester ou exprimer dans leur vote leur désaccord.»