Les stéréotypes de genre peuvent expliquer «le paradoxe de l’égalité des genres»
C’est un paradoxe mais les femmes choisissent d’autant moins les études scientifiques que leur pays est développé et égalitaire: des économistes l’expliquent par le recyclage de stéréotypes que les individus intègrent pour se différencier.
Publié le 28-11-2020 à 10h49
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«La recherche récente a établi que la forte sous-représentation des femmes dans les domaines liés aux mathématiques est plus prononcée dans les pays plus égalitaires et développés», rappellent les auteurs, dans une étude publiée cette semaine dans la revue Proceedings de l’Académie américaine des sciences.
Une plus grande liberté accordée aux jeunes dans les pays développés leur permet d’exprimer des préférences «innées» pour une matière plutôt qu’une autre, avancent certains chercheurs pour expliquer ce paradoxe, documenté dans une étude anglo-saxonne de 2018 qui a fait date.
Thomas Breda, Elyes Jouini, Clotilde Napp et Georgia Thebaut, -respectivement chercheur à l’École d’économie de Paris, professeur à Paris-Dauphine-PSL, directrice de recherche au CNRS et doctorante à l’EHESS-, voient la chose différemment.
Ils supposent que le développement économique et une plus grande égalité des sexes «vont de pair avec un remodelage, plutôt qu’une suppression, des normes de genres». Ce remodelage peut mener un genre à préférer un métier ou un type d’activité distinct.
En utilisant essentiellement les données de l’enquête Pisa 2012, ils ont construit un outil de mesure du stéréotype de genre attaché aux mathématiques, le GMS (Gender-Math-stereotype). Pisa désigne des tests passés par des centaines de milliers d’élèves tous les trois ans dans le monde pour comparer les performances des systèmes éducatifs.
Le GMS «reflète le niveau d’ancrage des stéréotypes + les filles ne peuvent pas réussir en maths + et + les métiers à forte composante mathématique ne sont pas pour les filles +», a expliqué à l’AFP le Pr. Jouini
«Schémas culturels rassurants»
Les quatre économistes, tous affiliés à la Chaire Femmes et Science de Paris-Dauphine-PSL, montrent que «plus un pays est développé et égalitaire, et plus le GMS est élevé». Des analyses plus fines dans l’étude viennent quantifier le rôle central des stéréotypes de genre.
Reste à expliquer pourquoi des jeunes Danoises ou Allemandes de 15-16 ans seraient moins enclines à s’engager dans les mathématiques que leurs congénères turques, vietnamiennes ou kazakhes.
D’abord parce qu’elles vivent dans des sociétés prospères dans lesquelles les maths sont moins un prérequis comme facteur de réussite, selon cette étude.
Ensuite parce que ces sociétés, en abandonnant un modèle traditionnel, basé sur la primauté masculine, et en promouvant des valeurs d’individualisme et d’émancipation, amènent paradoxalement les individus à s’identifier à un groupe. En recyclant des normes de genre.
Car ce sont des «schémas culturels rassurants, fournissant une ossature, mais qu’on s’est + librement + choisis», selon le Pr. Jouini.
Ces schémas peuvent conduire à une différentiation des genres par métiers ou activités, valorisant des traits réputés propres aux femmes, comme la bienveillance, la curiosité ou l’extraversion.
Les auteurs jugent nécessaires des «politiques appropriées» pour changer cette situation. La discrimination positive n’y suffira pas, selon des travaux qu’évoque le Pr. Jouini.
«Il faut probablement agir en amont», très tôt pendant le cursus scolaire, «en communiquant, en éveillant l’intérêt, en contrecarrant les stéréotypes, et en aval, en accompagnant» pendant les études.