La Russie affirme avoir un vaccin efficace pendant 2 ans: «Matériellement impossible»
La Russie a revendiqué mardi avoir développé le premier vaccin efficace contre le coronavirus. Une annonce fortement mise en doute par de nombreux pays et experts. On fait le point avec Benoit Van den Eynde, expert en vaccin et immunologie à l’UCLouvain.
- Publié le 12-08-2020 à 15h22
- Mis à jour le 12-08-2020 à 16h36
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«Ce mardi, pour la première fois au monde, un vaccin contre le nouveau coronavirus a été enregistré. Je sais qu’il est assez efficace, qu’il donne une immunité durable».
En pleine course au vaccin contre le Covid-19, l'annonce du président russe Vladimir Poutine a évidemment le don d'attirer l'attention. Mais très vite, des doutes émanant d'experts et plusieurs pays ont fait surface. Notamment sur la qualité, l'efficacité et la sécurité du vaccin, baptisé «Spoutnik V», en référence au premier satellite artificiel lancé par l'Union soviétique en 1957.
Pourquoi douter?
Dans un communiqué, le ministère de la Santé russe affirme pourtant que son vaccin permet de former une immunité longue. De deux ans, pour être précis. Plausible? «Non, c’est matériellement impossible», selon Benoit Van den Eynde, professeur à l’Institut de Duve de l’UCLouvain et expert en vaccin et immunologie. «On ne peut avancer cela que si des observations ont pu être réalisées pendant... deux ans. Or, le virus n’existait pas il y a un an. Ce qui laisse planer beaucoup de suspicions sur ce vaccin.»
L’agence Bloomberg rapporte par ailleurs que la Russie n’a conclu que deux étapes de tests sur trois, la phase 3 devant commencer ce mercredi. Les essais cliniques n’ont donc concerné que deux petits groupes, de 38 personnes chacun. Un échantillon largement insuffisant pour s’assurer de la qualité du produit. «Pour être validé (phase 3), un vaccin doit être testé sur des milliers de patients. Ce qui est loin d’être le cas ici.»
L’autre problème, c’est que les données sur lesquelles reposent ces affirmations n’ont pas été publiées. Difficile pour les scientifiques de rendre un avis. Les doutes sont donc légitimes. «A-t-il été développé sur base d’ARN, d’ADN ou de protéines recombinantes? Comment a-t-il été testé? On ne sait rien. On est limité à ce qui est divulgué dans les médias.»
Annonce à intérêts politiques et économiques
Comment peut-on alors analyser la communication du président russe? Quelle stratégie a-t-il en affirmant prématurément avoir développé le premier vaccin, annoncé accessible pour le 1er janvier 2021? «On peut supposer raisonnablement que la Russie détient une avancée dans la course au vaccin et que Vladimir Poutine a souhaité être le premier à avoir un tel effet d’annonce. C’est un moyen pour le pays de conserver son statut de puissance à l’instar de la Chine, des États-Unis et de l’Europe qui développent aussi leurs vaccins», analyse Tanguy de Wilde d’Estmael, expert des questions politiques russes à l’UCLouvain.
Mais une telle publicité pourrait aussi bénéficier économiquement à la nation. Plus d’un milliard de doses auraient déjà été pré-commandées par 20 pays étrangers. «Avec cette annonce, la Russie se positionne sur le grand marché du vaccin», commente Tanguy de Wilde d’Estmael. «Cela semble essentiel vu le contexte. Le vaccin sera donné à tout le monde, mais probablement pas à tout le monde, en même temps.»