Le temps de demander pardon est-il venu?
Des voix se sont fait entendre pour demander à la Belgique de s’excuser pour les excès de la colonisation. Le moment est-il venu?
- Publié le 30-06-2020 à 06h00
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Dans la vague d’indignation qui a secoué le monde après la mort de George Floyd, ce citoyen afro-américain tué par un policier blanc à Minneapolis, des voix se sont fait entendre pour demander, une nouvelle fois, à la Belgique de s’excuser pour les excès de la colonisation du Congo. Des statues de Léopold II, souverain de l’État indépendant du Congo, ont été vandalisées; et certaines d’entre elles ont été retirées de l’espace public. D’où notre question à nos interlocuteurs: le temps est-il venu pour la Belgique de s’excuser? Et si oui, de quelle manière?
«Elle aurait dû le faire depuis bien longtemps»
«La Belgique aurait dû demander pardon depuis bien longtemps mais elle ne l'a jamais fait, estime Jean-Claude Katende. Mais aujourd'hui, les attaques dirigées contre les auteurs de la colonisation, de l'esclavage sont un indicateur qui montre que le temps est venu.»
Ce pardon «peut revêtir la forme d'un discours des autorités belges, mais aussi celle d'une indemnisation à caractère collectif au profit des populations de certaines provinces où il y a eu beaucoup des victimes.»
«Ne pas oublier les crimes actuels»
«La Belgique peut et même doit évidemment présenter des excuses au peuple congolais pour les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité commis pendant la colonisation et qui ont été amplement documentés par les historiens», embraie Luc Henkinbrant. Mais les auteurs de ces crimes sont morts depuis longtemps, et il ne faut pas oublier «les très graves crimes internationaux commis dans l'histoire plus récente de la RDC». Et là, demander justice «aux auteurs présumés, congolais mais aussi rwandais et ougandais, dont les noms figurent dans une base de données, honteusement gardée confidentielle par le HcdH» (Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme). Des auteurs pour lesquels, à l'appel du Dr Mukwege, il faut que «le droit soit dit».
Assumer le passé
«S'excuser est avant tout un acte volontaire et non impératif», pose Jérôme M. Bonso. Et «avant de s'excuser, la Belgique devrait d'abord assumer son passé colonial et poser des actes à l'égard des Congolais qui peuvent cicatriser les blessures de la colonisation si elles existent.»
«Vider les rancœurs»
«Le moment est venu de se parler, de se dire des choses, de vider les rancœurs, de tourner les pages et d'en écrire des nouvelles, complète Pie Tshibanda. Comment? Déclarations politiques, conférences pour rétablir certaines vérités historiques, cours d'histoire, coopération au développement de la RD Congo. Surtout, donner la parole à ceux qui ne l'avaient jamais eue et les entendre aussi.»
Vérité et réconciliation
«Oui, le temps est mûr pour que la Belgique demande pardon», estime aussi Gisèle Mandaila. Qui trouve que le chemin suggéré par le président de la Chambre, Patrick Dewael «pour une commission Vérité-Réconciliation est la meilleure voie. C'est la voie qu'a choisie l'Afrique du Sud, pour sortir de l'apartheid. Et la différence entre le Congo actuel et l'apartheid, c'est que les Sud-Africains avaient vécu la ségrégation dans leur chair. Alors que, au Congo, c'est le souvenir des exactions qui est toujours présent.»
Quelle forme devrait prendre cette demande de pardon? «Soit un discours du roi, soit un discours du gouvernement… soit les deux», estime l'ancienne secrétaire d'État. «On sait que, quand le roi s'exprime, il est toujours couvert par un ministre. Mais il parlerait de son aïeul, ce qui aurait sans doute plus d'impact.»
«Dépassionner le débat»
«Le pardon est d'abord une démarche individuelle», nuance Stéphanie Mbombo. Entre deux pays, cela doit se passer «de façon relationnelle, symbolique». Et surtout, cela doit se faire de manière «dépolitisée et dépassionnée». Et le climat actuel ne lui paraît donc pas idéal.
Sous quelle forme ce pardon? «Difficile à imaginer, mais je verrais bien une délégation belge et une délégation congolaise réunie devant le Parlement, à Kinshasa, éventuellement en présence de chefs coutumiers. On se laverait les mains, à la congolaise pour se pardonner mutuellement. Car il ne faut pas oublier que s'il y a eu des excès de la colonisation, il y a eu aussi des crimes pour lesquels les Congolais pourraient demander pardon aux Belges.»