Interdire TikTok dans les entreprises en Belgique ? “Il n’existe pas un texte juridique clair”
Bannir TikTok sur les smartphones professionnels d’une entreprise belge n’est pas la mesure la plus évidente à appliquer et à justifier sur le plan juridique, indique Acerta, le prestataire de services en ressources humaines.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/7847210e-219e-435d-ae54-02eaf2b01080.png)
Publié le 13-03-2023 à 15h57
:focal(2904x1947:2914x1937)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/3TSA473EWRAYVMUI5X5UY3IJRA.jpg)
Gouvernements et institutions font tomber comme des dominos les interdictions d’utiliser l’application TikTok sur les téléphones professionnels de leurs fonctionnaires et de leurs responsables. En cause, les risques d’espionnage et de pillage de données sensibles.
Après la Commission européenne, la Maison Blanche ou encore le gouvernement du Canada, la Belgique fédérale a rejoint le mouvement le vendredi 10 mars 2023.
Pour une période renouvelable de six mois, le réseau social chinois est persona non grata sur les smartphones professionnels des ministres belges, des employés de leur cabinet, des employés de la fonction publique.
La Belgique interdit TikTok aux ministres et fonctionnaires : “Le contexte géopolitique a changé”Cette lame de fond pourrait-elle toucher le monde de l’entreprise ? Si oui, sur quelles bases juridiques ? On fait le point avec Laura Couchard, conseillère juridique chez Acerta, prestataire de services en ressources humaines.
L’interdiction de TikTok est envisageable en entreprise
“Si on veut répondre de façon très simple, l’interdiction pure et simple est peut-être plus compliquée qu’une limitation de l’utilisation des réseaux sociaux”, analyse Laura Couchard. “Certes, il faut distinguer trois types de téléphone : le purement privé, le mixte privé/professionnel, le purement professionnel. ”
“Dans le cadre d’un téléphone purement professionnel, on peut envisager une interdiction de TikTok ou d’un autre réseau social, tout en étant vigilant en tant qu’employeur à encadrer cette mesure. Il faut réfléchir à la finalité et à la proportionnalité du moyen mis en place pour l’atteindre. Comme c’est le risque d’espionnage qui est invoqué dans les administrations publiques, ce risque pourrait se révéler majeur dans les boîtes IT par exemple. Dans ce cas, il existerait une finalité de protéger les intérêts de l’entreprise via une mesure d’interdiction. ”
Un mix de règles à défaut d’un texte unique
Si Acerta estime qu’une interdiction de TikTok sur un appareil fourni pour l’employeur peut se justifier, force est de constater que le cadre juridique n’est pas clairement défini.
“Ce qui est compliqué”, reconnaît Laura Couchard, “c’est qu’au niveau de l’interdiction des réseaux sociaux en tant que tel, on n’a pas de texte juridique qui nous dit clairement ce qu’il faut faire ou ne pas faire par rapport à l’usage des réseaux sociaux. ”
“On fait un mix de règles à défaut d’un texte unique par rapport aux réseaux sociaux”, poursuit la conseillère juridique. “On doit combiner toute une série de législations, en sachant qu’en plus, on est face à des législations et des droits assez forts du travailleur. On parle de protection de la vie privée du travailleur, car dans un cadre professionnel, on peut considérer qu’il y a une partie de vie privée. On parle aussi de la liberté d’expression du travailleur. ”
“À côté de ça, il y a évidemment des limites à ces droits, qui sont notamment contenues dans le contrat de travail. On va plutôt parler du devoir de loyauté et de réserve du travailleur envers son employeur. Comme autre outil, on a aussi la Convention Collective de Travail (CTT) numéro 81. ”
Piqûre de rappel : la CCT 81 fixe les conditions de transparence et de proportionnalité dans lesquelles les employeurs peuvent prévenir et tracer les abus de communication en ligne (exemple : l’usage des réseaux sociaux) des travailleurs pendant leurs heures de travail.
Des sanctions jusqu’au licenciement ?
Après la question de l’interdiction se pose celle de la sanction. Comment pourrait être sanctionné un travailleur qui ne respecte pas l’interdiction d’utiliser TikTok sur son téléphone professionnel ?
“On pourrait envisager toutes les sanctions qui sont énoncées dans le règlement de travail. Ça commence généralement par un avertissement, puis il y a d’autres types de sanctions qui peuvent être prévues. Évidemment la question qui va souvent être posée par les employeurs, c’est : dans quelle mesure est-ce que je peux me baser sur cette utilisation interdite pour fonder un licenciement ? ”
“C’est à voir en fonction des faits et du type de licenciement qui est envisagé par l’employeur. Si on envisage un licenciement moyennant préavis ou une indemnité de rupture, il faut que l’employeur ait un motif. S’il possède la preuve qu’il a rappelé plusieurs fois à son travailleur cette interdiction associée à une finalité, on a une motivation. Maintenant, cela sera une autre question de voir si ça peut fonder un licenciement pour motif grave. Là aussi, il faudra examiner les faits. Il peut y avoir une discussion. Nous, on va toujours envisager le licenciement pour motif grave avec une certaine réserve. Il y a un devoir de preuve de l’employeur. Il faut aussi qu’il s’agisse d’un motif extrêmement grave puisque ça rompt toute confiance entre l’employeur et le travailleur. ”