La Belgique interdit TikTok aux ministres et fonctionnaires : “Le contexte géopolitique a changé”
Les craintes autour de l’application de partage de vidéo ont forcé le fédéral à interdire purement et simplement TikTok sur les smartphones professionnels, pour les fonctionnaires, membres de cabinet ou ministres. D’autres niveaux de pouvoir ont embrayé. Un professeur en cybersécurité nous explique les craintes.
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Publié le 10-03-2023 à 15h43
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Le Conseil national de sécurité (CNS) a décidé vendredi d’interdire aux ministres, membres de cabinets et fonctionnaires fédéraux l’usage de l’application chinoise TikTok sur leurs appareils professionnels. Cette interdiction se base notamment sur une analyse de la Sûreté de l’État et un avis du centre pour la cybersécurité (CCB).
La décision sera réévaluée dans 6 mois et les appareils privés ne sont pas visés, mais le CNS émet une recommandation qui sonne comme un avertissement appuyé à se passer de l’application chinoise peu importe l'appareil.
Le CNS appelle également dans la foulée toutes les autorités régionales, provinciales et locales du pays à prendre des mesures d’interdiction similaires. Une demande déjà bien entendue : le Parlement bruxellois et le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles comptent aussi interdire l’appli TikTok, idem pour l'exécutif wallon.
Pour Axel Legay, professeur à l’UCLouvain spécialiste des questions de cybersécurité, cette décision est un pas dans la bonne direction. “J’espère effectivement qu’on va renforcer cette interdiction en l’étendant à toutes les administrations du pays. De plus, TikTok ne doit pas se retrouver sur un appareil où sont stockées des informations professionnelles, même si l’appareil en lui-même est privé”, plaide-t-il avec force.
Les craintes exprimées sur TikTok concernent les fuites de données personnelles et l’espionnage. Pour deux raisons selon le spécialiste. “Premièrement, le code informatique derrière l’application est très difficile à comprendre. C’est logique pour se protéger de l’espionnage industriel mais cela permet aussi d’éviter un audit et de comprendre comment elle fonctionne vraiment. Ensuite, TikTok demande beaucoup d’autorisations lors de son installation sur un téléphone (accès à votre position, aux contacts, historique de navigation sur le web, etc.), puis affirme qu’elle ne les utilise pas forcément. Ça pose question”.
Un milliard d’utilisateurs, des stars et des controverses: 5 choses à savoir sur TikTok”Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’il n’y a pas de distinction entre le secteur privé chinois et l’État chinois. Et l’État chinois s’est lancé dans une opération de conquête digitale en Europe et aux États-Unis qui est tout sauf en faveur des intérêts occidentaux”, poursuit le professeur.
Faut-il interdire TikTok à tous les Belges ?
Dans sa décision, le CNS appelle également le secteur privé à la vigilance quant à l’usage de TikTok. Mais on touche ici aux libertés individuelles, un sujet plus sensible. “On vit dans une démocratie et on a surtout tendance à râler quand on est privé de droits, analyse le professeur. L’usage d’une application sur son téléphone, c’est un droit. L’interdiction pure et simple serait difficile. Cependant, si mon gouvernement démocratique a posé cet acte, en tant que citoyen, cela devrait m’inciter à réfléchir et peut-être à poser l’acte par moi-même”.
Si mon gouvernement a posé cet acte, en tant que citoyen, cela devrait m’inciter à réfléchir.
On a parfois eu tendance aussi à oublier que si c’est gratuit, c’est parce que je suis le produit, rappelle encore le professeur. “Les gens ne réalise pas à quel point ils sont le produit à l’heure actuelle et que c’est pour ça que tant de chose sur internet sont gratuites. Et pour être un bon produit, il faut livrer beaucoup d’informations personnelles sur soi. C’est évidemment problématique”. Le même genre de conseils vaut pour l'usage d’autres grandes applications et site web (Facebook, Instagram…).
Comment TikTok permet à la Chine de nous manipuler (vidéo)Rappelons que TikTok aurait aujourd’hui largement dépassé le milliard et demi d’utilisateurs dans le monde. On peut évidemment se demander pourquoi l'application est tout à coup devenue persona non grata, alors qu'elle soulève des craintes de collusion avec le gouvernement chinois depuis ses débuts en 2017.
“Le contexte géopolitique actuel a changé et révèle pas mal de choses. On a peut-être vécu un peu endormi jusqu’à l’arrivée de la guerre en Ukraine. Maintenant, on se sensibilise un peu plus à ce qui se passe, aussi au niveau numérique. C’est sans doute ce qui nous a fait prendre conscience qu’il y avait peut-être des problèmes avec ces applications”, conclu Axel Legay.
Ces ministres belges sur TikTok
Avec plusieurs millions d’utilisateurs en Belgique, TikTok a évidemment attiré certaines personnalités politiques, qui y voient un nouveau vecteur de communication. Il suffit d’ailleurs de quelques minutes pour trouver les comptes d’Elio Di Rupo, Ludivine Dedonder, Petra De Sutter…
Interpellée sur son usage du réseau social, la ministre de la Défense, Ludivine Dedonder, a assuré que l’application n’était installée ni sur son téléphone professionnel ni privé, mais bien sur un téléphone dédié à cet effet. “Ce qui permet, avec toutes les précautions d’usage, de pouvoir informer et développer une communication moderne qui touche une grande catégorie de citoyens belges. On parle de 4,2 millions d’utilisateurs belges de l’application, dont certains ne l’utilisent d’ailleurs que comme seul moyen de communication”, s’est-elle défendue.
Le ministre-président wallon, Elio Di Rupo, tout en plaidant pour l’interdiction d’installer TikTok sur les appareils contenant également des données professionnelles, avait avancé le même genre d’arguments.
”S’il ne faut pas télécharger cette application sur des appareils qui contiennent des informations internes wallonnes, il faut rester sur TikTok. Il y a plus de 4 millions de Belges qui s’informent via les réseaux sociaux où les complotistes et l’extrême droite sont extrêmement présents. Si nous ne contrecarrons pas leurs fake news, qui va le faire ?”, s’est-il notamment interrogé.