David terrasse Goliath : la communauté Donjons et Dragons fait plier l’éditeur du jeu de rôle, “une nouvelle ère commence”

L’éditeur de Dungeons & Dragons rétropédale après avoir envisagé de limiter la liberté de création des fans et des éditeurs tiers. Wizards of the Coast s’est pris les pieds dans le tapis. Un challenger pourrait bientôt lui contester le trône de roi du jeu de rôle.

Illustration du jeu de rôle Donjons et Dragons
Confronté à la colère des joueurs, l'éditeur de Donjons et Dragons a fini par faire machine arrière. ©Wizards of the Coast

Dungeons & Dragons (DnD) est souvent considéré comme le jeu le plus joué au monde. Pourtant, la vénérable institution (50 ans en 2024) vient de sérieusement trembler sur ses fondations.

En cause : la cupidité de son éditeur américain Wizards of the Coast (WotC) et la mobilisation historique de la communauté pour sauver son jeu de rôle.

Le roi Donjons et Dragons vacille carrément sur son trône. C’est un scénario inattendu. “Une nouvelle ère commence”, analyse le Bruxellois Max Hafniar, le coordinateur de l’événement caritatif Rôl’Event. Explications.

23 ans de paix puis la déclaration de guerre

Écartelé entre l’éditeur principal, les éditeurs tiers et les joueurs, l’équilibre des forces du monde de Donjons et Dragons repose depuis l’année 2000 sur un document baptisé Open Game License (OGL) version 1.0a.

Concrètement, cette licence définit les conditions dans lesquelles quiconque peut développer des produits, du contenu ou encore des scénarios dérivés de l’univers et/ou des règles de Dungeons & Dragons sans payer de royalties (redevance) à Wizards of the Coast.

L’Open Game Licence est indissociable d’un autre document majeur, le System Reference Document (SRD). Cette brique de 403 pages décortique notamment les règles, les caractéristiques des classes (barbare, druide, moine…), des espèces, des sorts ou encore des armes que vous pouvez utiliser dans vos créations couvertes par l’OGL.

Extrait du SRD de Dungeons & Dragons
Voici les caractéristiques d'un barbare dans le jeu de rôle Dungeons & Dragons, selon la bible mise à disposition de chacun par l'éditeur Wizards of the Coast. ©Wizards of the Coast

Pour le formuler autrement : en vertu de l’OGL dans version sa 1.0a, vous pouvez créer du contenu sans payer de redevance et vous participez en contrepartie à l’essor de la popularité de la marque.

Dans ces conditions, Wizards of the Coast n’est pas dans l’obligation d’embaucher des bataillons de graphistes, de maquettistes, d’auteurs et de traducteurs pour développer encore plus de contenus additionnels.

Janvier 2023, l’heure des comptes… et du soulèvement

Cette mécanique faussement désintéressée n’est pas étrangère à l’expansion spectaculaire de la franchise dans les années 2010.

En 2020, Wizards of the Coast bombe le torse. 50 millions de personnes ont déjà joué à Dungeons & Dragons annonce l’éditeur après sa septième année de croissance consécutive.

La communauté Dungeons & Dragons selon Wizards of the Coast.
En 2020, Wizards of the Coast faisait le point sur sa communauté de joueurs : 40% de femmes, 60% d'hommes, 24% de 20/24 ans. ©Wizards of the Coast

De l’eau coule sous les ponts et début janvier 2023, l’heure des comptes sonne du côté de WotC et de sa maison-mère Hasbro qui considère que le monde de Donjons et Dragons ne génère pas assez de recettes.

Pour gonfler les revenus, Wizards of the Coast planche sur une version 1.1 de l’Open Game Licence (OGL) qui sonne le glas de la liberté de créer et de diffuser du contenu.

Exemple : faire appel à l’OGL n’est plus gratuit et une redevance est facturée en fonction de la taille de l’entreprise qui entend l’exploiter.

Les petits éditeurs se fédèrent comme jamais

La communauté DnD s’embrase spontanément, tout comme celle des éditeurs tiers. Wizards of the Coast ne contrôle pas l’incendie que la compagnie vient d’allumer. Pire, le projet d’une version 1.2 de l’OGL remet de l’huile sur le feu.

Dans cette cacophonie, les petits éditeurs essaient de tirer les marrons du feu et de renverser l’ordre établi.

Connu pour l’univers populaire de Pathfinder, Paizo annonce la création de Open RPG Creative Licence (ORC), une nouvelle licence de jeu de rôle ouverte, perpétuelle, libre de droits, irrévocable. Rapidement, d’autres éditeurs annoncent qu’ils rejoignent le camp d’ORC.

Editeur de jeu de rôle Paizo et son système Open RPG
L'éditeur américain Paizo lance la contre-attaque contre Wizard of the Coasts avec ORC, un système libre de développement de jeux de rôle qui n'appartiendra à personne et profitera à quiconque veut s'en emparer. ©Paizo

Bref, en quelques jours, la pyramide Donjons et dragons patiemment construite pendant des décennies s’effondre. Il ne reste plus qu’un scénario pour Wizards of the Coast : rétropédaler.

Le vendredi 27 janvier 2023, la firme annonce que la bonne vieille licence OGL 1.0a reste en place. Mieux, elle assouplit les conditions en plaçant le System Reference Document (SRD) sous licence Creative Commons.

La fin de Donjons et Dragons ?

Peu importe la volte-face, le mal est fait et l’initiative ORC va peut-être modifier à jamais le paysage mondial du jeu de rôle.

“Pour le monde du jeu de rôle, une nouvelle ère va commencer”, estime Max Hafniar. “Ça va peut-être initier la fin de Donjons et Dragons en tant que l’un des jeux les plus joués sur Terre. La toute-puissance de Donjons et Dragons a été ébranlée par ce qui vient de se passer et, avec la licence ORC, on va se retrouver avec un challenger digne de ce nom. On va avoir une véritable concurrence dans le monde du jeu de rôle. ”

Mauvaise publicité pour le film

Le timing de cette polémique est malheureux et maladroit pour Hasbro. Le propriétaire de Wizards of the Coast prépare ces jours-ci son offensive cinématographique. Le film Donjons et Dragons L’honneur des voleurs arrivera dans les salles belges le mercredi 29 mars 2023.

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