Chat GPT va-t-il devenir un nouvel outil pour les étudiants universitaires? "On ne doit pas se voiler la face"
Mise en ligne en novembre 2022, l’intelligence artificielle Chat GPT, capable de répondre à de nombreuses questions, a été utilisée durant la session d’examens de janvier, sans que les enseignants le détectent. Et maintenant?
Publié le 22-02-2023 à 16h27 - Mis à jour le 22-02-2023 à 16h56
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Lancé en novembre 2022, Chat GPT compte déjà plus de 100 millions d’utilisateurs enregistrés dans le monde. Cette intelligence artificielle (IA), capable de répondre à un nombre impressionnant de questions posées grâce à de multiples algorithmes, impressionne et inquiète. Car au-delà de la précision de l’IA sur un grand nombre de sujet, sa capacité à dépasser les connaissances d’un être humain « normal » peut poser un grand nombre de questions. Dernièrement, une étude américaine, lancée par le professeur Christian Terwiesch de la prestigieuse Wharton School (Univesité de Pennsylvanie), a prouvé que l’IA était capable de mieux réussir des examens universitaires de médecine, droit et d’économie que des étudiants.
Une intelligence artificielle utile aux examens ?
Arrivé en fin d’année 2022, Chat GPT (en traduction française, discussion avec un transformateur génératif pré-entraîné) a donc pu être utilisé par des étudiants du supérieur qui connaissaient déjà le programme au contraire, parfois, de leurs enseignants. Et quand on sait que depuis la crise du Covid-19, un nombre assez important des examens se fait en distanciel, avec des critères requis comme la capacité à synthétiser un nombre important d'informations, la tentation d’utiliser le logiciel peut devenir forte. Mais le plus grand des problèmes pour les enseignants pourrait être le plagiat. Car si son utilisation n’est pas (encore) interdite, il faut savoir que Chat GPT est pratiquement indétectable au plagiat.
Peu de prise et pourtant…
Si en Belgique, aucun cas de « tricherie » n’a été médiatisé, en France du côté de Strasbourg, un enseignant avait détecté que 50% de sa classe avait utilisé le logiciel pour un devoir. Et comme l'IA n'est pas interdite, l'enseignant en question avait décidé de donner une note de 11.75/20.
En Belgique, nous nous sommes renseignés quelques jours ou semaines après la fin de la session d’examens auprès des étudiants en haute école ou université. Et sur les 24 jeunes interrogés, 12 femmes et autant d’hommes qui ont accepté de répondre à nos questions sous le couvert de l’anonymat, les résultats sont plutôt surprenants. En effet, si 6 d’entre eux confient « ne pas avoir eu connaissance du programme, sinon, ils s'en seraient probablement servi ». 15 étudiants ont affirmé avoir utilisé le programme pour un ou plusieurs examens. Maxime (prénom d’emprunt), étudiant en première année de bachelier en histoire du côté de l’ULiège, affirme que Chat GPT lui a probablement permis de réussir un de ses examens. « J’ai utilisé l’IA de plusieurs façons. Dans un premier temps, pour mieux comprendre certains événements de l’Antiquité que je ne maitrisais pas ou peu. Et pour un travail écrit que je devais rendre, je me suis référé à Chat GPT afin d’améliorer la qualité de mon travail et ajouter certaines informations. »
De son côté, Louise (prénom d'emprunt), étudiante en Marketing, assume l'utilisation de cette intelligence artificielle durant cette dernière session d'examens. « Je suis en dernière année mais malgré tout, en faisant quelques recherches sur un de mes sujets d'examens, je me suis vite rendue compte que Chat GPT pouvait m'aider, m'aiguiller sur différentes positions bien précises. Pour vous donner un exemple précis, je devais déjà rendre un chapitre de mon mémoire durant cette session, même si je ne dois le rendre qu'en juin. Et bien, pour la théorie de ce chapitre, je n'ai fait que de vérifier si ce que me disait l'IA était valide en recoupant les informations. Et même si ça s'en rapproche, pour moi, ce n'est pas de la triche car je fais quand même un travail de recherche et d'analyse des informations obtenues.»
L’exemple de Maxime et de Louise ne sont pas les seuls. Si des directions d’Université assurent ne pas avoir décelé de telles pratiques (voir plus bas), la réalité est pourtant toute autre. Et à l’heure où certains mémoires commencent à être rédigé, la question sur la propriété intellectuelle pourrait refaire surface dans les différentes enquêtes sur les fraudes lors de sessions d’examens et présentation des mémoires. « Après, il n'est marqué nulle part que l'utilisation de Chat GPT est interdite pour s'aider durant la rédaction d'un mémoire», souligne Sarah (prénom d'emprunt).
Frédéric Schoenaers, Vice-Recteur de l’Université de l’ULiège : « On ne doit pas se voiler la face »
Si certains étudiants admettent l’utilisation de l’Intelligence Artificielle, dans le monde enseignant, on ne tombe pas des nues, même si aucun cas n’a été rapporté. Pierre Genard, enseignant en Marketing à la Haute Ecole de Charlemagne du côté de Liège, ne craint pourtant pas son utilisation. Pour le professeur, il est surtout important de voir Chat GPT comme un outil à disposition des étudiants, telle une calculatrice pour des cours de mathématiques. « Tout d’abord, hormis peut-être si on demande aux étudiants de rédiger une synthèse sur un sujet précis, Chat GPT aura normalement du mal à faire le travail à votre place. Mais après tout, n’y avait-il pas, à l’époque des Mémoires, d’autres manières pour tricher ? J’estime qu’un enseignant est vite capable de voir si l’élève connait, ou non, son sujet. Après, si ce dernier a étudié son cours à l’aide des notes de l’enseignant ou avec le logiciel, quel est le problème ? Ce qu’il faut surtout changer, ce sont les questions qui sont posées pour évaluer les connaissances requises. Si vous placez l’étudiant dans une situation fictive en présentiel, il aura du mal à pouvoir utiliser Chat GPT... »
Frédéric Schoenaers, le Vice-Recteur de l’Université de l’ULiège rejoint l’avis de Pierre Genard. Pour celui qui donne, entre autres, le cours d’introduction à la sociologie et aux enjeux du numérique, des études ont été menées pour mesurer l’impact réel des intelligences artificielles sur l’évaluation de l’apprentissage. Et le constat est clair. « Si, heureusement, il n’y a pas eu d’utilisation détectée et que certains étudiants sont passés à travers les mailles du filet, l’inquiétude n’est pas encore de mise. Tout d’abord, il faut savoir que pour le moment, cette IA, car il en existe d’autres, n’est pas encore intelligente, elle est apprenante. Elle reste donc un point d’appui pour les élèves, même si elle pourrait devenir une menace si les enseignants se voilent la face. Car en effet, Chat GPT montre de grandes qualités en résumé d’articles. Il y a donc une réflexion sur les différents types d’exercices utilisés par les enseignants pour évaluer les compétences. Après, si on l’utilise comme outil, avec un esprit critique nécessaire sur les données que l’IA propose, alors je pense que l’on a bien à l’esprit les forces et faiblesses de Chat GPT. »
Valérie Glatigny : « Il serait illusoire de penser pouvoir en interdire l’utilisation »
Valérie Glatigny, ministre de l’Enseignement supérieur, a dû répondre le 24 janvier 2023 aux différentes questions sur l'outil devant le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour la Ministre, Chat GPT n'est ni positif, ni négatif pour l'enseignement. « Il serait illusoire de penser pouvoir en interdire l’utilisation. Il faut plutôt en saisir et exploiter les potentialités et au bénéfice de la qualité des apprentissages de nos étudiants. L’application ChatGPT apporte uniquement des réponses aux questions qui lui sont posées. Or, il convient de se rappeler qu’une dimension essentielle de l’enseignement supérieur repose sur la capacité des étudiants à poser un jugement sur la base de raisonnements logiques et sur la pensée critique, c’est-à-dire la capacité à poser et à se poser les bonnes questions. Et cela, ChatGPT ne peut pas le faire. »