DÉCRYPTAGE | Décarboner la chaleur par les réseaux
Réduire les émissions de CO2 passera aussi par la décarbonation des systèmes de chauffage. Les réseaux de chaleur peuvent aider à y parvenir.
Publié le 01-03-2021 à 08h58
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Chauffer des bâtiments publics au bois? Caroline Lambin le reconnaît: «Il y a cinq ans, on nous prenait un peu pour des fous…» Mais en l'espace de quelques années, les choses ont bien évolué. À tel point que la société coopérative Coopeos, dont elle est directrice, est de plus en plus sollicitée par les pouvoirs publics locaux.
Ce ne sont évidemment pas des poêles à bois que la coopérative d’Ottignies propose d’installer dans les maisons communales, les halls de sports ou les écoles. On parle ici de réseaux de chaleur alimentés par du bois-énergie.
«L'idée de développer cette filière est née au sein d'une entreprise de formation par le travail en parcs et jardins qui cherchait à valoriser ses déchets de taille et de coupe», explique Caroline Lambin en ouvrant la porte d'un bâtiment installé à côté de l'école communale "Ma petite école", sur la place de Céroux-Mousty (Ottignies-Louvain-la-Neuve).
Cet ancien local communal a été transformé en silo qui peut contenir 55 m3 de plaquettes bois. Du bois local donc, puisqu’il s’agit de “déchets” issus des entretiens des espaces verts de la région, notamment récupérés via un partenariat avec l’intercommunale inBW qui peut ainsi valoriser une partie des déchets verts de ses parcs à conteneurs. Régulièrement, un camion vient souffler de nouvelles plaquettes dans le silo dans lequel un système de vis sans fin alimente une grosse chaudière située dans la chaufferie contiguë.
«On est clairement dans une logique de circuit court et qui permet de développer de l'emploi local, tout en créant de la valeur au départ d'un déchet qui, autrement, représente un coût pour être éliminé», note la directrice de Coopeos.
Évidemment, en parlant de coût, un réseau de chaleur en a un aussi. Dans le cas de celui de Céroux-Mousty, il revient de deux à cinq fois plus cher qu’un système de chaudière au gaz par exemple. Car au prix de la chaufferie il faut ajouter celui du réseau qui relie celle-ci à la fois à l’école, la maison communale, la cure, la salle des fêtes et un restaurant.
Mais où la balance financière s'inverse, c'est au niveau du combustible: on est au bas mot 50% moins cher qu'avec une énergie fossile. Ce qui permet à la commune, qui a remplacé par ce micro-réseau les quatre chaudières qui brûlaient 30 000 m3 de gaz par an, d'amortir son investissement sur trois à dix ans. «Avec l'avantage que le prix du bois énergie est très stable comparé à celui du mazout ou du gaz», indique Caroline Lambin, dont la coopérative, qui gère l'approvisionnement en plaquettes bois et assure la gestion technique de l'installation, fixe par contrat un prix au kilowattheure.
«En réalité, ce que l'on vend c'est de la chaleur.»
Vitrine de la transition énergétique
Les projets de Coopeos s'inscrivent dans le cadre de la transition énergétique en accompagnant des projets publics et privés de remplacement d'énergie fossile par un combustible (quasi) neutre en CO2. Dans le cas de l'installation de Céroux-Mousty, ce sont 70 tonnes de CO2 qui sont ainsi évitées chaque année. Malgré la transformation des plaquettes bois et leur transport, c'est 92% de rejet de CO2 qui sont ainsi épargnés. La Ville d'Ottignies a d'ailleurs fait le choix de ce système, pour coller à son engagement dans la Convention des maires pour le climat et l'énergie, d'une décarbonation d'ici à 2050. L'installation de Céroux sert donc aussi de vitrine pour sensibiliser à la transition énergétique par le biais de visites pédagogiques organisées par Coopeos.

Les réseaux de chaleur alimentés au bois (plaquettes et pellets), il y a déjà plus de dix ans que le groupe immobilier Horizon les développe pour ses écoquartiers. Ce rôle de pionnier doit beaucoup à l’implication dans le développement durable de son patron, l’homme d’affaires liégeois Laurent Minguet.
David Colette, directeur du pôle énergie du groupe Horizon, le confirme: si les réseaux de chaleur sont intéressants économiquement sur le moyen-long terme, «c'est quand même un peu aussi une affaire de conviction». Car, comme le dit aussi la coopérative Coopeos, les réseaux de chaleur n'ont jamais reçu la considération des autorités publiques et restent pénalisés par rapport aux GRD gaz, estime David Colette.
Exemple? Dans le calcul du certificat énergétique, une chaudière gaz est mieux cotée qu'un réseau biomasse. Chaque élément étant pris individuellement, on peut effectivement comprendre que le gaz s'en sorte mieux puisque le combustible est brûlé sur place par une chaudière individuelle. Là où un réseau de chaleur accuse forcément un peu de déperdition. «Mais où ce n'est pas logique, c'est qu'on ne tienne pas compte de la différence entre énergie fossile et biomasse», note Éric Monami, conseiller énergie chez Edora. Interpellé à ce sujet, le ministre de l'Énergie, Philippe Henry, a indiqué à la fédération des énergies renouvelables qu'il travaillait à une correction.
Un autre ministre wallon interpellé sur les réseaux de chaleur est celui du Logement, Christophe Collignon. Le sujet? La concurrence imbattable des GRD gaz qui, pour les lotissements de logements sociaux, installent le réseau et les connexions gaz gracieusement. «Mais est-ce vraiment gratuit? C'est intégré dans le business plan et au final c'est forcément répercuté sur les consommateurs», note Éric Monami. Edora a donc demandé au ministre Collignon d'être attentif à cette question et de prendre en compte les réseaux de chaleur dans le cadre de son plan de construction et rénovation des logements sociaux. «Car c'est avant tout un choix politique, dit Éric Monami. Car quelle serait la logique de développer encore les réseaux gaz alors qu'on doit décarboner la chaleur?»
De toute façon, l'arrivée d'une taxe carbone est inéluctable et inversera forcément la donne, croit David Colette. Démonstration chiffrée à l'appui: «Une maison traditionnelle de 150 m2 rejette 3,5 tonnes de CO2 par an. Avec un réseau de chaleur, pour nos maisons ossature bois c'est 250 kg…»
«C’est le moment pour les Communes de s’y intéresser»

En Belgique, le chauffage représente à peu près 50% de la consommation d’énergie. Fossile pour l’essentiel.
Contrairement aux secteurs de la mobilité et de l'isolation du bâti, la question d'une politique volontariste de décarbonation est pourtant nettement moins débattue concernant les systèmes de chauffage. Alors qu'il y a une grosse marge de progression possible dans ce secteur puisque la Belgique fait partie des pires élèves européens avec seulement 8,3% de chaleur issue d'énergies renouvelables, pointe Edora. La Fédération des énergies renouvelables organise ce 4 mars un webinaire sur les microréseaux de chaleur (inscription sur www.edora.org) et compte enfoncer le clou sur cette question. «C'est le moment pour les communes de s'y intéresser. Car il n'y a pas de temps à perdre pour la transition énergétique et les objectifs climat et parce que cela va bouger dans les mois à venir», indique Éric Monami, conseiller énergie chez Edora.
Arrêter le développement du réseau de gaz
Au gouvernement, le ministre de l'Énergie, Philippe Henry, planche en effet sur une «stratégie chaleur durable». Chez Edora, on espère que des signaux clairs seront envoyés au marché le plus rapidement possible. «Sinon, les gens continueront à investir dans des installations au gaz et au mazout, note Éric Monami. Si on veut une transition vers la neutralité carbone en 2050, ce n'est pas au dernier moment qu'on doit annoncer les mesures.»
Les mesures wallonnes seront-elles suffisamment ambitieuses? À voir, grimace Éric Monami: «La déclaration de politique générale ne compte qu'une seule ligne sur les réseaux de chaleur mais évoque encore le développement du réseau gaz», dit-il.
Or, dans une logique de décarbonation de la chaleur, il faudrait au contraire mettre un stop au développement du réseau gaz, estime Edora. Avec un vrai shift vers la chaleur renouvelable (réseau de chaleur mais aussi géothermie, pompes à chaleur…) y compris pour le bâti existant.
À ce propos, une articulation cohérente entre la stratégie chaleur durable et le plan de rénovation/isolation de l’habitat et des bâtiments publics wallons est essentielle, estime Éric Monami. Car s’ils sont souvent associés aux nouvelles constructions et aux écoquartiers, les réseaux de chaleur ont aussi toute leur place pour les vieux bâtiments.
«Même rénovée et isolée, une maison de 100 ans ne sera jamais aussi performante qu'une neuve. C'est donc sur la production de chaleur qu'il faudra aller chercher la neutralité carbone.»