Voiture autonome: mort du transport public?
Les transports publics vont-ils disparaître avec la révolution des véhicules autonomes? Les villes, en tout cas, devront s’y adapter.
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Publié le 07-04-2017 à 11h49
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Étudiants, personnes âgées: transporter ces «captifs», qui n’ont pas de possibilité de conduire, c’est actuellement la mission de «service public» des transports en commun. Oui mais demain? Avec l’arrivée des voitures autonomes, et connectées, chaque individu pourra avoir accès à un moyen de transport flexible, quand il veut, là où il le souhaite. Aisé. Et à un prix raisonnable.
Déjà, les grands ennemis des taxis que sont Uber ou Lyft sont en mesure de proposer des services de voiturage à des tarifs qui concurrencent le transport en commun. Imaginez, alors, quand ils disposeront de flottes de voitures sans chauffeurs. Ce qui coûte, c’est l’homme derrière le volant.
De la science-fiction? La plupart des constructeurs en sont déjà aux phases de test de voitures totalement autonomes en conditions réelles de circulation. L’introduction des technologies est progressive mais, selon une étude de McKinsey, les voitures autonomes représenteront 15% des automobiles vendues en 2030. À partir de là, la croissance sera significative.
Parallèlement, le développement de «l’économie de partage» fera que les propriétaires de ces voitures autonomes seront tentés de rentabiliser leur investissement en les louant à d’autres. La plupart du temps, les véhicules personnels restent immobilisés. Des entreprises convoiteront aussi le marché. À l’usage, il est probable que les gens se détourneront de la «possession» même d’une auto. Une fameuse révolution.
Conséquence: le nombre de voitures va décroître. Plus de sécurité sur les routes et moins d’embouteillages, car ces voitures, électriques, connectées entre elles, circuleront avec davantage de fluidité.
L’impact sur l’environnement sera réel. Mais pour les pouvoirs publics, les conséquences sont énormes. Moins de taxes sur les autos, sur le carburant, perte des redevances de stationnement: toute la fiscalité est à revoir. Et toujours un risque de congestion en centre-ville si les rythmes de mobilité ne sont pas régulés.
«Sans politique appropriée, les sociétés de transport perdront des revenus, les chauffeurs perdront leur emploi, les villes seront laissées avec de grandes surfaces de parking vides et l'habitat et les bureaux déménageront dans une large mesure à la périphérie», préviennent les experts d'Arcadis, société internationale de conseils. Leur étude, menée aux États-Unis, met en évidence la situation différente des villes, New York, Los Angeles, Dallas. Celles où l'équipement en transport en commun domine (métro) pourront défendre ces acquis. Celles où la voiture fait la loi verront l'explosion des modes partagés.
«Je suis convaincu que les voitures autonomes ne vont pas remplacer le transport en commun, commente Mark Keppens, expert d'Arcadis. Ce sera un autre mode de transport, inclus dans le système urbain, mais dans les axes où on a besoin d'une haute capacité, on aura encore besoin du transport en commun. D'ailleurs, les sociétés cherchent toutes à encore augmenter leur capacité de transport.» Si elle défend les intérêts des pouvoirs publics, l'étude Arcadis sonne néanmoins en avertissement: à l'avenir, il faudra envisager la mobilité autrement qu'aujourd'hui. Totalement.
L'agilité, via des partenariats
Les transports en commun, eux aussi, deviendront autonomes. «C'est une option qui va s'imposer de manière évidente», estime Stéphane Thiery, directeur marketing des TEC.
Mais si la société wallonne est à la pointe en Europe en matière de véhicules électriques et hybrides (298 bus en commande), elle se contente d'observer les expériences menées ailleurs sur la conduite autonome, notamment à Lausanne. Pour M. Thiery, avec des couloirs dédiés, le bus restera imbattable grâce à sa «charge écologique» moindre. Certes, «les clients qui étaient captifs risquent d'être beaucoup plus agiles en termes de mobilité. Ils vont passer d'un mode à l'autre de transport. C'est le grand challenge de toutes les sociétés de transport en commun en Europe. Mais c'est par des partenariats avec d'autres solutions digitalisées que le groupe TEC va trouver cette agilité qui lui permettra de garder ses clients et sa place dans une palette de mobilité. La transformation du groupe tend vers cela.»

TRANSPORT | Des applications communes
S’il veut survivre aux voitures autonomes, privées ou partagées, le transport en commun public (trains ou bus) devra s’adapter.
On peut prédire qu’il fera le choix de l’autonomie. Restant concurrentiel sur les grands axes de circulation, il pourrait s’allier avec la voiture autonome, plus flexible, qui irait chercher les clients dans les zones plus diluées, pour les «rabattre» sur des zones de transit. C’est un scénario. Celui de la «multimobilité». Pour cela, les Villes vont devoir travailler avec les opérateurs privés et les développeurs pour créer des applications «ouvertes», permettant de programmer, de réserver et de payer tout transport, sur une plate-forme commune, préconise Arcadis. Pour le moment, il est difficile de comparer, et de concilier les offres. Il faudrait aussi éliminer les multiples formes de paiement et offrir des tarifs dynamiques. Des cartes multi-usages. Et ce serait utile de favoriser l’accès au smartphone pour les personnes les plus défavorisées.
L’atout des pouvoirs publics, c’est qu’ils pourront monnayer certains accès (centre-ville, aéroports, etc.) et exiger l’accès, en «open data», aux données des transporteurs privés.

HABITAT | Nouvel exode hors des villes
Les édiles communaux ont espéré pouvoir freiner la désertification des villes en y «emprisonnant» leurs habitants. Pas gagné.
Et la voiture autonome ne va pas y aider.
Certes les grandes villes, débarrassées d’une grosse part des automobiles, du trafic, du stationnement en rue, redeviendront plus agréables, plus vivables. Mais en même temps, les déplacements seront facilités, et moins chers. Ce qui renforcera la tentation à aller habiter en périphérie.
Oh, pas nécessairement pour vivre à la campagne. Selon l’étude menée aux USA, un Américain sur cinq seulement désire habiter en ville. Pour un tiers qui optent pour le calme d’un quartier résidentiel. La majorité (58%) dit préférer les banlieues mixtes, avec des commerces, des restaurants, des bureaux à proximité. Des petites cités en somme. Et ce sont ces modèles-là qui vont se développer dans le futur.
Nul besoin donc d’y installer de coûteux métros, d’y prévoir des autoroutes urbaines ou des places de parking à foison (ça coûte), ni d’en faire des ghettos pour cyclistes et piétons. L’avenir sera aux cités multimodales.

STATIONNEMENT | La reconversion des parkings
Selon certaines études, avec la généralisation des voitures autonomes, la demande de parking dans les villes va se réduire… de 90%.
Exagéré? Aux États-Unis, on estime que pour chaque voiture, huit places de stationnement sont nécessaires. Le pays compte deux milliards de places, occupant un espace de 41 000 km2. Soit la superficie des Pays-Bas!
Mais dans le futur, la voiture autonome vous déposera au boulot ou au supermarché, puis viendra vous rechercher sans devoir rester stationnée à proximité. Surtout si elle est partagée. Dès lors, la plupart des immenses parkings deviendront obsolètes. Aussi, les bureaux d’architecture étudient déjà des parkings aisément transformables en bureaux ou en hôtel, avec des plafonds plus hauts, des fenêtres, etc.
Les parkings qui subsisteront seront, eux, étudiés pour des voitures qui s’y gareront sans occupants. Avec des places plus étroites puisqu’il ne faut plus ouvrir les portières. Encore de l’espace récupéré. Mais pour les villes, cette disparition va poser un énorme problème financier. Parce que les taxes de stationnement en ville, ça pèse très lourd dans leurs budgets.

EMPLOIS | La bérézina pour les chauffeurs
L’impact le plus significatif de la généralisation des véhicules autonomes, ce sera sur l’emploi. Le métier de conducteur de taxi deviendra obsolète, celui de chauffeur routier ou de livreur aussi.
Les chauffeurs de bus devront se reconvertir.
Aux États-Unis, le bureau des statistiques évalue à 4 millions le nombre de chauffeurs professionnels. Qui seront, pour la plupart, remplacés par des machines. Ça ne fait plus aucun doute, même si, dans la période de transition, des accompagnants resteront présents, quand il faudra encore «rassurer» le public, ou dans des situations de conduite exceptionnelles. Ça n’aura qu’un temps.
En revanche, de nouveaux jobs seront créés, dans les métiers techniques et dans la gestion de cette mobilité toujours plus complexe.
Un autre défi sera d'éviter la fracture sociale informatique. D'éviter que l'accès à ces technologies connectées soit réservé aux seuls privilégiés. «Les villes doivent veiller à ce que les populations vulnérables maintiennent l'accès aux emplois, à l'éducation, aux services de relâche et à d'autres équipements majeurs importants au quotidien», préconise Arcadis.
Ford en tête
Tous les grands constructeurs automobiles, les équipementiers, mais aussi des multinationales comme Uber ou Google, travaillent depuis des années sur l'automatisation de la conduite des véhicules.
Une étude récente (Navigant Research) classe Ford et GM en tête, en termes de stratégie et d'applications, devant Nissan-Renault et Daimler. Ford, qui va investir un milliard de dollars dans une start-up d'intelligence artificielle, compte commercialiser son premier véhicule autonome en 2021.
Niveau 4
Volvo lancera aussi ses premières voitures autonomes en 2021. Elles seront directement au Niveau 4, soit complètement autonomes, capables de gérer les situations d'urgence et de regagner une position de sécurité sans interaction du conducteur. Son PDG, M. Samuelsson, estime que le mode de conduite autonome Niveau 3, où le conducteur cède le contrôle au véhicule mais doit rester prêt à reprendre les rênes en cas d'urgence, est «dangereux». Volvo assumera donc la responsabilité de toutes les actions effectuées par la voiture une fois le mode autonome enclenché.