Alexander De Croo fustige les positions du PTB : “Si vous me mettez face à Raoul Hedebouw, je pourrai lui expliquer cela…”
À l’occasion des Fêtes de Wallonie, Alexander De Croo a accordé à L’Avenir un entretien sans concession. Perspectives pour la Belgique et pour la Wallonie, emploi, relations avec la Flandre, stéréotypes… Le Premier ministre s’exprime sur tous les sujets sensibles. Mais face à la montée du PTB dans les sondages, il n’hésite pas non plus à critiquer les prises de position de Raoul Hedebouw qui, selon le Premier ministre,… “n’a pas encore fait grand-chose”.
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- Publié le 16-09-2023 à 11h00
Alexander De Croo, la Wallonie comme la Flandre connaît une montée des extrêmes. Cela vous inquiète-t-il ?
Laissons d’abord les citoyens exercer leur droit de vote. Pendant que certains évoquent des solutions simples en criant “Y’a qu’à, Y’a qu’à, Y’a qu’à”, nous, on travaille. On a protégé le pouvoir d’achat. On a baissé les factures énergétiques de manière considérable. On a taxé les surprofits des producteurs d’énergie. Et on est intervenu pendant la crise sanitaire pour éviter les faillites.
Si vous me mettez face à Raoul Hedebouw, je pourrai lui expliquer cela. Il a une bonne maîtrise du vocabulaire. Mais honnêtement, en ce qui concerne les réalisations concrètes, je ne vois pas grand-chose. Il critique aussi vivement le fait que des supermarchés Delhaize, dirigés par un patron depuis les Pays-Bas, vont être transférés à des entrepreneurs locaux franchisés. Or, Raoul Hedebouw estime dans chaque discours que tout est de la faute des multinationales. Mais ici, il les défend ! C’est un peu bizarre non ?
Dans un débat organisé par le Voka, aucun président de parti flamand ne voulait d’une Vivaldi 2…
Je ne suis pas là pour plaire aux présidents de parti. Si vous êtes le président d’un parti de droite, vous aspirez à un gouvernement de droite, tout comme les partis de gauche souhaitent un gouvernement de gauche. En définition, un gouvernement composé à la fois de partis de gauche et de droite ne suscite des rêves chez aucun président de parti. Mais la question était également très binaire.
Vous comprenez les critiques contre la Vivaldi ?
Il y a de nombreux dossiers importants pour lesquels nous avons obtenu des résultats. Notamment la prolongation du nucléaire. Par ailleurs, on n’a jamais créé autant d’emplois dans une période de crise. Est-ce que je peux dire que c’est grâce à moi ? Non, le fonctionnement du pays repose sur les épaules des 11 millions de Belges. Cependant, nous pouvons présenter des résultats concrets.
Écolo plaide encore pour réintégrer des éléments de la réforme fiscale dans les discussions budgétaires. Est-ce une cause perdue selon vous ?
On ne va pas perdre notre temps. On a essayé de faire davantage que ce qui était inscrit dans l’accord de gouvernement. Mais on ne disposait pas de la marge budgétaire permettant de réaliser ce que les partis souhaitent. Maintenant, notre priorité, c’est le budget 2024.
En matière de solidarité, Paul Magnette regrettait un certain manque de solidarité du fédéral suite aux inondations qui ont touché la Wallonie.
Ce n’est pas vrai. La Défense s’est mobilisée. Et nous avons mis à la disposition de la Wallonie un prêt d’un milliard d’euros. Mais je n’ai pas envie de faire de bataille politique sur quelque chose de si dramatique et traumatisant.
“Le bashing anti-Wallons est une erreur de calcul”

En tant que Premier ministre, quel message adresseriez-vous aux Wallons qui célèbrent, ce week-end, la centième édition des Fêtes de Wallonie ?
Les 100 ans des Fêtes de Wallonie, c’est l’occasion de regarder de l’avant, de déployer notre potentiel. Lorsque j’utilise le pronom “on”, je parle des Wallons, mais aussi de tous les Belges ensemble. Pour moi, cette fête doit donc être un moment où l’on croit en nos possibilités. Et un temps où l’on se dit : “Tiens, on aimerait essayer de mieux réaliser nos possibilités, de mieux réaliser notre potentiel”.
Le Wallon n’a-t-il pas assez conscience du potentiel de sa Région ?
Pendant ces trois années, j’ai eu la chance de me déplacer dans toute la Belgique et donc en Wallonie. Et j’ai pu y découvrir de nombreuses réalisations incroyables. Je pense au site de Google à Mons, l’un des centres névralgiques de l’Internet mondial. Ou aux innovations de GSK dans la lutte contre le VIH et Ebola. Ou encore à Fabien Pinckaers, le CEO d’Odoo, qui a créé 3000 emplois en quelques années. Ce que j’ai observé remet en question tous les stéréotypes sur les Wallons, que certains entretiennent en Flandre. D’après mon expérience, je pense que les Flamands et les Wallons ne sont pas si différents.
Bart De Wever parle pourtant de la Belgique comme l’addition de deux sociétés différentes…
Certes, la langue est différente. Mais en dehors de cela, nous partageons de nombreuses similitudes. Je pense à notre manière de vivre, à notre ouverture d’esprit au monde et aux idées, ainsi qu’à notre tendance à appliquer la maxime vivons heureux, vivons cachés ! Ce que je remarque, par contre, c’est que la politique tend à suivre des orientations très distinctes. Mais, au fond, les Wallons, les Bruxellois et les Flamands ne sont pas si différents. La véritable question réside dans notre choix de perspective : souhaitons-nous chercher les points de divergence et cultiver la polarisation, ou préférons-nous adopter une perspective où nous reconnaissons que nous avons davantage de points communs que de différences ?
Ce bashing anti-Wallons paie-t-il dans le débat politique en Flandre ?
Non, je pense que c’est une erreur de calcul. Après 15 ans de bashing, où cela nous a-t-il menés ? Cela a-t-il rendu la Flandre plus forte ? Pas vraiment ! Faire un bloc flamand et puis essayer de forcer quelque chose, cela ne nous a menés à rien. Cependant, ce que je constate, c’est que la fréquence, voire l’existence de conflits communautaires a considérablement diminué. Il y a dix ans, la question communautaire était constamment sur le devant de la scène. Nous avons résolu le problème de Bruxelles-Hal-Vilvoorde. Et il est difficile d’imaginer que c’est ceux qui ne soulignent que les faiblesses de notre pays sont ceux qui parviendront à l’améliorer.
Cette semaine, Paul Magnette estimait dans nos colonnes que Bart De Wever répétait en boucle les mêmes arguments depuis 20 ans…
Tout à fait. De plus, il avance des affirmations fausses. Il soutient que, sur le plan budgétaire, la Belgique est une “Grèce en Mer du Nord”. Or, si nous nous penchons sur le PIB par habitant, notre performance est deux fois meilleure que celle de la Grèce. Il affirme aussi que notre dette frôle le gouffre. Comparons-la avec celle du Canada, où il y a deux langues et des conflits linguistiques. Leur dette est supérieure. Et on n’accuse jamais le Canada d’être en faillite.
Le tableau n’est pas rose non plus…
C’est évident, mais nous pouvons surmonter ces défis en travaillant ensemble, plutôt que de simplement pointer du doigt. Lorsque Bart De Wever affirme que si la Belgique était une entreprise, elle serait en faillite, je ne comprends pas sur quoi il se base. En termes d’innovation, nous sommes parmi les meilleurs en Europe. Et face à cette dette, nous avons une population prête à contribuer jusqu’à 22 milliards d’euros. Il est grand temps de rectifier ces perceptions erronées et de démontrer le dynamisme qui existe en Belgique et en Wallonie.
La Flandre, terre d’emploi pour les chômeurs wallons : “Et pourquoi pas ?”
L’emploi semble devenir le sujet N°1 de la campagne électorale. Que devrait faire la Wallonie pour augmenter son taux d’emploi et rattraper son retard ?
Le taux d’emploi en Wallonie est inférieur à celui de la Flandre, mais nous pouvons considérer cela comme une opportunité. Dans tout le pays, il existe des pénuries sur le marché de l’emploi. Avoir moins de personnes travaillant dans une région signifie également qu’il y a des individus que nous pouvons encourager à rejoindre le monde du travail. L’élément clé réside dans le changement de mentalité. C’est là le véritable enjeu.
Lorsque j’observe des communes affichant un taux de chômage de 25 %, cela est préoccupant. Mais cela ne doit pas être une fatalité. On voit d’ailleurs que de nombreux Bruxellois vont travailler en Flandre. Et cela fonctionne bien…
Liège et Charleroi sont des villes fortement touchées par le chômage. Vous suggérez donc aux Carolos et aux Liégeois qui cherchent un emploi d’aller travailler en Flandre ?
Et pourquoi pas ! En Flandre-Occidentale, des dizaines de milliers de Français viennent travailler, même s’ils ne parlent pas bien, voire pas du tout, le flamand. Honnêtement, je ne vois pas où est le problème. Avoir un emploi, c’est bien plus qu’un simple salaire. Lorsque vous travaillez, vous développez un réseau social et vous faites partie d’une communauté. En ce qui concerne la solidarité, il est essentiel d’avoir davantage de contributeurs. Tôt ou tard, chacun bénéficie des mécanismes de solidarité dans sa vie. Si vous souhaitez en profiter, il est également important de pouvoir y contribuer. Travailler, c’est un acte de solidarité. Cependant, il est vrai que des défis subsistent, notamment en ce qui concerne le taux d’emploi et l’enseignement.
Ces problèmes ne sont-ils pas liés à des dimensions qui dépassent simplement la sphère politique ?
Arrêtons toujours de trouver des excuses. On a un pays avec tellement de possibilités et avec tellement d’atouts. Prenons les choses en main.
Est-ce qu’il y a des différences entre la Wallonie et la Flandre en termes d’entrepreneuriat ?
Se demande-t-on s’il y a des différences entre la Flandre-Occidentale et le Limbourg ? Oui, il y a des mentalités différentes. Mais c’est normal. Nous sommes un petit pays avec des clusters régionaux différents. Mais il y a aussi des points communs. Et notamment le fait que toutes les entreprises que j’ai visitées pleurent pour trouver du personnel.