Philippe Steveny, propriétaire de 30 implantations automobiles en Wallonie: "Le prix reste dissuasif, l’État doit mettre en place des aides"
Dans le cadre des 100 ans des Fêtes de Wallonie, "L’Avenir" donne la parole cette semaine à six acteurs de la croissance au sud du pays. Place ce mardi à Philippe Steveny, l’homme qui rachète des concessions automobiles à tour de bras.
- Publié le 12-09-2023 à 04h00
Philippe Steveny, que représente votre groupe automobile en Belgique ?
Notre enseigne multimarques regroupe 9 concessions Kia, 10 concessions Ford et 7 concessions VW, ainsi qu’un magasin central et quatre carrosseries, soit un total de 30 implantations dans lesquelles 450 travailleurs sont occupés. En 2022, nous avons vendu quelque 10 000 véhicules neufs et 4 000 voitures d’occasion. Nous sommes leader dans la vente de la marque Kia en Belgique. Pour Ford aussi nous le sommes devenus. Ce n’était plus arrivé depuis des décennies qu’un concessionnaire wallon devance tous les Flamands. Notre entreprise commercialise désormais plus d’unités que certains importateurs.
Quel est l’état du marché aujourd’hui ?
Les immatriculations de véhicules neufs sont reparties à la hausse, sans toutefois rattraper encore la moyenne des années pré-covid. Nous livrons les commandes de 2022 et même 2021, nous commençons à reconstituer lentement des stocks. Le marché du neuf a affreusement souffert de la crise des semi-conducteurs: les constructeurs n’ont plus été en mesure de poursuivre leur production, conséquence de la crise sanitaire qui avait mis l’industrie parfois complètement à l’arrêt. Si le marché de l’occasion s’est envolé avec des surcotes, on en revient à la situation antérieure, le neuf reprend des couleurs. La mauvaise nouvelle, c’est que les taux d’intérêt des emprunts sont en train de remonter. Nous devons donc faire preuve de créativité pour aider nos clients à financer leurs achats, avec des formules innovantes comme le private lease…
Quelles sont les parts de marché des entreprises et des particuliers dans votre groupe automobile ?
Cela dépend des marques. Pour Kia, les particuliers représentent 60% des parts de marché. Nous sommes à 50-50 pour Ford et chez VW, les entreprises sont largement majoritaires avec 70% des ventes. Le changement de fiscalité et la dégradation des avantages octroyés aux professionnels, en lien avec la transition du charroi, ont boosté les commandes dès la fin 2022 et jusqu’en juin. Les entreprises ont anticipé des achats. Cela devrait impacter notre activité dans les mois à venir.
Comment avez-vous vécu et traversé les crises ?
En 2020, un an et demi après la reprise des cinq concessions Ford Jambes Motors, nous avons dû fermer tous nos showrooms. Il a fallu se réinventer. Nous avons proposé à nos clients d’aller chercher leurs véhicules à domicile pour l’entretien ou les réparations et de les leur ramener après. Il n’y avait plus personne sur les routes, c’était une sorte de guerre pour moi. Le chômage économique covid a permis de mettre un tant soit peu le personnel à l’abri, mais nous avons dû continuer nos remboursements, sans bénéficier d’aides aussi importantes que celles octroyées au secteur en France. La mise à l’arrêt des activités industrielles a amené des pénuries de matières premières et de semi-conducteurs, puis la guerre d’Ukraine est venue donner le coup de grâce. J’ai découvert à quel point ce pays était actif dans la production de composants automobiles comme des câblages ou des phares. Nos clients ont accepté de continuer à jouer le jeu malgré les délais, alors que les constructeurs se montraient incapables de nous donner des dates précises de livraison. S’adapter au changement, c’est la qualité essentielle d’une entreprise…
Parlons-en. Comment votre secteur a-t-il évolué en 30 ans ?
Tout a changé ! Les modes de financement, les normes de sécurité et de confort, le métier. En 1993, un garage devait vendre de 70 à 80 voitures par an pour mettre ses résultats à l’équilibre. À présent, on doit en faire 400 par concession, les investissements ont considérablement augmenté. Nous avons développé des produits annexes: nous proposons des prêts personnels, des assurances, des contrats d’entretien afin de répondre aux besoins du client. Tout s’est informatisé: c’est le prix de la qualité du service que nous offrons dans nos points d’exploitation.
En quinze ans, ils ont plus que doublé. On en était à un prix moyen de 12 000 euros par unité vendue en 2008, nous en sommes désormais à 28 000…
Pourquoi avoir fait le choix du multi-marquisme ?
Pour avoir un produit adapté à chaque client, pour coller au mieux aux besoins et attentes avec un large panel de modèles. Kia, Ford et Ford Pro, VW, Audi, Seat, Cupra, Skoda, VW CVI, voilà l’étendue de notre gamme. Nous voulons continuer à grandir mais en restant avec ces marques-là.
La sécurité et le confort se sont très largement améliorés ?
Je ne vais pas remonter à l’obligation de la ceinture pour le conducteur et son passager mais oui, plein de sécurités actives et passives sont apparues: l’ABS, les airbags, les capteurs anticollisions, les assistances à la conduite, mais aussi le renforcement des zones de déformation, la mise en œuvre de nouveaux matériaux, les détecteurs d’angles mort, l’air conditionné… Nous ne roulons plus dans les mêmes véhicules !
Quels défis l’hybridation et l’électrification du charroi imposent-ils au marché automobile ?
Celui de changer de paradigme. D’abandonner des moteurs thermiques de plus en plus performants, en termes de consommation et d’émission de carbone, pour revenir au full électrique tel qu’il existait au début du XXe siècle. Dans notre groupe, les moteurs thermiques représentent encore 60% des ventes, pour 30% d’hybrides et 10% d’électriques. Comme le prix reste dissuasif, l’État doit mettre en place des aides pour permettre aux familles de les acheter.
Quelle est votre principale difficulté en 2023 ?
Trouver de la main-d’œuvre. Cela s’est compliqué depuis la crise sanitaire. Nous avons besoin de plus en plus de qualifications et dans notre secteur du moins en atelier de mécanique et de carrosserie, le télétravail n’existe pas.
Votre rapport à la Wallonie et aux Fêtes
1.Que représente pour vous la Wallonie ?
Une région qui a toutes les ressources pour réussir. Une région agréable à vivre, avec des paysages et des sites qu’on lui envie. Nous avons la Meuse, plein de magnifiques endroits touristiques. Et Namur capitale de la Wallonie, je dis bravo, c’est ce qu’il fallait faire. Ce qui nous manque, c’est un gouvernement capable de faire avancer les choses. Il y a encore malheureusement trop de gaspillage d’argent public.
2.Vous sentez-vous wallon ?
Oui et je crois à la Wallonie. Si je n’y croyais pas, je n’y aurais pas investi. Je suis dans quasi toutes les sous-régions et chacune des cinq provinces.
3.Comment rendre la Wallonie encore plus attractive, plus "sexy" ?
En la mettant en capacité de mieux exploiter ses atouts. Nos politiques doivent travailler à améliorer notre compétitivité, nous avons une fiscalité automobile défavorable par rapport à la Flandre. C’est un handicap pour notre secteur. À ce point que certains modèles des marques que je commercialise ne sont plus vendables au sud du pays, je les écoule sur le marché en Flandre.
4.Citez-nous un ou deux coups de cœur
L’aéroport de Brussel South Charleroi et le circuit de F1 de Spa Francorchamps. Mais mon autre coup de cœur, c’est le sens à la fois de la fête et de l’hospitalité du Wallon. Personne dans le monde ne fait mieux ça que lui.
5.Quel est votre coup de blues ?
J’en ai deux. La gare de Mons d’abord. Si un entrepreneur gérait ses affaires comme des responsables politiques gèrent l’argent de la collectivité dans certains dossiers, son avenir ne serait pas radieux. Mon autre coup de blues c’est la disparition du circuit de moto-cross de Namur. On s’est privé d’un magnifique outil !
6.Un lieu qui vous inspire, une ambiance ?
La citadelle de Namur… C’est un endroit de promenade à pied et à vélo, un superbe point de vue sur la Meuse. Et un lieu de performances. Tous les exploits sportifs se terminent au sommet de la citadelle: marathons, trails, courses cyclistes… J’aime aller m’y ressourcer.
7.Un souvenir lié aux fêtes de Wallonie ?
Le concert que j’ai organisé fin septembre en 2021 sur l’esplanade de la citadelle de Namur alors que les fêtes venaient d’être annulées à cause du covid. J’ai eu la chance de bénéficier d’une fenêtre pendant laquelle l’événement pouvait encore se tenir. Quatorze stars des années 80 sont venues donner du bonheur aux 11 000 spectateurs qui ont participé !