Transparencia porte plainte contre Frank Vandenbroucke auprès de l’office central pour la répression de la corruption
La plateforme qui milite pour la transparence administrative reproche au ministre de la Santé de bloquer en partie la réforme du cadre législatif en la matière, sans en détailler les raisons à ses partenaires de la majorité. Un potentiel conflit d’intérêt qui s’inscrit dans un contexte de gestion de la crise covid et de soupçons de corruption.
- Publié le 05-07-2023 à 21h14
- Mis à jour le 06-07-2023 à 06h00
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Difficile d’obtenir les documents administratifs qui retracent le fil de la gestion d’une partie de la crise covid par le SPF Santé publique, comme viennent de l’expérimenter nos collègues du quotidien Het Laatste Nieuws, alors même qu’une révision du cadre législatif censée accentuer une telle transparence est en cours d’élaboration au fédéral et doit entrer en vigueur en avril 2024. Il y a urgence en la matière : selon le site RTI-Rating (Global Right To Information Rating), qui classe les États selon leur ouverture d’accès aux documents publics, la Belgique se classe119e, derrière le Kazakhstan.
À “première vue”, rien
Concernant la crise covid, c’est peu dire que la transparence est loin d’être de mise. En particulier en ce qui concerne les quelque 100 millions d’euros de produits et matériel sanitaire périmés voués au pilon dès l’été 2021, malgré les alertes répétées du prestataire qu’avait choisi l’État à l’époque (2020) pour l’épauler dans cette période tendue. Un prestataire (Medista) qui ne s’est, au passage, jamais remis d’avoir été remplacé, à l’été 2022, pour des “raisons budgétaires”, dixit le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit). Celui-ci avait alors expliqué s’être rangé à l’avis de l’Inspection des Finances… avant d’admettre qu’il n’en était rien.
De quoi nourrir les soupçons de Medista, qui a crié sur tous les toits que le marché public à l’issue duquel l’entreprise a été évincée au profit de Movianto comportait des irrégularités – voire plus. Certes, le Conseil d’État n’y a rien trouvé à redire dans un arrêt rendu en août 2022 en faveur de l’État. Ou du moins, il n’a rien remarqué de litigieux “à première vue”, comme la juridiction le répète une quarantaine de fois dans son arrêt.
Documents interdits
Pour toutes ces raisons, et compte tenu des réponses pour le moins évasives du ministre, nos confrères de Het Laatste Nieuws ont donc essayé d’obtenir une série de documents qui permettraient d’éclaircir ces zones d’ombre. Pour ce faire, le quotidien flamand est passé par la CADA, la commission d’accès aux documents administratifs. Et s’est intéressé en particulier aux mails entre Frank Vandenbroucke et Pedro Facon (chef du commissariat COVID) entre octobre 2020 et fin avril 2022, tout comme aux échanges entre Vandebroucke et le GEMS (le groupe d’experts pour la stratégie COVID) sur la même période. Problème : si la CADA a donné raison à Het Laatste Nieuws, la commission ne peut produire qu’un avis consultatif à l’échelon fédéral (contrairement à ce qui se fait dans les Régions) – en attendant une évolution de la loi qui lui serait favorable.
Mais ce n’était que partie remise pour nos confrères : face à la résistance de l'administration, le quotidien a dû s'en remettre au Conseil d’État, qui semblait prêt à lui donner gain de cause. En vain : le ministre Vandenbroucke a "annulé" son refus de transmission des documents, court-circuitant une éventuelle (et embarrassante) défaite juridique… avant de resignifier son refus dans la foulée, contraignant Het Laatste Nieuws à courir d’avis de la CADA en recours au Conseil d’État. Ad vitam æternam.
Transparencia entre en scène
Alertée par ces drôles de procédés, la plateforme Transparencia, qui milite pour une réforme forte du cadre législatif concernant la publicité des documents administratifs, s’est à son tour intéressée aux revirements du ministre et de son administration. Et ce, d’autant que ce jeu du chat et de la souris entre Frank Vandenbroucke et Het Laatste Nieuws a lieu alors même que la loi en matière de publicité des documents administratifs est en négociation (depuis fin 2021), et qu’un vote doit justement avoir lieu la semaine prochaine en Commission Intérieure.
Un tour des cabinets ministériels par Transparencia semble le confirmer : tout le monde a l'air de savoir que que quelqu'un s’est braqué sur le pouvoir à attribuer à la CADA dans le cadre de la réforme, mais personne ne sait visiblement quelle en est la raison. L'Avenir a également interrogé quelques sources auprès de la majorité : parfois l'on cite Vooruit comme vecteur du blocage, mais jamais le ministre Vandenbroucke n'est cité, tant le ministre n’a, manifestement, jamais fait mention auprès de ses partenaires au gouvernement du conflit qui l’oppose à Het Laatste Nieuws. En revanche, auprès de la plateforme Transparencia, entendue au cabinet Vandenbroucke début juin, l’on aurait admis sans peine que c’est bien ce conflit en particulier qui pose problème. Contacté par l’Avenir, un porte-parole du ministre ne nie pas que celui-ci s’oppose personnellement à une délivrance des documents demandés, tout en jurant qu'"une modification de la loi relative à la publicité de l’administration n’a de toute façon aucun impact sur une procédure en cours” (NDLR : avec Het Laatste Nieuws).
Plainte
Une ligne de défense que goûte peu la plateforme Transparencia, qui y voit un conflit d’intérêts manifeste, au-delà même de ce que pourraient révéler les documents fermement conservés par le SPF Santé publique et réclamés par nos confrères flamands. En effet, le code de déontologie des membres du gouvernement fédéral oblige tous ses membres à déclarer les conflits d’intérêts (même apparents) et dans ce cas à se retirer des discussions sur le sujet litigieux (ce que n’a visiblement pas fait Frank Vandenbroucke, donc).
Résultat, d'après des informations glanées par l'Avenir : Transparencia a porté plainte fin juin pour “atteinte aux libertés et droits constitutionnels par un fonctionnaire public (actes arbitraires)” et “conflits d’intérêts (non-déclaration et non déport d’un dossier avec conflits d’intérêts)” auprès de l’Office Central pour la Répression de la Corruption (OCRC). À bonne sources, l'Avenir a également appris que le cabinet du Premier ministre a pris note de la situation.