Les parlements, une affaire de “dinosaures” ? Selon Pascal Delwit, “une fois élu, vous devenez visible, vous avez un avantage”
Le politologue Pascal Delwit (Cevipol-ULB) commente les grandes tendances révélées par l’analyse de L’Avenir sur le “carriérisme politique”.
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- Publié le 10-06-2023 à 04h01
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Vouloir limiter dans le temps le nombre de mandats : est-ce une bonne ou une mauvaise idée ?
Ça mérite un vrai débat. Il n’y a pas de solution parfaite : chacune a ses avantages et ses inconvénients. En fait, cela nous renvoie à la question de savoir s’il est intellectuellement, culturellement et démocratiquement sain qu’une personne fasse une carrière professionnelle en politique. Et cela soulève une autre question : qui apporte les nouvelles idées si de nombreuses personnes restent en place durant un long moment ?
Justement. On peut observer que cela concerne un grand nombre de députés au sein de nos parlements…
Une fois que vous êtes élu, vous devenez visible, vous vous êtes constitué un carnet d’adresses : vous avez donc un avantage sur le challenger pour qui tout reste à faire. Et en l’absence de régulation, vous pouvez par hypothèse vous maintenir pendant un long moment. C’était très fréquent auparavant, ça l’est peut-être un peu moins aujourd’hui.
Pourquoi ?
Certains partis pratiquent déjà une logique de limitation : du nombre de mandats ou de l’âge. De façon plus générale, il existe une réflexion sur le sujet, même si cela reste limité. Parallèlement à cela, on voit émerger deux phénomènes assez récents. D’une part, une hésitation plus grande chez les nouveaux à se lancer dans la politique, qui est devenue un lieu très exposé, notamment à travers les réseaux sociaux. D’autre part, des élus qui décident assez rapidement de renoncer à leur mandat.
Vous dites qu’une réflexion est en cours, mais que celle-ci est limitée. Pourquoi ?
Il existe par exemple des dérogations dans les partis qui pratiquent ce genre de règles en interne. Parce que si vous limitez le nombre de mandats, alors vous vous privez d’une certaine expertise, d’une expérience.
Et de “machines à voix”…
Les partis n’ont sans doute pas envie de cela. L’autre élément souvent mis en avant est qu’il faut laisser aux électeurs le soin de décider.
En matière de “carriérisme politique”, on constate de grandes différences entre les partis. Comment l’expliquer ?
Au PTB, l’accès à la députation est assez récent. Il y a en outre eu la volonté du parti de renouveler ses représentants en 2019, surtout côté wallon. Quant aux écologistes, ils pratiquent une logique de rotation. En outre, on observe chez eux des trajectoires parlementaires qui s’interrompent, des mandataires qui s’écartent vers autre chose avant parfois de revenir.
Et chez les autres partis ?
Que ce soit au PS, au MR ou historiquement chez Les Engagés (ex-cdH), on y trouve davantage de carrières au long cours. Même si, là aussi, de nouvelles formes d’autorégulation se créent.
On observe par ailleurs une différence entre les assemblées également. À Bruxelles, par exemple, les carrières apparaissent généralement moins longues. Pourquoi ?
Cela s’explique entre autres par une fluidité plus grande d’un point de vue électoral. En partie due à la plus grande mobilité des habitants entrants et sortants, ce qui rend sans doute plus difficile à Bruxelles qu’ailleurs la conservation d’un mandat. De plus, le format de l’élection y est différent. À Bruxelles, il n’y a qu’une seule circonscription électorale qui couvre l’ensemble de la Région. Les listes de candidats y sont donc beaucoup plus longues qu’ailleurs.
Or, plus il y a de candidats, plus le choix est large pour l’électeur…
Une fois passés les 4 ou 5 premiers noms de la liste, qui profiteront de la dévolution de la case de tête, ce sont les voix de préférence uniquement qui vont faire la différence parmi des listes proposant une soixantaine de noms à Bruxelles. Prenez l’exemple inverse au fédéral : dans une circonscription où un seul candidat est élu parmi 10 ou 11 noms, ce sera souvent la tête de liste qui l’emportera.
Et au niveau européen ?
Là, c’est quasi le choix des partis qui détermine le résultat.
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Après avoir tenté l’exercice, un constat s’impose : appliquer la limitation des mandats successifs relève davantage du casse-tête que de la mesure miracle de bonne gouvernance.
Au fond, limiter le nombre de mandats dans le temps est-il réellement possible? Pour le politologue Pascal Delwit (Cevipol-ULB), «oui. Mais c’est très compliqué!» Et pour cause…
À éplucher le parcours de plus de 200 députés francophones, force est de constater que la politique n’est pas une ligne droite, faite de mandats prestés du début à la fin.
Il arrive fréquemment que des élus se présentent, au cours de leur mandat, sur des listes concernant une autre assemblée. Certains démissionnent aussi, un temps. D’autres quittent le législatif pour l’exécutif. Le tout rendant les histoires politiques parfois très complexes à suivre et les mandats… à comptabiliser.
Quels mandats?
Les propositions des partis ne sont pas toujours limpides non plus sur la question et peuvent même sembler parfois frileuses.
Faut-il par exemple rendre la mesure non-rétroactive, comme le suggèrent Les Engagés? «Une manière prudente de dire non aux dinosaures de la politique», nous confiait récemment, Jean Faniel, directeur du CRISP (Centre de recherche et d’information socio-politique).
Parle-t-on de mandat entamé ou de mandat complet? Et quid alors des suppléants qui débutent parfois leur mandat aux lendemains du scrutin? Sans compter les «machines à voix» qui se présentent sur une liste dans le but de décrocher un siège qu’ils laisseront d’emblée à leurs suppléants. Enfin, une «pause» parlementaire suffit-elle à remettre les compteurs à zéro?
La voix des électeurs
La question se pose donc : quel serait le véritable objectif d’une telle mesure?
Présentée par les partis qui se positionnent sur la question comme un enjeu de bonne gouvernance, l’argument phare reste le renouvellement des idées, soulève Pascal Delwit. Et par là, la mise à l’écart des mandataires qui écument les bancs des Parlements depuis des décennies.
Mais, après tout, «ce sont les électeurs qui décident au final qu’un élu reste aussi longtemps en place», rappelait encore Jean Faniel. Le tout dans un contexte de «personnification de la vie politique» qui «renforce l’importance de la popularité» des candidats aux yeux des électeurs, renchérit Pascal Delwit.
Toutefois, lors des récentes élections, l’abstentionnisme n’a cessé de gagner du terrain. Certains y voient là un acte de défiance envers le politique en général et ceux «qui la font» depuis des années en particulier.
En conclusion, la complexité des parcours politiques illustrée dans cette enquête, la définition parfois peu claire des mesures proposées et une culture politique du nom plus que des idées rendent l’application stricte de la limitation du nombre de mandats dans le temps pour le moins ardue.