Soins infirmiers à domicile : 35 secondes (financées) par injection
Le sous-financement chronique des soins à domicile fait sortir le secteur de ses gonds. Il se mobilise ce mercredi en front commun.
Publié le 23-05-2023 à 18h30 - Mis à jour le 23-05-2023 à 18h41
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Un peu plus de 1,8 milliard€: c’est ce qui manquerait en 2023 au secteur des soins infirmiers à domicile pour sortir d’un sous-financement structurel évalué, il y a 10 ans déjà, à 89% du budget accordé.
35 secondes: c’est le temps dont les infirmiers à domicile disposent pour réaliser une injection intramusculaire, en respectant les balises du financement actuel.
Ce mercredi 24 mai, les principales fédérations de l’aide et des soins à domicile (FASD et FCSD) organisent plusieurs actions, en partenariat avec les syndicats (CNE, Setca et CGSLB): distribution de tracts dans les principales gares de Wallonie et de Bruxelles de 8 à 9 heures, rassemblement rue de la Loi devant le cabinet du ministre de la Santé et action sur les réseaux sociaux.
Gaël Verzele, vous êtes le directeur général de la Fédération de l’Aide et des Soins à Domicile (FASD, partenaire de la Mutualité Chrétienne). Expliquez-nous cette histoire des 35 secondes pour une injection…
Le fédéral prévoit un financement à la prestation et à la réalisation de l’acte. Aujourd’hui, le sous-financement est tel qu’il entraîne une pression sur le travail. Quand on retire les frais de déplacement, de matériel, il reste un temps de 35 secondes financées pour réaliser une injection intramusculaire. Si on veut éviter une perte financière, la prise en charge doit se limiter à ce timing.
Qui n’est pas tenable, apparemment ?
Qui est impossible, y compris techniquement. En 2012, on disposait de 60 secondes pour le même acte infirmier. Et c’était déjà insuffisant. C’est un exemple parmi d’autres (lire ci-dessous). L’indexation et d’autres surcoûts sont venus aggraver la situation. Il y a un impact sur le rythme de travail et potentiellement sur la qualité des soins.
Et sur les finances du secteur, manifestement…
Nous sommes tous constitués en ASBL. La rentabilité n’est pas notre objectif initial. Mais on ne peut pas se permettre de travailler avec un déficit structurel. Nos services perdent de l’argent. Il faut au minimum que les rentrées couvrent nos coûts: les salaires, les frais de fonctionnement et le matériel.
Les infirmières et les infirmiers à domicile prennent parfois en charge jusqu’à 30 patients par jour. C’est énorme, non ?
Oui. En 6 ou 7 heures, 30 personnes à visiter, plus les déplacements, la lecture électronique de la carte d’identité du patient, l’encodage informatique de données, etc. Ça laisse encore moins de temps pour l’aspect social et la prévention. Si on pouvait, on ferait autrement. Ce n’est pas possible.
Les prestations ont évolué, elles aussi ?
Oui, elles peuvent être techniquement plus lourdes et complexes. Les séjours hospitaliers sont plus courts, les patients rentrent chez eux avec parfois des besoins plus conséquents qu’avant et ça retombe sur les soignants à domicile. On n’est plus sur le modèle classique des soins relativement légers, comme un pansement à renouveler, etc. La situation sociale des personnes a changé aussi, avec plus de patients isolés, précaires. Et il y a par ailleurs de plus en plus d’accompagnements de fin de vie. Donc, techniquement et émotionnellement, c’est encore plus compliqué si on ne peut pas prendre le temps nécessaire. Bref, les enjeux de ce sous-financement sont vraiment partagés.
C’est-à-dire ?
Pour nous, employeurs, c’est une gestion difficile, une équation à résoudre en permanence qui nous force à condenser les tournées des infirmières et des infirmiers sur le terrain. Pour les travailleurs, et c’est le point d’attention des syndicats qui se joignent à nous, c’est un impact direct et indirect sur le bien-être au travail.
Cette pression et la course à la rentabilité impactent aussi les valeurs qui comptent dans les métiers de soins: le lien social, l’attention qu’on souhaite apporter aux autres, la volonté de ne pas passer à côté d’un besoin que le patient n’exprimerait pas. C’est l’essence même de ce métier. Et au-delà des conditions de travail, si ça, ça disparaît parce qu’on a 35 secondes pour faire une injection, vous perdez ce qui vous fait vibrer, ce qui fait sens. Le secteur est d’ailleurs en pénurie. Le métier n’attire plus.