Le prince belge qui chauffe son château avec l’eau des douves (vidéo)
Le prince Simon de Merode utilise l’eau des douves pour réduire sa facture de chauffage. Un exemple qui montre que le patrimoine historique doit aussi s’adapter à la transition énergétique.
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/TWD3PN66R5G2LDEWMUCAQXHWJM.jpg)
Publié le 20-05-2023 à 04h00
Le prince Simon de Merode aime l’histoire et le patrimoine. Raison pour laquelle, avec sa sœur et ses frères, il a racheté le château de son oncle il y a une dizaine d’années. "Ce château a toujours appartenu à la famille, au moins par alliance, et je ne voulais pas que mon nom reste dans les livres d’histoire comme celui qui l’a laissé sortir du patrimoine familial", explique-t-il en nous faisant découvrir cette splendide demeure du XIV siècle posée dans un écrin de verdure en bordure de la ville de Westerlo et entourée de douves.
Les douves, c’est un peu pour ça qu’on est là d’ailleurs. C’est au fond de celles-ci qu’une installation aquathermique capte la chaleur résiduelle qui permet de chauffer le château (voir ci-dessous). Une première en Belgique qui a valu au prince de recevoir il y a deux mois le prix de la rénovation aux Techlink Awards de la fédération des entreprises belges actives dans la transition énergétique.
"On cherchait une solution depuis 2012, mais on nous disait qu’un tel système ne fonctionnerait pas ici", dit Simon de Merode.

Avec le bureau d’ingénierie EXTRAQT de Louvain et l’entreprise Eco-Technix, le défi a pourtant été relevé. Avec à la clé une belle économie d’énergie sur le chauffage.
Relever le défi de la transition énergétique est évidemment un enjeu financier colossal pour de tels bâtiments. Sans révéler le montant de l’investissement, Simon de Merode indique que cette installation de type quasi industriel devrait être amortie en moins de dix ans. Trois ans auraient même suffi avec les tarifs énergétiques de l’an dernier.
Mais pour le prince, sensible à la crise climatique, l’enjeu est aussi de démontrer que ces châteaux et grandes demeures historiques vieilles de plusieurs siècles peuvent s’inscrire dans notre époque qui doit impérativement se décarboner.
"Ce château a été construit il y a plus de 600 ans avec de la pierre et du bois locaux et qui continuent à stocker du CO2. Le bilan carbone de sa construction est donc largement positif. Le problème, c’était sa consommation." Avec ce système d’aquathermie, les émissions liées au chauffage sont désormais réduites de 55%. Et une installation photovoltaïque viendra encore améliorer le bilan carbone (voir ci-dessous).
Pour Simon de Merode, inscrire son château dans la transition énergétique c’est aussi le meilleur moyen de préserver cet héritage du passé. "Un bâtiment historique ne l’est que parce qu’il a de l’avenir. Et il n’a de l’avenir que s’il parvient à s’adapter au présent, philosophe-t-il. Le château est un témoin de l’évolution architecturale, artistique mais aussi technologique de son temps." Notant qu’il a été un des premiers lieux de Belgique à avoir de l’électricité. "Grâce à une dynamo et on ne pouvait allumer qu’une ampoule à la fois…"
Et puis, soutient-il, à trop vouloir figer un patrimoine classé, on risque de le perdre. Ce qui fait aujourd’hui la beauté du château de Westerlo, ce sont aussi les constructions qui se sont ajoutées au fil des siècles autour du donjon initial, les décorations du XIXe siècle qui voisinent avec des poutres du XVe et des tableaux du XVIIe. Et aujourd’hui, c’est une machinerie ultramoderne installée dans ses entrailles et bien en phase avec notre époque de transition énergétique qui permettra de préserver ce riche passé.

De l’eau à 48 degrés pour les 220 radiateurs

Dans les sous-sols du donjon, on voit encore les traces d’une grosse saignée dans le sol qui va traverser un mur de près de 3 mètres d’épaisseur. C’est de là que filent 50 à 60 mètres de tuyaux vers 30 m d’échangeurs de chaleur au fond des douves. Par un matin frisquet de début avril, ce sont près de 5 °C qui étaient ramenés à la pompe à chaleur. Qui elle-même optimise ces calories qui sont alors stockées dans deux gros ballons tampon. Ce matin-là, l’eau qu’ils contenaient affichait 48 °C, prête à alimenter les 220 vieux radiateurs en fonte du château.
L’hiver dernier, alors que l’eau était proche de son point de congélation dans les douves, le système parvenait encore à ramener de la chaleur résiduelle. Pour alimenter le système en électricité, c’est un moteur 3 cylindres fonctionnant au gaz qui est utilisé. Mais là aussi, on maximalise le rendement en récupérant 99% de la chaleur de cogénération pour alimenter les radiateurs. Au final, il faut nettement moins d’énergie pour chauffer le château qu’avec les chaudières au gaz naturel qui avaient pourtant été installées il y a dix ans à peine. "À part 10 ou 15 jours en plein hiver, on est quasi autonome avec ce système", indique Simon de Merode. La réduction de 55% de CO2 grâce à ce système sera encore améliorée prochainement grâce à 500 m2 de panneaux photovoltaïques installés sur un hangar. Situé à 3 kilomètres de château, c’est là que la société de spectacle Historalia de Simon de Merode entrepose son matériel.
"Grâce au système des compteurs communicants qui est aujourd’hui opérationnel en Flandre, on peut ramener virtuellement l’électricité produite au hangar jusqu’au château."
Économiser et produire son énergie, l’autre défi du patrimoine

Remplacer des châssis à simple vitrage est la base pour économiser l’énergie. Mais ce n’est pas simple dans un château classé où il faut respecter les prescriptions patrimoniales et où l’on dénombre plus de 200 fenêtres…. Plusieurs solutions existent cependant, détaille Céline Scheppers, patronne d’une des rares menuiseries spécialisées dans la restauration de châssis anciens (il y en a à peine une dizaine en Belgique). La plus simple et la moins onéreuse est de placer un châssis par derrière celui existant. "C’est ce qu’on fait dans les pièces de services, quand il n’y a pas de décors aux murs." On peut aussi intégrer dans des châssis anciens deux verres collés de 3 et 4 mm, mais c’est déjà 4 fois plus cher. La facture peut être multipliée par sept avec du double vitrage, voire plus si l’on utilise du verre étiré ou soufflé pour le verre extérieur, afin d’imiter les reflets et les "défauts" des vieux carreaux. C’est cette dernière solution qui a été imposée par le patrimoine flamand à Westerlo. Avec des châssis refaits à l’identique et d’autres restaurés dans lesquels on a intégré le nouveau vitrage. "Tout dépend à chaque fois de l’historique du bâtiment, de ce qu’on a dans les archives, de ce qui est conservable, dit Céline Scheppers. C’est du cas par cas." Et en tenant compte des contraintes techniques. Un verre plus isolant sur un vieux châssis risque de rejeter la condensation sur celui-ci ou sur les murs. Quant à la quincaillerie, c’est en priorité l’ancienne qui est replacée après restauration ou refaite à l’identique.
Côté production d’énergie, la technologie qui est de plus en plus demandée par les propriétaires de grands biens classés est le photovoltaïque, indique Jean-Didier Steenackers, responsable du bureau d’ingénieurs et d’architectes Sunsoak Design, spécialisé dans l’intégration du PV dans ce type de biens.
Là aussi, les solutions sont multiples, mais l’architecte les résume en deux phrases: "Le photovoltaïque sur les biens classés, si on le cache, on le cache bien. Ou alors on l’assume et on en fait un objet à part entière."
On peut ainsi faire une structure de PV à part, en dehors de la vue du bien classé ou en repensant la toiture de l’orangerie d’un château. Ou, comme cela a été le choix pour les anciens abattoirs d’Anderlecht, fabriquer des panneaux qui ressemblent à du zinc parisien. Ce qui a permis de refaire une nouvelle toiture avec un look ancien. "Le panneau photovoltaïque, c’est du verre, dit M. Steenackers. Et le verre se marie très bien avec les vieilles pierres. " À condition de façonner les panneaux pour qu’ils s’intègrent au mieux évidemment. Et, ça tombe bien, deux des 5 ou 6 entreprises au monde spécialisées dans ce domaine sont belges. C’est d’ailleurs la verviétoise Issol (l’autre est de Tirlemont) qui a travaillé avec le bureau Sunsoak Design pour la réalisation d’une pergola équipée de PV qui coiffe la poste du Louvre à Paris pour en faire une véritable mini-centrale électrique. "Aujourd’hui, dans les villes, ce sont les toits des bâtiments anciens qui ont le plus gros potentiel solaire, dit M. Steenackers. Si on veut atteindre les objectifs de réduction de CO2 en 2050, on doit miser là-dessus."
La Région s’y met aussi
La transition énergétique dans les bâtiments classés est avant tout une affaire d’équilibre. Un équilibre à trouver entre la préservation du patrimoine, la nécessaire adaptation à l’inflation du prix des énergies fossiles et le défi climatique. Ceux qui veillent sur ces deux plateaux de la balance, ce sont les agents de l’Agence wallonne du Patrimoine (AWaP). Car si le Code wallon du Patrimoine prévoit, dans les grandes lignes, les compatibilités entre technologies modernes et préservation du patrimoine, dans la concrétisation des solutions, c’est aussi une analyse au cas par cas qui doit être faite, note Étienne Sermon. "L’objectif est de toujours trouver la solution la plus optimale tant d’un point de vue patrimoine qu’énergétique ", dit le directeur de la Promotion du Patrimoine.
C’est dans cette optique que les agents de l’AWaP, architectes et historiens de l’art, suivent régulièrement des formations en lien avec l’adaptation aux normes énergétiques des biens classés. Des formations en interne et en collaboration avec des organismes extérieurs comme, par exemple, Buildwise, le centre scientifique et technique de la construction. "Cela concerne aussi bien l’aspect administratif que des éléments techniques sur le photovoltaïque, l’éolien, les vitrages, les techniques d’isolation, etc., dit Étienne Sermon. Nous comparons aussi ce qui se fait dans les régions limitrophes pour avoir un panel de solutions."
L’accompagnement des propriétaires de biens classés se fait aussi au niveau des subsides. Même s’il s’agit d’éviter la double subsidiations, les primes énergétiques peuvent dans certains cas être complémentaires avec l’aide régionale pour la maintenance ou la restauration des monuments classés (50 à 65% du montant des travaux).
Avec la crise énergétique, même si elles n’ont pas explosé, les demandes ont connu une croissance notable. "Nous étions présents au Salon des mandataires et nous avons eu pas mal de demandes des Communes", dit Étienne Sermon.
L’AWaP elle-même s’attelle aussi à ce défi de la transition énergétique. Un marché vient d’être conclu avec un bureau d’étude chargé de réaliser un audit sur les travaux de rénovation énergétique à envisager sur les neuf sites classés dont l’agence est propriétaire: le site de la Paix-Dieu à Amay, la maison Bauwens à Verviers, l’abbaye de Stavelot, l’abbaye de Villers-la-Ville, son moulin et son ancienne grange, l’ancienne brasserie Rivière à Ath, le Pôle de la pierre à Soignies, le site de Bois-du-Luc à La Louvière.