1er Mai, fête du (télé)travail: "On redécouvre les vertus de la présence au bureau"
À la veille (ou presque) de la fête du travail, ce lundi 1er mai, on se penche sur un certain changement de modèle dans les entreprises. Le collectif s’est-il dissous dans le télétravail ? Ou, au contraire, revient-il au galop ?
Publié le 29-04-2023 à 06h00 - Mis à jour le 30-04-2023 à 07h47
L’exercice imposé du travail à distance lors de la pandémie a au moins permis d’instaurer un modèle hybride télétravail/distanciel dans l’entreprise. Mais qu’a-t-on appris de cette longue parenthèse ? À quoi ressemble le nouveau modèle de travail ?
Entretien avec Laurent Taskin, professeur de Management à la Louvain School of Management (UCLouvain).
Laurent Taskin, des entreprises belges ont-elles fait le pas vers le full digital, le travail à distance à 100% ?
On peut en tout cas parler dans certains cas de politique de flexibilité, horaire et spatiale, très large ou totale. Tout est permis mais il y a des exigences de présence à définir. On peut parler aussi de plus petites structures, comme des TPE, qui n’ont pas de bureaux et qui louent des espaces de coworking quand c’est nécessaire. C’est un mode de travail assez nomade. Le bon terme, c’est la dispersion géographique. En fonction des besoins de l’activité, les travailleurs vont choisir l’espace le plus adéquat.
Est-ce que chacun y trouve son compte ? Employeurs et employés ?
Les études scientifiques que nous avons réalisées ces 10 dernières années sont corroborées par d’autres recherches menées aux USA ou en Europe. Elles démontrent ceci: la présence dans l’entreprise est importante. On l’avait perdu de vue, parce que c’était la norme avant. On ne se demandait pas ce que ça pouvait apporter. Aujourd’hui, on redécouvre les vertus de la présence. Qu’est-ce qui se passe quand on travaille beaucoup à distance ? On se recentre fort sur soi. Et on s’inscrit dans un rapport plus instrumental au travail, plus transactionnel.
En quoi est-ce un problème ?
Il y a des solidarités, un collectif, qui nécessitent un certain niveau de présence. L’entreprise, c’est bien autre chose qu’un simple nœud de contrats. C’est une communauté de travail, un lieu social, un espace d’apprentissage. On apprend énormément dans les échanges avec les collègues.
Avec la fin des bureaux fixes et l’ancrage du télétravail, le paysage peut paraître morcelé. Quel impact en termes de culture d’entreprise ?
Dans les années 80-90, on est passé de l’open space au flex-office: réduction des espaces de travail, pools de bureaux partagés, interdiction de personnaliser, de mettre une photo, une petite plante. C’est un grand tournant et il est mal vécu. Beaucoup de personnes se sentent de passage. Nomades, pour le coup. Dépossédées de leur bureau et finalement de l’entreprise. "On me dit que je n’ai plus de place, on me demande de travailler chez moi. Si je viens, je ne peux pas laisser de trace…" Par cette transformation de l’espace de travail, la capacité de se sentir membre d’une organisation s’est altérée.
Dans tout ça, que devient le collectif ? L’informel ? Le moment "machine à café" ?
Les recherches scientifiques ont mis en avant les conséquences à moyen et long terme de cette configuration du travail: l’éclatement des collectifs, la perte des solidarités, la difficulté de collaborer. Voilà les dangers. Si on ne partage plus rien, à terme, on s’implique moins. Je fais ce qu’on me demande, point barre. Or, les entreprises fonctionnent parce qu’on fait plus que ce qu’on demande. Parce qu’on prend des initiatives, parce qu’on va discuter… Il y a un peu plus d’un an, pas mal d’entreprises ont pris conscience de ça. Aujourd’hui, la réaction est plutôt positive. On réinvestit. Il y a moins d’espaces pour travailler mais plus d’espaces pour se rencontrer. On veut restimuler l’informel. Dans ces configurations, vous travaillez trois jours chez vous, et les deux jours par semaine que vous passez au bureau sont beaucoup plus sociaux, plus tournés vers le collectif, les apprentissages.