Procès des attentats : Quel sens aux attentats ? Sofien Ayari livre un témoignage déconcertant et viscéral…
L’accusé Sofien Ayari a livré un témoignage d’une profonde sincérité. Il a expliqué son engagement et comment la haine l’a emporté suite aux frappes de la Coalition sur la population civile.
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- Publié le 12-04-2023 à 14h53
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Depuis le début du procès des attentats de Bruxelles, des témoignages forts ont été égrenés. Certains portent plus que d’autres car il nous touche dans nos fragilités. L’expression de la détresse de nombreuses victimes nous pousse à s’interroger sur la manière dont ce 22 mars 2016 les a bousillées… Ce mercredi, c’est un témoignage d’une tout autre portée qui a tenu en haleine les acteurs de ce procès. C’est celui de Sofien Ayari, accusé et déjà condamné pour les attentats de Paris. Lors de son arrestation, le Tunisien bredouillait quelques mots de français. Aujourd’hui, il s’exprime parfaitement et a tenu un argumentaire viscéral qui nous a mené au verso de ces attentats. La question de la présidente était simple : “quel est le sens à tout ça ?” La réponse n’était pas simple et c’est tant mieux car Ayari n’est pas avare en arguments.
"J'ai fait des choix. Des bons, des mauvais. Pour ce qui nous occupe aujourd'hui, j'assumerai.
Sofien Ayari est adolescent lorsqu’il prend conscience des injustices générées par le régime tunisien. Les printemps arabes le mènent sur le chemin de l’engagement politique. Puis du djihadisme armé. Venir frapper l’Europe dans sa légèreté, dans ses faiblesses, au sein même de sa population, ce n’est pas ainsi qu’il considérait son engagement pour l’islam. Son témoignage contraste avec celui de la plupart des coaccusés qui répondent sur base d’un dossier qui semble connu de tous. Ayari, lui, il est sincère, il assume et il se présente sous la facette d’un gars écorché, fragilisé dans ses convictions. “J’ai fait des choix. Des bons, des mauvais. Pour ce qui nous occupe aujourd’hui, j’assumerai. Je n’ai aucune fierté à être buté dans mes positions.”
”C’est ce que j’ai vécu en Syrie qui m’a changé”
Quand Sofien Ayari part rejoindre les rangs de Daech, ce n’était pas pour finir au sein d’une cellule terroriste à Bruxelles. “Quand je suis parti de chez moi (en Tunisie), je suis allé en Syrie, je ne suis pas venu ici”. Cet engagement sur le front, contre l’armée de Bachar Al Assad, est un “point de bascule”. Il se souvient de la Tunisie qu’il a quittée : “Il y avait des touristes, des restos, des boîtes de nuit ; ça vendait de l’alcool pendant le ramadan, s’offense-t-il. Si je n’avais pas été d’accord avec ça, j’aurais été me faire sauter dans une boîte de nuit. Mais c’est ce que j’ai vécu en Syrie qui m’a changé.”
"Je n'avais jamais ressenti une telle haine, une colère, une incompréhension pareille. J'ai eu le coeur brisé, j'étais fou de rage, je ne comprenais pas..."
Ayari fait la part des choses : un djihadiste contre un soldat de l’armée régulière, ça fait partie de la guerre. Sur le front, à Homs, Ayari est grièvement blessé. “Y a un type qui a effacé la moitié de ma mâchoire. Je ne lui en veux pas. Il y a une logique qu’on peut comprendre…” Hospitalisé à Raqqa, il y trouve une ville paisible, en apparence. “Après des mois dans le désert, il n’y a plus de guerre, plus de combat.” Sur son lit d’hôpital, il sent le bâtiment vibrer, il entend des bruits sourds au loin. Un infirmier lui explique que ce sont des bombardements au nord de la ville. C’est là que le Tunisien pointe “le point de bascule”. La capitale de l’Etat islamique et sa population subissaient quotidiennement les bombardements des forces de la Coalition. “Je n’avais jamais ressenti une telle haine, une colère, une incompréhension pareille. J’ai eu le cœur brisé, j’étais fou de rage, je ne comprenais pas…” Il sait que ses mots ne plaident pas en sa faveur : “je m’en fous si c’est repris comme un argument contre moi.” Il revient sur la perte d’un ami au front : “c’était la guerre, relativise-t-il. Mais à Raqqa, c’est autre chose.”

Quand ses collègues de box répètent mécaniquement qu’il fallait répondre aux frappes de la coalition, Ayari parvient à nous emmener dans la réalité des “frappes chirurgicales” avec “des “corps brûlés, déchiquetés”. Ayari revient ainsi sur le témoignage de l’ancien président français, François Hollande au procès des attentats de Paris. “Une avocate lui avait demandé s’il y avait des dégâts contre les civils. Et il a répondu : 'pas à ma connaissance'. C’est prendre les gens pour des débiles…” Ayari constate que des civils, des femmes, des enfants tombent sous les bombes de l’OTAN. Et, au fond de lui, la haine – qu’il évoque dans son témoignage – prend de l’ampleur telle la lave d’un volcan.
”La haine ne disparaît pas”
Mandaté par Daech, c’est dans ce contexte que le Tunisien prend la route des migrants pour rejoindre une cellule “dans un pays qui participe à la Coalition.” Ce sera donc la Belgique, avec pour objectif de frapper la France. “Quand je pars, il n’y a pas de précision sur la destination finale. On ne m’a pas forcé à partir avec cette part d’ignorance.” Il confirme que “la nature de l’action n’est pas précisée…” Ayari le djihadiste, Ayari le furieux se retrouve hors des frontières syriennes. Ses certitudes vacillent. “En Grèce, en Turquie, il y a un décalage. On reprend des réflexes de la vie de tous les jours. J’ai passé un an en Syrie, c’était très intense ; puissance 1 000. Là, il n’y a plus de balles, on voit des sourires.” Son parcours jusqu’en Europe ne sera pas un pèlerinage mais il en sort quelque peu apaisé. “ça fait quelque chose. La haine ne disparaît pas. C’est comme s’il y avait quelque chose qui la modérait.”
Aujourd’hui, il a pu constater les dégâts de cette “action pas précisée”. Les victimes lui ont rappelé ce à quoi il avait contribué. Ayari est tourmenté. Il s’interroge sur la portée de son action. Et si sa contribution au combat, aux attentats n’avait servi à rien ? Lui qui risque une double perpétuité (après celle prononcée à Paris) a-t-il finalement contribué au bien-être de la population syrienne ? “Il faut du temps pour calmer tout ça. Aujourd’hui, je ne suis pas encore en paix avec tout.” Les victimes qui pardonnent, ça l’ébranle. Ça fragilise son idéologie. “ça me tue d’entendre des gens qui disent qu’ils veulent pardonner. C’est plus facile d’entendre quelqu’un qui est dans l’opposition.” Car derrière ces pardons exprimés par plusieurs victimes, il y a une question : “c’est mieux maintenant qu’il n’y a plus l’État islamique ? “Dans son témoignage, Ayari exprime encore des doutes : “La question où j’ai du mal à avoir la réponse, c’est qu’elle était l’intention de départ d’aller en Syrie ?” Et sa réponse ne semble pas le convaincre : “maintenant, je me demande si c’est mieux qu’avant mon départ.”
La présidente avait commencé par la question sur le “sens de tout ça”, Ayari n’est pas parvenu à faire aboutir sa réflexion. “Je souhaiterais que ça n’arrive plus jamais. Mais des deux côtés…” Car c’est aussi là qu’il nous a emmenés, de l’autre côté des frappes chirurgicales de la Coalition. De ce côté du conflit qu’on ne voulait pas voir…