François De Smet : “La Vivaldi a fait les choses à l’envers”
Fiscalité, énergie… François De Smet, le président de DéFI, présente les idées avec lesquelles il tentera, en 2024, de convaincre les électeurs wallons. Interview.
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Publié le 01-04-2023 à 04h00 - Mis à jour le 01-04-2023 à 11h07
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François De Smet, le gouvernement De Croo vient de terminer son conclave. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’Alexander de Croo a fait les choses à l’envers. Il n’y a toujours pas de réforme fiscale ni de réforme aboutie des pensions. Il n’y a pas non plus de réforme du marché du travail. Et il n’y a même pas de deal avec Engie sur les déchets nucléaires…
N’aurait-il pas été plus malin de d’abord faire ces réformes qui auront un impact évident sur les recettes et les dépenses ? Le plus dur reste donc à faire. C’est le printemps de la dernière chance pour la Vivaldi, car on sait tous qu’il sera plus difficile de faire des réformes après l’été.
Le déficit budgétaire est important. Où faudrait-il faire des économies ?
Les dépenses publiques atteignent 53 % du PIB. C’est trop. Je ne crois pas que c’est dans les institutions élues qu’on pourra faire le plus d’économies, même si 89 députés au Parlement bruxellois, c’est trop. Il y a, par contre, des économies à réaliser à Bruxelles dans les organismes d’intérêt public qui sont trop nombreux ou dans les intercommunales en Wallonie. Ce sont des structures assez opaques et, en général, c’est de là que les scandales arrivent. Il y a moyen de faire mieux avec un peu moins de moyens. Au niveau gouvernance, nous estimons que le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles pourrait être composé de ministres wallons et bruxellois francophones.
À un an du scrutin, comment se porte DéFI, qui semble avoir du mal à percer en Wallonie ?
Il faut savoir que 40 % de nos 2500 membres sont Wallons. Nous sommes présents dans une demi-douzaine de majorités, allant de Tubize à Libramont, ou encore dans le collège provincial de Namur. Pour la première fois en 2024, nous aurons des bilans de majorité qui, je crois, seront bons.
DéFI parviendra-t-il en 2024 à envoyer des élus au Parlement wallon ?
On nous raille parce qu’on est, dans les sondages, un peu en dessous ou un peu au-dessus des 5 %. Ce n’est pas rien. Cela nous permet d’espérer, pour 2024, l’obtention en Wallonie d’au moins un siège de député au Parlement wallon ou à la Chambre. On pèse plus lourd en Wallonie que Les Engagés à Bruxelles.
Les questions communautaires reviennent en force en Flandre. Du côté francophone, n’a-t-on pas tendance à minimiser ce fait ?
Jamais les partis communautaires et nationalistes d’extrême droite ou de droite extrême n’ont été aussi forts. Et rarement les francophones ont eu l’air d’aussi peu se préparer. Il y a une concertation informelle qui existe entre francophones bruxellois. Je voudrais qu’il y en ait une aussi au niveau fédéral.
L’endettement des entités fédérées est important. Ne faudrait-il pas une réforme intrafrancophone ?
Nous sommes des défenseurs résolus et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et il faut une alliance forte entre Wallons et Bruxellois. Donc, pour nous, il ne faut pas toucher à ses compétences. Il faut mieux les exercer pour que, par exemple, l’enseignement soit davantage au service de la formation et des bassins d’emplois de nos régions. Chez DéFI, on envisage une réforme où l’on refédéraliserait une seule chose, à savoir les compétences liées à la sécurité d’existence. Cela comprendrait la santé, la lutte contre la pauvreté ou encore les allocations familiales.
Vous refusez de gouverner avec la N-VA. Pour 2024, en Flandre, un axe semble se former autour de la N-VA et les socialistes. Cela vous inquiète-t-il ?
C’est un danger. Et je serai assez attentif au discours du PS là dessus. Mais la N-VA accepterait-elle pour autant de monter dans un exécutif sans réforme de l’État ? Peut-être, mais elle pourrait alors vider l’État de sa substance en désinvestissant de manière forte dans certains secteurs, comme ce fut le cas sous le gouvernement Michel.
Pas d’alliance avec les Engagés : “Il fallait garder une identité forte”
Sous la houlette de Jean-Luc Crucke, des discussions ont eu lieu pour former une grande alliance entre DéFI et Les Engagés. Mais malgré de longues discussions, DéFI n’a pas souhaité poursuivre le processus.
“Il y a eu des conversations longues, c’est vrai, mais qui tournaient en rond, lance François De Smet. Leur projet était de nature purement socio-économique. Ils voulaient un parti de centre qui aide les Belges à payer leurs factures et qui soit “disruptif”. Par contre, toutes nos différences, on aurait dû les mettre de côté et laisser les parlementaires faire ce qu’ils veulent.”
François De Smet cite notamment les sujets et matières qui touchent à l’éthique ou aux convictions religieuses.
“Qu’est-ce qu’on fait de la N-VA ? Qu’est-ce qu’on fait de l’IVG ? Qu’est-ce qu’on fait de la laïcité ? Ce n’est pas parce que le cdH a décidé de supprimer la base de son ADN que nous devons, nous, supprimer l’attachement de DéFI aux droits des francophones, à la laïcité ou au progressisme sur les valeurs. Je crois qu’on est dans un monde où l’on est obligé d’être centriste une fois que l’on gouverne. Ce qui permet à un parti, quel qu’il soit, d’émerger et de survivre, c’est bien une identité forte.”
“La fin des niches fiscales”
Pour DéFI, la réforme fiscale devrait passer par une globalisation des revenus et la fin des voitures de société.
Alors que le gouvernement travaille sur une réforme fiscale, DéFI réalise une campagne en Wallonie et à Bruxelles sur le même thème. Pour le parti amarante, il faut revoir le système. “L’analyse de base est toujours la même. Le travail est beaucoup trop taxé en Belgique et il faut détaxer largement les petits et moyens revenus, résume François De Smet. Nous préconisons une fiscalité plus globale sur une base plus juste. On propose un impôt plus progressif sur les revenus du travail où la quotité exemptée serait placée au-dessus du seuil de pauvreté. Ce qui correspond à ce que propose le ministre Van Peteghem. Notre grosse différence, c’est que l’on estime qu’il faut financer cette réforme par la quasi-disparition de toutes les niches fiscales.”
Pour le président de DéFI, il faut supprimer ces régimes qui touchent, par exemple, les droits d’auteur, les chèques-repas ou encore les voitures de société. “Surtout les voitures de société, relance François De Smet. C’est un système qui coûte 3 milliards d’euros par an à la Belgique. Chez DéFI, nous pensons qu’il faut faire sauter la plupart de ces niches fiscales car elles forment un magma assez complexe. Et les seuls qui s’en sortent, au final, ce sont les patrons et les bons fiscalistes.” DéFI préconise aussi une taxation des autres types de revenus, y compris ceux issus du patrimoine. “Il faut une fiscalité davantage globalisée. Mais il ne s’agit pas non plus d’ennuyer davantage le Belge sur sa propre habitation qui, par exemple, est déjà suffisamment taxée.”
Enfin François De Smet aimerait qu’on instaure, comme en France, un parquet financier pour lutter contre la fraude fiscale. “C’est une demande notamment du juge Michel Claise (NDLR : qui instruit notamment les faits présumés de corruption au sein du Parlement européen). En France, ce parquet est indépendant. C’est important, parce qu’un tel parquet doit pouvoir enquêter sur les collusions éventuelles entre le monde politique, économique et les mafias. Rappelons que la criminalité financière et les narcotrafiquants sont en train de prendre du terrain en Belgique et dans nos villes, ce qui est absolument effrayant.”
Production et économies d’énergie : “Notre modèle, c’est le triangle d’or”
L’énergie a été au cœur de l’actualité. Quel mix énergétique préconisez-vous pour la Belgique ?
Nous avons élaboré un modèle qu’on appelle le triangle d’or. D’abord, il faut beaucoup de renouvelable. Mais il faut être réaliste, cela ne suffira pas. Il nous faut aussi du nucléaire. Nous sommes donc non seulement partisans de la prolongation des deux réacteurs les plus récents, qui auraient dû être prolongés de 20 ans d’ailleurs, mais aussi des trois réacteurs intermédiaires.
Enfin, et c’est le gros débat de ces derniers jours, il y a une vraie inquiétude sur la volonté réelle du gouvernement d’investir dans le nouveau nucléaire. On peut observer des signaux assez contradictoires.
Faut-il abroger la loi de sortie du nucléaire ?
Si l’on regarde ce qui est le plus mauvais pour la santé et pour la planète, on peut voir que dans un bon mix énergétique, on a besoin de nucléaire. En 2035, on n’aura plus d’énergie nucléaire du tout. Les écologistes ont l’air de penser, sincèrement, qu’on peut arriver à du 100 % renouvelable en 2050. Je ne suis pas sûr que ce soit possible, ou plus exactement compatible avec l’ère industrielle. Mais même en admettant que ce soit possible, ce ne le sera pas pour 2050. C’est un slogan qui va encore plus mal vieillir que le “tous bilingues en 2001”.
C’est quoi, le troisième axe de votre “triangle” ?
Il faut être honnête : même avec du nucléaire et du renouvelable, vous n’échapperez pas à une diminution réelle des matières premières. Il faut donc une forme de modération énergétique. Il va falloir investir très fort et très vite dans l’isolation du bâti, des toits ou encore dans les conversions des chaudières à mazout. Mais si vous n’avez pas les trois axes, on ne peut pas s’en sortir. Et se dire que le nucléaire n’est qu’une énergie de transition, c’est une erreur.
Sur la prolongation des réacteurs, l’État n’est-il pas en train de se faire rouler dans la farine par Engie en lui permettant de fixer définitivement le coût du traitement des déchets ?
L’erreur originelle, c’est qu’on aurait dû négocier avec Engie dès la formation du gouvernement. Ceci étant dit, il faut reconnaître que, jusqu’il y a deux ans environ, tout le monde était pour une sortie du nucléaire en 2025. Nous avons tous évolué sur le sujet.