"Sage-homme", le film qui apporte un autre regard sur le métier de sage-femme
«Sage-homme», une fiction qui sort ce mercredi, met en scène un jeune homme confronté au métier de sage-femme. Le Hennuyer Miguel Mariscal, 25 ans, exerce depuis quelques mois ce métier qu’il adore, et où il a appris à affronter les stéréotypes liés au genre.
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- Publié le 22-03-2023 à 06h00
- Mis à jour le 27-03-2023 à 15h41
«Il y a toujours un effet de surprise», s’amuse presque Miguel Mariscal à l’évocation de sa profession. «Quand je rentre dans une salle d’accouchement et que j’explique que je suis sage-femme, il y a toujours une hésitation, un moment où je dois préciser qu’il ne s’agit pas d’une blague», ajoute-t-il.
À 25 ans, ce jeune Hennuyer vient à peine de débuter une carrière de sage-femme, mais a déjà appris à composer avec les stéréotypes liés au genre. «Et c’est normal qu’il y en ait, quelque part, témoigne-t-il, puisque c’est ancré dans les mœurs : depuis des millénaires, ce sont des femmes qui s’occupent des femmes. Alors, oui, les choses tendent à évoluer, mais quand un homme débarque dans ce milieu très féminin, il doit encore se battre, sinon il ne ‘‘survit’’ pas.»

Miguel, lui, a toujours voulu exercer ce métier-vocation. Même s’il ne se l’est pas toujours avoué : «Ça a toujours été une évidence, mais j’ai d’abord fait la puériculture, parce que les études supérieures ne m’intéressaient pas, et que je pensais que je n’allais pas y arriver. Après quoi je me suis finalement lancé, parce que j’ai toujours été fasciné par le monde de la petite enfance, et le milieu hospitalier. Et plus particulièrement l’accompagnement des parents.»
Parfois, c’est vrai, ce sont les compagnons qui ne sont pas d’accord. Il faut réussir à prouver qu’on est vraiment là pour pratiquer notre travail, sans un regard pervers
«Très bien accueilli» au sein de l’institution scolaire, pour qui «avoir un homme est quelque chose d’unique et rare», c’est surtout lors de ses stages que Miguel rencontre les premières réticences liées à son genre : «Et encore une fois, c’est normal : en tant que sage-femme, on pratique des actes souvent très invasifs, qui touchent à l’intimité des femmes venues accoucher. J’ai alors essuyé beaucoup de refus.»
Mais moins depuis qu’il exerce en tant que sage-femme au sein de l’Hôpital Marie Curie, à Charleroi : «En six mois de pratique, j’ai peut-être essuyé un refus, pas davantage. Il y a parfois une petite réticence, au début, mais je suis quelqu’un de très ouvert au dialogue. Dans ces cas-là, je démarre en général avec une petite blague, et finis souvent par créer un bon feeling avec la patiente.»
C’est souvent plus difficile avec les accompagnants : «Parfois, c’est vrai, ce sont les compagnons qui ne sont pas d’accord. Il faut alors réussir à sortir des petites cases dans lesquelles on nous met, et prouver qu’on est vraiment là pour pratiquer notre travail, sans un regard pervers, sans une idée derrière la tête, chose qui reste quand même très ancrée dans la tête de gens, surtout celle des hommes.»
Des amis se posaient des questions, et me disaient : pourquoi tu vas faire ça? T’es un mec…
Même au sein du cercle intime, notamment familial, son activité a pu interroger. «C’était mitigé, rapporte Miguel. Il y a une partie de la famille pour qui c’était une évidence, et une autre pour qui il s’agissait d’un métier de femmes, qui ne comprenait pas ce que j’allais faire là-dedans. Des amis aussi se posaient des questions. Ils me disaient : pourquoi tu vas faire ça? T’es un mec…»
Des sous-entendus qu’il a préféré prendre «à la rigolade» sûr de lui et de son choix. Et qui ont connu un prolongement jusque dans son milieu professionnel, plus féminin que jamais : «Pendant mes études, nous étions deux hommes et avons été diplômés en même temps, d’ailleurs. Et sur l’ensemble de mon parcours professionnel, j’ai dû croiser un homme pour plus de 800 femmes. Donc, oui, parfois, au gré de mes stages, j’ai rencontré des femmes plus méfiantes. Souvent, ce sont des professionnelles plus âgées et qui ont un discours un peu daté : certaines pensent que sur ce terrain-là aussi, les hommes vont leur voler les ‘‘mérites’’. Elles n’hésitent pas, non plus, à nous rappeler que, puisque nous n’avons pas de règles, et ne portons pas les enfants, nous ne pourrons jamais vraiment comprendre ce métier.»
«Ce n’est pas un métier fait pour tout le monde»

Si, malgré les obstacles, Miguel Mariscal s’épanouit dans son métier, c’est aussi parce qu’il s’avère plus varié qu’il n’y paraît : «Moi-même, avant de pratiquer, je pensais que la place du ou de la sage-femme était limitée à la salle d’accouchement ou auprès des femmes qui ont des grossesses à risques. Mais au final, il ou elle peut faire énormément de choses : de la consultation post ou prénatale, travailler en fécondation in vitro ou en planning familial. On voit ça comme un métier noyauté autour de la seule naissance, mais le panel de choix au niveau des orientations est bien plus large.»
Quand on va assurer une garde, ça peut se passer dans la joie et le bonheur, mais on peut aussi devoir accompagner des parents dans une grande tristesse
Le jeune homme prévient toutefois, à l’intention de ceux… et celles qui seraient tentés de se lancer : «Ce n’est pas un métier fait pour tout le monde, quel que soit notre genre. Quand on va assurer une garde, on ne sait jamais comment elle va se dérouler : ça peut se passer dans la joie et le bonheur, mais on peut aussi rencontrer du malheur et devoir accompagner des parents dans une grande tristesse. Il faut pouvoir s’écouter, et ne jamais aller au-delà de ses limites.»
«Sage-homme», un film qui se rit des préjugés
Avec son troisième long-métrage, Jennifer Devoldère éclaire, avec humour, empathie et des velléités féministes, le métier de sage-femme. Elle a accepté de nous en parler.
Léopold a toujours voulu «faire médecine». Mais lorsqu’il se présente au concours, il est recalé, et obligé de se réorienter : le voilà inscrit aux cours de sage-femme. Le comble quand on a perdu sa mère très jeune et qu’on évolue dans un milieu familial très masculin. Auquel il va mentir… avant de réaliser que sa vocation pourrait bien se trouver en salle d’accouchement.
Ce «pitch», c’est celui de Sage-homme. Un troisième long-métrage pour Jennifer Devoldère. Et une vraie belle comédie populaire un poil dramatique dans laquelle un jeune homme passe au-dessus de ses préjugés, et ceux de son entourage, pour grandir et se découvrir de nouvelles aspirations professionnelles (lire notre critique ici). «Au départ, confie la réalisatrice, j’avais envie de parler de la vie étudiante, et du fait que d’un échec, on pouvait rebondir. De la transmission entre générations, aussi.»
D’énormes responsabilités

Et de tout cela, elle parle, bien sûr. Sauf que son film revêt forcément, rien que par son sujet, des atours féministes évidents puisqu’un jeune homme accède, selon ses propres mots, «au cœur de ce que la féminité a de plus intime», et alors que les enfants sont, pourtant, affaire des hommes comme des femmes.
«Pourtant, soupire Jennifer Devoldère, sage-femme reste une profession qu’on considère féminine par essence. Les hommes n’ont pas envie d’y aller. D’abord parce que les préjugés ont la vie dure : c’est un métier qui demande de l’empathie, de la compréhension, soit des qualités qu’on attribue généralement aux femmes… quand chez ces messieurs, on valorise davantage la performance, l’innovation et bien sûr tout ce qui mène au profit; ensuite, comme ce sont des métiers ‘‘de femmes’’, les salaires ne suivent pas.Tout cela, bien sûr, est interpellant.»

Surtout si l’on considère les responsabilités, énormes, qui reposent sur les épaules d’une profession assise «le cul entre deux chaises». Entre, en fait, le corps infirmier et la corporation des médecins : «Elles ont, reprend la cinéaste, qui a effectué un long stage au sein du service maternité de l’hôpital Saint-Joseph en compagnie des deux acteurs principaux de son film, Karin Viard et Melvin Boomer, des responsabilités de cliniciennes, bien sûr… mais aussi psychologiques : quelque part, l’avenir d’un être et le futur d’une famille sont en jeu, parce que si un accouchement se passe de manière catastrophique, ça peut avoir des répercussions terribles sur la relation mère-enfant, la cellule familiale et, bien sûr, sur cet enfant à naître.»
Lorsque j’ai accouché, j’ai eu l'impression qu’il existait au sein même de l’hôpital une sorte de société secrète où naissent les bébés
Sage-homme vient donc donner un coup de projecteur sur ce que Jennifer Devoldère appelle elle-même un «bunker» au sein même de l’institution hospitalière : «Moi-même, lorsque j’ai accouché, j’ai eu cette impression, celle qu’il existait au sein même de l’hôpital une sorte de société secrète où naissent les bébés, avec des codes propres. La façon dont ça fonctionnait était très mystérieuse, j’avais envie de pousser la porte pour en savoir plus. Et je me suis dit que si moi, j’en avais envie, d’autres personnes en auraient envie aussi.»
Inclure les hommes

Et peut-être, parmi elles, des hommes, que la réalisatrice de 49 ans espère bien emmener avec elle qui n’en donne jamais une image risible, trouvant un juste équilibre entre comédie et réalisme : «Les hommes, dit-elle, je veux les inclure. Leur place est, je pense, auprès de leurs femmes quand elles donnent naissance, mais aussi en salle de travail. Et, pourquoi pas?, à travers ce métier de sage-femme : il n’y aucune raison qu’un homme ne puisse pas faire ce travail-là, même si ce sera peut-être d’une autre manière. Ceux qui le font déjà le font d’ailleurs très bien, avec beaucoup de cœur et d’humilité.»
Après tout, qui sait?, voilà un film qui fera peut-être naître des vocations : «Ce n’est pas le but du film, mais j’en serais ravie, surtout quand on sait qu’il y a 20 % de places vacantes dans les écoles de sage-femme», conclut Jennifer Devoldère.
Le saviez-vous? On ne dit pas "un sage-homme", mais un... sage-femme
Si le film de Jennifer Devoldère, dont nous vous parlons ci-contre, a été baptisé Sage-homme, ce n’est pas par volonté de «masculiniser» la profession. Mais, explique la réalisatrice, «parce que Léopold, son héros, accède peu à peu à la connaissance de lui-même, donc à une forme de sagesse.»
La profession de «sage-homme» n’existe donc pas, et la chose n’a rien d’excluant pour ces messieurs puisque, comme l’évoque Miguel Marigal, notre sage-femme hennuyer, «un ou une sage-femme désigné celui qui a la connaissance de la femme. Et donc le praticien, et non la patiente.» C’est pourquoi un homme qui pratique la profession est… un sage-femme.
