Climat : à la faveur de la douceur de l’hiver, les rats prolifèrent
Le rat des villes et des champs ne se reproduit normalement pas en hiver car il fait trop froid. La saison qui s’achève a cependant été plus chaude que d’ordinaire en Belgique.
Publié le 21-03-2023 à 12h33 - Mis à jour le 21-03-2023 à 12h52
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Squatteur de caves et de jardins, le rat des villes et des champs ne se reproduit normalement pas en hiver car il fait trop froid. La saison qui s’achève a cependant été plus chaude que d’ordinaire en Belgique, les mois de janvier et février ayant été marqués par des températures élevées malgré un mois de décembre refroidi par une longue période de gel. Une douceur générale synonyme de nouvelles portées pour le rongeur.
”Trois portées supplémentaires durant les mois d’hiver, cela se traduit par 36 jeunes par femelle par an. Parmi ces jeunes, on peut considérer que la moitié sera des femelles, qui elles-mêmes donneront naissance à de nouveaux jeunes. Au bout du compte, si toutes les portées survivent, on en arrive à un millier de rats par femelle sur une année. C’est exponentiel”, explique le naturaliste Philippe Wegnez.
Toutefois, hormis la météo, d’autres facteurs favorisent la prolifération des rongeurs. “Les composts sont pour eux de véritables maisons chauffées, grâce à la chaleur produite par la combustion”, relève M. Wegnez. Élever quelques poules et lapins, une chèvre ou un mouton peut aussi offrir un abri aux rongeurs, qui profitent de la chaleur de la paille et du buffet garni de leurs hôtes. De manière générale, “plus il y a de la nourriture disponible, plus les populations augmentent”, résume le naturaliste. En outre, la concentration des poisons vendus dans le commerce pour venir à bout de ces “nuisibles” a fortement diminué, poursuit celui qui est aussi responsable d’une entreprise de dératisation.
Par contre, tient à souligner Philippe Wegnez, les graves inondations qu’a connues la Wallonie en juillet 2021 n’ont pas favorisé la prolifération des rats. “Beaucoup se sont noyés. Mais les autres se sont concentrés dans certaines zones” épargnées, ce qui peut donner l’impression que leur nombre a augmenté. Il s’agit donc plutôt d’un déplacement de population. “Les secteurs vides sont néanmoins rapidement repeuplés.”
La multiplication “à outrance” des rats constitue un véritable problème de santé publique, puisque ces rongeurs sont porteurs de maladies. Cela devient également un problème économique. “Des fermiers perdent deux trois vaches par an à cause de la leptospirose”, une maladie qui se transmet notamment par morsure.
Pour éviter de cohabiter avec un invité surprise, il faut agir vite, conseille le spécialiste. “Si vous relevez les traces d’un rat dans le jardin, n’attendez pas qu’il entre dans la maison. Quand on voit un rat ou une souris, c’est qu’il y a en déjà plusieurs”, conclut-il.
La douceur de l’hiver, un facteur parmi d’autres favorables aux animaux “nuisibles”
Peut-être avez-vous remarqué la présence de certains animaux, rongeurs ou insectes, d’ordinaire plus discrets à la saison froide. Si la douceur de l’hiver favorise la survie et la reproduction d’espèces que l’humain se passerait bien de côtoyer de près, les températures largement positives – dont un passage à l’An neuf sous un record de 14°C – ne sont pas le seul facteur à entrer en ligne de compte.
Des températures plus douces favorisent en effet la survie des fouines, souris, moustiques et autres insectes et mammifères, qui doivent moins puiser dans leurs réserves pour lutter contre le froid. En outre, les eaux stagnantes qui offrent un environnement favorable à la ponte de certains indésirables à six pattes ne gèlent pas, leur permettant de continuer à se reproduire.
Un mercure élevé encourage aussi une émergence précoce des insectes, qui se voient déjà au printemps. “Cependant, les oiseaux, qui se nourrissent d’insectes, gardent un rythme basé sur la luminosité. Leurs nichées n’éclosent donc pas en avance” et c’est une sorte de rendez-vous manqué qui s’opère alors entre les différents volatiles : “les oiseaux se retrouvent sans nourriture pour leurs petits”.
Mais, pour de nombreuses espèces, ce n’est pas tant le froid qui pose problème, explique Philippe Wegnez, volontaire chez l’association de protection de la nature Natagora. “Des insectes comme les papillons ou les coccinelles résistent au froid mais sont plus embêtés par l’humidité. Que se passe-t-il lorsque des gouttelettes gèlent sur un papillon ? Il cristallise”, illustre le naturaliste. L’humidité peut aussi causer du tort aux abeilles domestiques, dont les larves passent l’hiver dans la ruche. Ces dernières sont en effet plus vulnérables face aux attaques fongiques. Le climat hivernal a par contre peu d’impact sur les populations d’abeilles sauvages.
La véritable menace pour ces dernières, ce sont en fait… leurs rivales domestiques. “Le but d’une ruche, c’est de faire du miel. C’est donc un objectif économique, plutôt qu’écologique”, souligne Philippe Wegnez. Plus souvent sollicitées, les plantes produisent alors moins de pollen pour l’éventail des autres pollinisateurs. “C’est un système de défense”, complète le naturaliste.
Pour le célèbre coléoptère à la robe rouge tachetée de noir, le constat est similaire. “La coccinelle asiatique a été importée pour lutter 'biologiquement' contre les pucerons car elle est plus facile à élever que notre coccinelle indigène”, retrace l’expert. “Mais elle mange aussi les chenilles et nos coccinelles, c’est une lutte biologique qui s’opère.” En outre, les coccinelles asiatiques s’amassent dans les maisons, y déposant une odeur d’agrégation. “Une année, vous en trouvez 100 chez vous ; l’année suivante, elles sont mille et on finit par user d’insecticide” pour éradiquer cette solution “naturelle” devenue gênante.
Autre menace, liée, elle, au réchauffement climatique : l’arrivée dans nos contrées d’insectes originaires d’autres latitudes. Ces nouveaux venus risquent eux aussi de prendre le pas sur les espèces indigènes et d’entraîner un déséquilibre des biotopes. Si l’on cite souvent le frelon asiatique dans cette optique, Philippe Wegnez y voit encore ici une crainte plus monétaire qu’écologique. “Les frelons asiatiques font peur aux abeilles domestiques, qui restent dans leur ruche et consomment alors leur miel”, qui ne peut être récolté.
D’autres espèces sont plus problématiques, estime-t-il. “Les moustiques tigres, par exemple, transportent des maladies et posent un vrai problème sanitaire”, relève le naturaliste. Originaire des forêts tropicales d’Asie du Sud-Est, ce diptère est en effet vecteur de virus tels que le chikungunya, la dengue ou le Zika. L’Institut de santé publique Sciensano note à ce propos que le nombre de découvertes de moustiques tigres a augmenté ces dernières années au Plat pays, “et cette tendance devrait se poursuivre dans les années à venir”.
Fin 2022, la petite fourmi de feu a aussi été repérée du côté de Toulon, dans le sud de la France. Cette espèce originaire d’Amérique du Sud représente une “catastrophe écologique, économique et sanitaire”, s’inquiète Philippe Wegnez. Non seulement l’insecte menace la biodiversité indigène, mais il “s’introduit aussi partout, rendant des maisons invendables et provoque des chocs anaphylactiques graves”. “Quand les fourmis sont là, elles sont là ! Elles ont connu les dinosaures”, rappelle le spécialiste, qui note que certaines fourmis invasives ont déjà été repérées en région liégeoise et du côté de Gand.
Autres nuisibles pour le bâti et déjà installés dans le sud de l’Hexagone : les termites. S’ils ne vivent pas dans nos contrées normalement, ils arriveront “tôt ou tard”, prédit le naturaliste.
Par ailleurs, si la douceur de cet hiver – le deuxième le plus chaud jamais enregistré en Europe, selon Copernicus – n’influence pas la prolifération en tant que telle des tiques, elle favorise tout de même leur dispersion. “On a alors plus de risque d’en rencontrer et de se faire mordre”, ponctue M. Wegnez. De manière générale, “elles sont aussi de plus en plus nombreuses, donc la proportion de tiques porteuses de maladies augmente également”. “On les retrouve à des altitudes de plus en plus élevées. Cela montre aussi un dérèglement”, conclut-il.