“Ces situations rappellent que des banques peuvent être fragiles” : Eric De Keuleneer décrypte la faillite de SVB et le rachat de Credit Suisse
Depuis une dizaine de jours, le secteur bancaire mondial est ébranlé. Il y a eu, aux États-Unis, les faillites de Silicon Valley Bank (SVB) et de Signature Bank. De ce côté de l’Atlantique, c’est le cours de Credit Suisse qui s’est effondré la semaine dernière en bourse. Dans un plan de sauvetage, Credit Suisse a été finalement absorbée par son grand rival helvétique UBS pour 3 milliards de francs suisses. Une bouchée de pain selon les analystes. Des mesures d’urgence qui ont permis aux places financières de rebondir ce lundi. Mais la tempête qui ébranle le secteur bancaire est-elle vraiment terminée ? Que risquent nos banques ? Éric De Keuleneer, professeur émérite d’Économie (ULB), décrypte l’actualité mouvementée de ces derniers jours. Interview.
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- Publié le 21-03-2023 à 04h00
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Après la faillite de SVB aux États-Unis, c’est Credit Suisse qui a vécu de fortes turbulences. Professeur De Keuleneer, quel regard portez-vous sur cette séquence singulière ?
Je crois qu’on a notamment sous-estimé les difficultés qu’une hausse brutale des taux peut occasionner aux banques. Quand les taux montent rapidement, cela peut poser des problèmes de valorisation d’actifs et parfois même de financement de ces actifs.
Ces hausses des taux, cela reste pour les banques centrales une manière de maîtriser l’inflation…
La hausse des taux que l’on connaît est un élément perturbateur dans un système financier qu’on avait habitué à des taux très bas. Je pense qu’on a beaucoup trop fait baisser les taux en pensant que c’était nécessaire pour soutenir l’activité économique. Or, cette dernière n’en avait en fait pas nécessairement besoin, sauf à des moments ponctuels comme au déclenchement du Covid-19.
Après la crise de 2008, des mécanismes de régulation ont été mis en place. N’ont-ils pas été suffisants pour SVB ?
Aux États-Unis, SVB était considérée comme une banque régionale suffisamment petite pour qu’on ne la régule pas trop. Initialement, les banques qui disposaient d’un bilan supérieur à 50 milliards de dollars étaient soumises à des stress tests prudentiels. Ce seuil a été relevé à 250 milliards par l’administration Trump. (NDLR : le bilan de SVB en 2012 était de 212 milliards de dollars).
Quand SVB s’est rendu compte qu’elle allait devoir acter des pertes sur son portefeuille d’obligations à taux fixe, elle a voulu lancer une augmentation de capital pour consolider ses fonds propres. Ces informations sont alors apparues et ont généré de l’inquiétude.
Un autre élément sous-estimé, c’est que dans une banque qui fonctionne majoritairement en ligne, les dépôts peuvent disparaître plus rapidement. Quelques messages viraux peuvent provoquer le retrait d’une grande quantité de dépôts.
Ceci n’explique pas les difficultés connues par Credit Suisse…
Pour Credit Suisse, le problème est ailleurs. Cette banque a couru longtemps derrière une gloire passée. Elle a souffert d’ambitions exagérées par rapport à ses moyens. et a perdu beaucoup d’argent sur des opérations douteuses. Crédit Suisse a également perdu de l’argent, en 2021, dans les faillites retentissantes du hedge fund Archegos et de Greensill Capital.
Enfin, Credit Suisse a manqué de fonds propre et a voulu accueillir des injections de capitaux provenant d’Arabie saoudite (NDLR : via la Saudi National Bank) et des Emirats arabes unis. Ces problèmes ont augmenté leur coût de refinancement de Credit Suisse dans les marchés interbancaires, avec un effet spirale.
À chaque fois, le cours de bourse baissait et le coût du refinancement augmentait. Ces dernières semaines, la situation a empiré… Mais si l’incendie aux États-Unis n’a pas grand-chose à voir avec les problèmes de Credit Suisse, ces deux situations rappellent que les banques peuvent être fragiles.
Va-t-on connaître d’autres problèmes au niveau des banques européennes ?
Je crois qu’il n’y a pas de risque important d’accident bancaire en Europe, car la régulation est maintenant suffisamment sérieuse. Et la Belgique est un bon élève. Et si je crois que le risque de taux d’intérêt ne doit pas être sous-estimé, il me semble mieux maîtrisé en Europe qu’aux États-Unis.
Ce que j’espère par contre, c’est qu’on va tirer davantage les enseignements de ces crises bancaires et reparler des manières de rendre l’ensemble de ces activités financières moins risquées et moins volatiles.