Budget fédéral : nos finances vont-elles véritablement droit dans le mur ?
Nos finances vont-elles droit dans le mur ? Pour Bruno Colmant (UCLouvain – ULB), il serait dangereux de s’enfermer dans une vision technique sans poser la question du modèle social souhaité pour la Belgique. Par contre, pour Jean Hindriks (UCLouvain), le politique doit mettre en place des réformes crédibles.
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/FGY36ALOQRAQRGALEYTEGP3SDQ.jpg)
Publié le 18-03-2023 à 06h22
Pas de répit dominical pour nos ministres. Dans le cadre du contrôle budgétaire, des rencontres bilatérales sont prévues ce samedi. Avant la tenue d’un comité ministériel restreint ce dimanche, qui marquera le véritable départ du conclave budgétaire.
L’exercice budgétaire s’annonce compliqué. La Vivaldi doit tenter d’accorder ses violons et d’avancer sur des dossiers clivants comme la réforme fiscale et la soutenabilité à long terme du système des pensions.
Reste qu’une petite éclaircie s’annonce au milieu de l’orage. Le déficit 2023 de l’ensemble des pouvoirs publics belges sera inférieur de 6,2 milliards d’euros par rapport à ce qui avait été prévu dans le budget initial.
Selon le rapport du comité de monitoring, rendu au gouvernement, le déficit 2023 s’établirait à 4,8 % du Produit intérieur brut (PIB), soit 27,4 milliards d’euros, au lieu des 5,9 % attendus. Cette amélioration s’explique par une inflation moindre et des prix de l’énergie en baisse.
Des perspectives préoccupantes
À politique inchangée, le déficit pourrait atteindre 41,6 milliards d’euros en 2028 ou 6,1 % du PIB. La dette publique, estimée cette année à 106,4 % du PIB, pourrait représenter 117,6 % du PIB dans cinq ans. “Il reste beaucoup de travail” à faire, a souligné Alexia Bertrand (Open VLD) sur la RTBF.
Dans une carte blanche publiée dans l’Echo, 50 économistes tirent la sonnette d’alarme. La Fédération des entreprises de Belgique (FEB) se dit aussi “préoccupée” par rapport à la soutenabilité financière de la sécurité sociale.
Bruno Colmant : “quel modèle social souhaite-t-on ?”

À l’inverse, Bruno Colmant, professeur d’économie à l’UCLouvain et à l’ULB, estime qu’il ne faut surtout pas regarder le problème d’un point de vue purement technique.
“La question à se poser, c’est savoir quel est le modèle social que l’on souhaite”, estime celui qui fut chef de cabinet de Didier Reynders. “Si la dette publique augmente, c’est parce qu’on a un modèle social qui prévoit des avantages en matière de retraites et de santé. Certes, il faut faire des réformes notamment en matière de fiscalité. Mais nous sommes à un moment où l’on entre dans une situation compliquée et où l’on va devoir tolérer un certain niveau d’endettement. Poser la question de l’endettement en la dissociant du bien-être de l’État social, cela me semble une erreur complète.”
Pour Bruno Colmant, l’endettement ne doit pas être un tabou. “On fait peur à la population en présentant l’image d’un État qui serait en faillite”, poursuit Bruno Colmant. “Or, on a toujours eu un endettement important. Ensuite, 30 % de notre dette est détenue par la Banque centrale européenne. Enfin, l’importante épargne des Belges – 300 milliards d’euros – sert aussi à financer l’endettement au travers des bilans bancaires. Avoir une vision mécanique peut servir un message politique, mais ne permet pas de poser les bonnes questions”.
Jean Hindriks : “Il faut revoir les mécanismes d’indexation des pensions”

Pour l’économiste Jean Hindriks (UCLouvain), le politique doit mettre en place des réformes crédibles
Avec une cinquantaine d’économistes, vous signez une carte blanche dans laquelle il est affirmé que la situation budgétaire est “grave”. Pourquoi ?
La Belgique connaît d’importants déficits depuis de nombreuses années. Ceux-ci creusent à chaque fois l’endettement. Dans les faits, le déficit annuel tourne autour de 4-5 % du PIB, alors que la moyenne européenne est de 3,6 %.
Dans cette carte blanche, vous parlez “d’une véritable déception” face aux décisions budgétaires…
La lame de fond, on la connaît : c’est l’explosion, la non-maîtrise des dépenses de pension. Or, on ne voit rien arriver qui permettrait de maîtriser cette croissance des dépenses qui s’accélère.
Un autre problème vient s’ajouter : la remontée des taux d’intérêt…
Oui. Il y a un donc un danger d’effet boule de neige dès lors que va venir s’ajouter à ces déficits structurels un surcoût lié au financement du déficit.
Peut-on éviter la mise en place de mesures d’austérité ?
Il faut faire des réformes qui soient crédibles et qui nous garantissent une maîtrise de la croissance des dépenses de pension.
Le politique a-t-il trop peur de prendre des décisions impopulaires ?
Du politique, on entend qu’une chose : des taxes supplémentaires. Mais globalement, la pression fiscale est plus élevée que chez nos voisins. Il faut donc réfléchir à une maîtrise des dépenses à tous les niveaux. On a un nombre de communes quatre fois plus élevé qu’aux Pays-Bas. À tous les niveaux, ne pourrait-on pas faire des regroupements qui permettraient d’être aussi efficaces, si pas davantage ? Ces duplications coûtent. Mais Politiquement, des élections arrivent et ce n’est pas évident d’entrer dans ce type de discussions.
Au niveau des retraites, que préconisez-vous ?
Des pistes qui doivent être discutées. On peut considérer qu’une partie des pensionnés, notamment les fonctionnaires nommés, disposent de belles pensions. Je pense qu’il faut harmoniser les mécanismes d’indexation. Et il faudra le faire en se basant sur le régime classique, à savoir celui des salariés. La péréquation de la pension des fonctionnaires nommés n’est, à mon sens, plus véritablement défendable car elle introduit une discrimination vis-à-vis des fonctionnaires contractuels et induit des carrières plus courtes. G.BARK.