”Je vous pardonne et je suis prêt à vous aider” : l’ancien basketteur Sébastien Bellin victime des attentats du 22 mars 2016 s’adresse aux accusés
L’ancien basketteur Sébastien Bellin, grièvement blessé aux jambes après l’attentat à l’aéroport de Zaventem du 22 mars 2016, a décidé de pardonner aux accusés, leur adressant un message émouvant.
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Publié le 09-03-2023 à 10h23 - Mis à jour le 09-03-2023 à 14h41
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Il se trouvait dans l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016 lorsque sa vie a basculé. Ancien basketteur professionnel qui a joué dans les plus grands clubs de Belgique et d’Italie pendant une quinzaine d’années, Sébastien Bellin, aujourd’hui âgé de 44 ans et entrepreneur de profession, boîte de la jambe gauche lorsqu’il entre ce jeudi 9 mars 2023 dans la salle d’audience de la cour d’assises de Bruxelles pour y livrer son témoignage. Dans le le box des accusés ont pris place six jihadistes présumés jugés pour ces attentats qui ont fait 32 morts. Un septième, le Français Salah Abdeslam, a souhaité retourner dans le cellulaire. Deux autres accusés comparaissant libres sont absents.
”Je ne sens plus rien à ma jambe gauche. Ma carrière de haut niveau est dans le passé, mais j’essaie de repousser mes limites mentales et physiques”, expose celui qui a, dit-il, été capitaine de l’équipe nationale belge pendant cinq ans alors qu’une photo de lui en tenue de basket est projetée par la cour. “Cette photo représente cette volonté de surmonter les défis que ces attentats m’ont donnés.”
Le jour de l’attentat-suicide, il devait prendre un vol pour New York. “Après ma carrière de basketteur, avec deux amis, on a créé une petite boîte de technologie pour diffuser un match de basket automatiquement”, dit Sébastien Bellin à l’audience. “Je prenais l’avion pour aller faire une présentation à New York. Je suis au comptoir de la compagnie aérienne et au moment où je reçois mon billet, je ressens une explosion incroyable derrière moi, à cinquante mètres." Il voit le plafond qui s’effondre, et entend "des cris épouvantables".
J’étais à cinq ou six mètres de la deuxième bombe, qui m’a explosé, pratiquement déchiré les deux jambes.
"Au lieu de courir vers la porte principale de l’aéroport, j’ai choisi de courir vers le point de sécurité où je savais qu’il y avait des policiers, précise-t-il. Et malheureusement, j’ai couru directement vers la deuxième bombe. J’étais à cinq ou six mètres de celle-ci, qui m’a explosé, pratiquement déchiré les deux jambes. J’étais à deux doigts de la mort. Mais, aujourd’hui, les faits sont très clairs. (...) J'ai eu beaucoup de chance ce jour-là. Je ne sentais plus rien dans mes jambes, je ne savais plus bouger. J’ai reçu un éclat dans la hanche, je n’entendais plus rien. Mais j’ai eu beaucoup de gens qui m’ont aidé. J’ai eu beaucoup d’humanité. Et j’ai eu beaucoup de chance ce jour-là parmi ces atrocités, ces événements qui sont très durs à comprendre. J’ai vu de la lumière, une force inouïe, humaine. Je parle du militaire qui a eu le réflexe de m’aider, de mettre un garrot sur ma jambe droite. Je parle des personnes qui auraient pu s’échapper, mais qui m’ont amené un chariot, dont j’ai pu trouver un moyen de me mettre dessus. C’était beaucoup plus facile de pousser.”
J'étais à deux doigts de la mort mais cette positivité, cet amour pour la vie m'ont sauvé ce jour-là.
”Il y avait énormément de positivité ce jour-là”, poursuit l’ancien basketteur. “Ce n’est pas facile de me souvenir. J’ai perdu 50 % de mon sang, j’étais à deux doigts de la mort mais cette positivité, cet amour pour la vie m’ont sauvé ce jour-là. Je me souviens m’être retrouvé dans l’ambulance, m’être réveillé le mardi après-midi. Je me souviens avoir levé les couvertures de mon lit d’hôpital. Je me souviens de n’avoir presque pas cru que mes deux jambes étaient encore là. Elles étaient complètement endommagées." Mais elles étaient encore là, ajoute Sébastien Bellin, soulagé.
J’ai eu la chance d’être entouré par des gens extrêmement humains, avec de la compassion, de l’amour.
"Je me souviens aussi d’avoir eu une sensation incroyable de mal sur ma figure. J’avais vraiment mal. Je pensais que j’avais été brûlé. Je demande à une infirmière de m’apporter un miroir et je m’apprête à voir des atrocités. En fait, j’ai eu de la chance dans l’ambulance", précise l'ancien basketteur. "J’ai commencé à mourir, mais le secouriste a commencé à me frapper très fort sur la figure pour me garder éveillé le temps d’arriver à l'hôpital Erasme. Si je raconte cette anecdote, c’est parce que j’ai eu la chance d’être entouré par des gens extrêmement humains, avec de la compassion, de l’amour. Et cet amour vit toujours en moi. Ces bombes, ces atrocités n’ont pas pu éteindre cela en moi.”
”La vie nous donne toujours un choix”, reconnaît le le quadragénaire. “Sombre-t-on dans le désespoir ou se focalise-t-on sur la positivité, l’amour, l’énergie incroyable qui, même dans ces moments difficiles, sont là? Pour moi, c’est très important de me focaliser sur le positivisme.”
Une photo de lui couché par terre est projetée par la cour. Avec une importante mare de sang au sol. “Vous voyez (Ndlr: sur la photo) quelqu’un qui essaie de m’aider. L’esprit humain ne sait pas comprendre les atrocités que j’ai vues et que les secouristes ont essayé d’améliorer. Encore une fois, je souhaite pointer les efforts qui ont été faits. Ce sont des scènes de guerre. On ne sait pas préparer ces policiers, ces infirmiers à cela. Leurs actions ont sauvé des vies.” La sienne, notamment. “Cette photo, avec cette personne qui m'aide, dans les moments difficiles commis par l’humain il y a aussi la dualité de l’autre extrême. En étant à deux doigts de la mort, quand on survit, on réalise à quel point on a eu de la chance. […]”
Et l’ancien basketteur de remercier ces secouristes, ces militaires, ces médecins, ces chirurgiens “qui ont dû sauver des vies”. “Je le répète et je le répéterai : c’est de la chance d’avoir eu ces personnes."
L’hôtesse de l’air dont la photo avait horrifié le monde après les attentats de Bruxelles : “J’ai encore un morceau de métal dans mon orbite”Il sera gravement blessé aux jambes par les explosions. Une troisième photo est projetée où l’on voit ses deux filles. L’une en train de pousser une chaise roulante sur laquelle est assis l’ancien basketteur professionnel dans le couloir d’un hôpital. Sébastien craque, submergé par l'émotion.
Cela a été très dur pour mes filles de me voir comme père, comme athlète professionnel figé sur un lit d'hôpital pendant quatre mois. De voir leur père, de se douter qu'il allait un jour pouvoir remarcher, garder ses jambes.
”Comment vont-elles aujourd’hui, vos deux filles”, demande la présidente de la cour d’assises. Un long silence s’installe dans la salle d’audience, où l’ancien basketteur est en pleurs.
“Mes deux filles vont super bien, c’est grâce à elles que je suis encore là avec autant de volonté d’avancer”, répond-il. “La force qu’on a en nous, le corps physique n’a rien à voir avec l’énergie de l’amour. Toute ma carrière, j’ai surmonté mes limites physiques mais cette épreuve que j’ai vécue m’a appris que tout est surmontable avec l’amour. Cela a été très dur pour mes filles de me voir comme père, comme athlète professionnel figé sur un lit d’hôpital pendant quatre mois. (...) Je tiens aussi à souligner leur force, ce vrai amour pour leur père, après 13 opérations sous anesthésie – je ne compte pas les plus petites – de longs mois de revalidation qui continuent aujourd’hui."
"Aujourd’hui, je suis handicapé. Passer d’un athlète de plus haut niveau à être handicapé, ce n’est pas facile. Ça demande un travail douloureux d’acceptation. Mais le handicap n’est pas un mauvais mot, il veut dire que c’est plus difficile, que c’est un nouveau challenge. (...) La plus belle leçon que j’ai pu apprendre, c’est avec mes deux filles. L’amour qui existe entre un père et ses filles”, ajoute-t-il avec émotion.
Son époux amputé après l’attentat de Bruxelles : “Le chirurgien avait hésité à le soigner pensant qu’il s’agissait peut-être d’un des terroristes””J’aimerais retenir de ces attentats, de ces atrocités d’abord les gens qui m’ont aidé, mais aussi de souligner que l’amour qu’on a, et que les gens oublient qu’il existe, que cet amour peut guérir n’importe quelle situation. J’ai eu de la chance d’avoir une épouse et surtout deux filles qui ont tout de suite vu qu’en m’apportant de l’amour dans les moments plus difficiles, j’allais pouvoir guérir des atrocités qui m’ont été infligées.”
En octobre 2022, j’ai pu finir l'Ironman...
Ses défis futurs ? “J’ai accepté mon handicap”, dit-il. “Je fais encore de la kiné. Mes défis, c’est de trouver des moyens de surmonter. Récemment, quand j’étais sur mon lit d’hôpital, je devenais fou. Je n’avais pas encore accepté mon handicap. Ni ce qui m’était arrivé. Pour garder mon sang-froid, pour garder cette positivité en moi, je me suis mis le défi d’un jour finir l’Ironman d’Hawaï. Soit quatre kilomètres de nage, 180 km à vélo et c’est un marathon en moins de 17 heures. En octobre 2022, j’ai pu finir l'Ironman avec deux heures et demie de marche. C’était l’étape qui m’a prouvé que, malgré un handicap, encore une fois je suis capable de toujours surmonter les plus grands défis de la vie."
Le pardon, pour vous, ce sera la différence entre pourrir en prison ou guérir.
Avant de clôturer son témoignage, Sébastien Bellin a un message de compassion envers les accusés, expose-t-il à la cour. “Messieurs, vous avez demandé à vous avocats que vous soyez traités comme des humains. Je vous demande aujourd’hui de me traiter aussi comme un humain, de m’écouter, de me regarder”, expose-t-il avec émotion. “Aujourd’hui, j’ai décidé de vous pardonner. Je vous pardonne. En vous pardonnant, je me détache de ces atrocités dont vous êtes accusés. J’ai choisi de faire place, encore plus de place, à l’amour. Je me détache de la haine dont vous êtes accusé d’avoir accompli. Votre mission dont vous êtes accusé a échouée. Au lieu de me détruire, vous avez créé en moi un humain avec une énergie inouïe, de compassion, de tolérance, d’ouverture d’esprit. Une humanité encore plus puissante. Une humanité que même deux bombes n’ont pas pu éteindre en moi. Je suis devant vous. Non comme victime mais comme survivant. J’ai surmonté ces atrocités. Et le pardon c’est la dernière étape de ma guérison. Il y a aune grosse différence entre être réparé et guérir. J’ai eu de la chance d’avoir des infirmières, des chirurgiens, des médecins qui m’ont réparé. Nous avons le meilleur système de soins de santé du monde. Par contre, guérir c’est bien plus compliqué. En vous pardonnant, c’est la dernière étape de ma guérison. Il n’y a aucune place pour moi pour la haine, la revanche. Je fais le choix de donner cette place à l’amour, à la tolérance. Je me permets de vous donner, si je peux, un conseil : je vous tends la main. Je vous tends la main avec la puissance du pardon. Le pardon, pour vous, ce sera peut-être la première longue étape à la guérison. Je suis prêt à vous aider. Puisque le pardon, pour vous, ce sera la différence entre pourrir en prison ou guérir. Je vous remercie de m’avoir écouté. Merci Madame la présidente."