Législation sur les jeux et paris : les députés avancent mais ne veulent rien laisser au hasard
Réunis en commission Justice de la Chambre, les députés ont voté en faveur d’une proposition de texte visant à renforcer la législation encadrant les jeux de hasard. S’il s’agit d’une étape importante de franchie, le parcours législatif de cette future loi est loin d’être terminé. Et son texte loin d’être arrêté. Explications.
Publié le 08-03-2023 à 20h40 - Mis à jour le 08-03-2023 à 21h38
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Comme le qualifie Olivier Vajda (Écolo), coauteur du texte, "c’est un grand pas en avant" réalisé ce mercredi en séance de commission Justice du Parlement fédéral avec le vote, en première lecture, de la proposition de loi visant à encadrer les jeux de hasard et remplacer ainsi la législation actuelle, laquelle date de 1999. "Car cela montre qu’il y a une volonté commune d’accroître la protection des joueurs, et notamment des joueurs plus vulnérables ", souligne le député.
La chose semblait pourtant loin d’être acquise. Déposé en septembre 2019, déjà, le texte sur lequel les députés de la commission se sont exprimés ce mercredi a connu de nombreuses évolutions. Trop, d’ailleurs, aux yeux de certains.
Le "silence assourdissant" du MR
"La version initiale était extrêmement protectrice pour les personnes vulnérables, mais, au fil des mois et des discussions menées au sein de la Vivaldi, il a été détricoté", a commenté pour Les Engagés Vanessa Matz, dénonçant un texte "trop faible" et estimant avoir le "besoin d’y voir plus clair" avec "un texte coordonné qui remet les pendules à l’heure chez tout le monde". La député centriste n’a d’ailleurs pas manqué de relever la "gêne" observée dans ce dossier "avec le silence assourdissant de certains partis de la majorité, voire leur absence au moment du vote".
Clairement visé, le MR, dont aucun député n’était présent tant lors du débat que lors du vote ce mercredi, assume. "Il y a trop de zones d’ombre actuellement pour que l’on puisse se positionner", explique le chef de groupe Benoît Piedboeuf. Les libéraux francophones regrettent notamment que les autres membres de la majorité aient rejeté en bloc, lors de la réunion des présidents, leur demande de pouvoir étudier un récent arrêt rendu par la Cour de Justice européenne.
L’ombre européenne
En date du 2 mars dernier, celle-ci a en effet jugé contraire aux règles européennes la loi belge interdisant à tout établissement de jeux de hasard établi dans un autre pays de faire de la publicité en Belgique.
"Même si elle est louable, nous ne pouvons pas voter aujourd’hui une proposition de loi alors que nous savons qu’elle sera cassée si celle-ci devait être contestée devant les instances européennes", a d’ailleurs souligné Christoph D’haese dans les rangs de la N-VA. " On veut lutter contre les assuétudes aux jeux de hasard et protéger ainsi la santé publique", a-t-il encore noté. Or, "la Cour européenne a établi qu’une limitation discriminatoire ne peut être autorisée que si son indispensabilité pour atteindre cet objectif est démontrée ", a-t-il ajouté, avant de conclure que "pour faire une bonne législation, il est donc nécessaire d’amender".
"Pondération"
Mais "ne soyons pas naïfs", a répondu Katja Gabriëls, de l’Open-VLD. "Chaque semaine, il y a des procédures qui sont entamées. Ce combat juridique ne va pas s’arrêter", a-t-elle conclu, invitant ses collègues à procéder au vote.
"La législation proposée va toucher aux bénéfices de ce secteur et donc ils vont quoiqu’il arrive utiliser tout ce qu’ils peuvent pour la contester. C’est évidemment leur droit. Mais ils laissent au politique le soin de régler les problèmes que cela génère dans la société", a de son côté souligné Stefaan Van Hecke, député Groen à l’initiative du texte proposé. "Il appartient donc au politique de faire cette pondération", a-t-il ajouté, précisant que "s’il s’avérait nécessaire d’adapter la législation, évidemment que cela pourra être fait".
L’attrait pour l’illégalité
Au-delà de ces aspects juridiques, " il y a un manque de cohérence entre le secteur privé et le secteur public (NDLR : la Loterie nationale, qui bénéficie de sa propre législation et échappe donc, en partie, à certains éléments du texte soumis au vote ce mercredi) et un manque de proportionnalité entre les différents types de jeux", a encore estimé Christoph D’haese, disant craindre que cela " pousse les consommateurs vers le marché illégal".
"Il est clair qu’il va falloir aller vers un renforcement très dur de la législation qui vise à lutter contre le marché illégal des jeux de hasard", a concédé Stefaan Van Hecke. Mais "il faut faire les deux. Ce n’est pas “soit, soit”, c’est “et, et”. C’est donc aux deux niveaux que nous devons agir". Et de conclure : "Si aujourd’hui nous avons l’occasion de faire ce pas en avant, en vue de protéger le consommateur, allons-y !"
Si le texte proposé a donc obtenu, finalement, l’adhésion d’une majorité de députés présents lors du vote, il repassera en deuxième lecture sur la table de cette même commission : une façon de pouvoir solliciter un avis juridique, corriger et amender le texte, avant de le renvoyer en séance plénière. "Et cette fois, nous prendrons part au vote", précise le chef de groupe MR.
Les 5 enjeux majeurs de la proposition de loi
Du texte initial, subsistent principalement cinq éléments, lesquels font l’objet de dispositions transitoires.
1. Machines "3.3" ( *)
Le texte prévoit l’interdiction générale de ces machines à sous, que l’on retrouvait jusqu’il y a peu uniquement dans les établissements de classe III (cafés). Mais leur prolifération dans d’autres endroits (stations-service, centres commerciaux, etc.) échappe aujourd’hui à toute législation.
(*) Cette appellation fait référence à l’article 3.3 de la loi sur les jeux de hasard, lequel prévoit une exception pour les "jeux de cartes" ou "jeux de société" ; en remplaçant les traditionnelles photos de fruits par des photos de cartes à jouer, ces machines ont ainsi profité de cet article pour contourner la loi sur les jeux de hasard.
2. Publicité
Le texte vise, à terme, "une inversion de paradigme", énonce Olivier Vajda (Écolo), coauteur de la proposition. Actuellement, la loi autorise la publicité et c’est au conseil des ministres qu’il revient de formuler des exceptions ; l’ambition du texte est donc "d’instaurer une interdiction de principe, tout en laissant la possibilité au conseil des ministres de prévoir des dérogations par arrêté royal".
3. Cumul
Le texte prévoit l’interdiction de combiner différentes sortes de jeux de hasard en un même site web. "L’objectif est de contraindre le joueur à se déconnecter d’un site pour devoir se reconnecter à un autre, commente Olivier Vajda. Cette action permettrait ainsi d’insérer un moment de réflexion pour le joueur". De quoi aussi, selon l’ambition poursuivie par les auteurs de la proposition, casser la dynamique et éviter que les joueurs attirés grâce à des jeux plutôt inoffensifs ne soient tentés de jouer à d’autres jeux impliquant plus de risques.
4. Âge
Le texte souhaite harmoniser les règles de limite d’âge qui diffèrent actuellement d’un jeu ou d’un secteur à l’autre, en fixant celle-ci à 21 ans pour tous les jeux de hasard, sans exception. Cela concerne donc aussi les jeux de la Loterie nationale.
5. Bonus
Le texte vise enfin l’interdiction des bonus, ces cadeaux offerts visant à "encourager les joueurs à s’inscrire ou à continuer à jouer. Soit une réelle tentation difficile, voire impossible, à éviter pour les personnes dépendantes au jeu ou les jeunes joueurs ", observe encore le député Ecolo.
Pour être complet, on précisera que d’autres mesures complémentaires figurent encore dans le texte proposé, comme l’abaissement de 500 à 250€ de la limitation hebdomadaire de l’alimentation de ses comptes en ligne par un joueur.