Son époux amputé après l’attentat de Bruxelles : “Le chirurgien avait hésité à le soigner pensant qu’il s’agissait peut-être d’un des terroristes”
Loubna, l'épouse d'un bagagiste rescapé de l'attentat du 22 mars 2016 à l'aéroport de Zaventem mais qui a dû être amputé, a livré ce mardi 7 mars 2023 un témoignage bouleversant. Avant de s'adresser aux accusés.
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Publié le 07-03-2023 à 15h25 - Mis à jour le 07-03-2023 à 17h18
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Elle serre sa boule anti-stress de toutes ses forces. Le silence est pesant ce mardi 7 mars 2023 dans la salle d’audience de la cour d’assises de Bruxelles chargée de juger les personnes accusées des attentats terroristes du 22 mars 2016. L’épouse d’Abdallah, un bagagiste de l’aéroport de Zaventem grièvement blessé lors des explosions et qui a dû être amputé d’une jambe, peine à commencer son récit. Avant de lire les notes qu’elle a écrites. Avec émotion. “Sept ans après, c’est encore compliqué. C’est très difficile à vivre au quotidien”, explique d’une voix calme l'épouse d'Abdallah.
Le 22 mars, Abdallah se trouve à l’aéroport de Zaventem, rangée onze, l’endroit où la première bombe explose. Abdallah Lahlali a alors 37 ans. Il travaille chez Swissport et est chargé des bagages hors formats. Lourdement blessé lors de l’attentat, les médecins ont fait l’impossible pour sauver ses jours. Mais n’ont pas eu d’autres solutions que de l’amputer d’une jambe.
”À partir de cette date, la vie ne sera plus jamais la même”, explique son épouse. “Nous sommes des victimes depuis le 22 mars 2016. Pour nous, c’était comme si c’était hier. Avant ce jour noir, nous menions une vie ordinaire.” Avec leurs deux enfants, ils vivaient à Bruxelles. “Abdallah s’épanouissait professionnellement, créant des liens forts avec de nombreux collègues”, explique celle qui travaille alors comme assistante administrative dans une Commune bruxelloise” pour encadrer les concitoyens dans la quête d’un mieux vivre”.
Ce 22 mars 2016, il est 8h45 lorsqu’Abdallah appelle son épouse. “Je décroche et j’entends des cris d’une atrocité telle qu’y penser me donne des sueurs froides”, témoigne son épouse qui avec sa sœur se rend dans les hôpitaux les plus proches dans le périmètre de l’aéroport à la recherche du trentenaire blessé. ” Les minutes ressemblent à des heures, des heures à des jours. Un membre du personnel soignant d’un hôpital me demande une photo de mon mari parce que deux corps se trouvent à la morgue et ça pourrait être mon mari. Et on attend. Quinze minutes interminables. Là je réalise que le pire est peut-être arrivé. Le médecin revient et me dit que ce n’est pas mon mari qui se trouve dans la chambre froide.” Entretemps, la dame apprend qu’un numéro du centre de crise avait été créé. “Je contacte le numéro et je demande la liste des hôpitaux où mon mari aurait pu être transféré. Après de nombreux appels, l’hôpital d’Anvers me confirme que mon mari est bien chez eux. Je reçois le diagnostic au téléphone, en néerlandais. On me dit qu’il est bien vivant, mais qu’il a dû être amputé d’urgence. On me dit cela au téléphone. Comme un fait divers. L’annonce est tellement brutale que je m’effondre. Je suis anéantie. Je pleure toutes les larmes de mon corps et je pense à mes enfants. Ils avaient 7 ans et 9 ans à l’époque, je me demande comment leur dire. Et je pense aussi à mon mari. Comment une personne aussi active pourra accepter son nouveau corps et tout ce que cela engendrera psychologiquement et humainement.”
Vers 17h, Loubna retrouve enfin son mari aux soins intensifs. “Il est lourdement abîmé par la déflagration de l’explosion et les débris de verre”, dit-elle. “J’étais heureuse de le retrouver vivant et à la fois j’étais sous le choc. Je ne réalisais pas. Pourtant, je voyais que sa jambe n’était plus là”, ajoute Loubna, avant de montrer des photos de son mari sur son lit d’hôpital. On le voit intubé. On y voit un gros plan de sa jambe amputée.
”Quelques jours plus tard, on apprend que le chirurgien avait hésité à le soigner, pensant qu’il s’agissait peut-être d’un terroriste”, ajoute la jeune femme. “Dans ce contexte-là, on se demande toujours si sa jambe aurait pu être sauvée.”
Ibrahim Farisi, l’un des frères ayant logé les terroristes présumés comparaissant libre, s’énerve, balance sa chaise et sort de la salle d’audience. “J’ai dû arrêter de travailler pendant neuf mois”, enchaîne l’épouse du bagagiste amputé. “Ce qui a été violent et traumatisant, c’est que pendant tout ce temps, je n’ai pas pu m’occuper de mes enfants.”
”Toute notre famille a été chamboulée”, enchaîne l’épouse du blessé. “Trois mois après l’attentat, mon mari est sorti de l’hôpital. On espérait retrouver un semblant de vie de famille mais il a pris conscience qu’il avait perdu sa jambe. Le simple fait de se laver, de dormir, de se déplacer était un obstacle. C’est là que le parcours du combattant a commencé.”
Aujourd’hui, Abdallah souffre toujours autant. Tant physiquement que psychologiquement. ” Désormais, il lui est impossible de jouer au football avec les enfants, de faire du vélo. De voyager, d’aller à la plage. Il a une douleur permanente”, enchaîne son épouse qui évoque la tristesse dans les yeux de leurs enfants.
Trouvez-vous normal qu'il est resté plusieurs mois sans prothèse car les assurances refusaient de la prendre en charge. Nous n'avons pas eu de traitement digne d'une victime. Ce que je regrette, c'est que l'Etat nous ai laissé entre les mains des assurances.
Au-delà des soins, des séances de kiné et de revalidation, Abdallah, comme beaucoup d’autres victimes, a le sentiment d’être abandonné. Oublié par l’État belge, malmené par les assurances et les médecins-conseils. Près de sept ans plus tard, entre douleur physique, opérations et manque de reconnaissance de son statut de victime, Abdallah peine à se reconstruire.
”Trouvez-vous normal qu’il est resté plusieurs mois sans prothèse car les assurances refusaient de la prendre en charge. Nous n’avons pas eu de traitement digne d’une victime. Ce que je regrette, c’est que l’État nous ai laissé entre les mains des assurances.”
Sept ans qu'on nous balade dans les quatre coins de la Belgique pour expertiser mon mari comme un rat de laboratoire. Sept ans après, il n'a toujours pas de salle de bain adaptée à son handicap."
Son épouse aussi est, dit-elle en pleurs, épuisée mentalement et physiquement. “Et j’en ai marre de ces expertises incessantes aux quatre coins de la Belgique, […] marre d’être pris pour des marionnettes. Sept ans que nous n’avons pas vu nos enfants grandir. Sept ans qu’on nous balade dans les quatre coins de la Belgique pour expertiser mon mari comme un rat de laboratoire. Sept ans après, il n’a toujours pas de salle de bains adaptée à son handicap.”
Je me demande quel Dieu vous oblige à causer peine et souffrance, quel Dieu vous oblige à infliger ces atrocités!
Loubna en pleurs continue son récit. Avec dignité. “Je voudrais aussi m’adresser aux accusés”, dit-elle. “En dépit de toutes les souffrances auxquelles je suis confronté, je prie chaque jour pour le bien-être de ma famille. Et je me demande quel Dieu vous oblige à causer peine et souffrance ? Quel Dieu vous oblige à infliger ces atrocités ? J’ai souvent pensé à vos parents, aux familles, qui se trouvent eux aussi dans une situation innommable. Mon Dieu m’a transmis des valeurs universelles, humaines. À mener une vie simple et de quiétude tout en respectant proches et autrui. Je tiens à rappeler que ma religion, l’islam, n’est pas à confondre avec ces actes ignobles qui ont été commis…” Dans la salle, les larmes coulent sur les visages.